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Vue d'architecte de l'intérieur de la plateforme d'innovation The Camp, à Aix-en-Provence. Tous droits Golem Images pour thecamp et Corinne Vezzoni & Associés

Le business model des plateformes d'innovation

Les travaux menés dans les dernières années sur les laboratoires d’innovation ouverte et sur les plateformes d’innovation ont permis de souligner plusieurs tendances qui contribuent à la stabilisation de ces organisations. Dans de précédents articles, nous avons déjà eu l’occasion de souligner le rôle des communautés, porteuses de nouvelles relations de travail ou encore l’importance de manager les processus de créativité. Nous avons aussi rappelé la nécessité de bien gérer l’espace physique.

Aujourd’hui, nous commençons à disposer d’assez de recul pour souligner les voies de stabilisation des modèles économiques des plateformes d’innovation. Nous avons développé ces éléments dans un rapport d’étude commandité par Bpifrance Le Lab et Innovation Factory sur le rôle des plateformes d’innovation dans les écosystèmes régionaux. Ces travaux permettent de décrire l’évolution de la logique de subventions, de présenter les références de l’analyse des modèles économiques et, enfin, d’exposer les ressorts principaux des business models des plateformes d’innovation. Cet état des lieux permet de tracer les perspectives de stabilisation de ces plateformes pour le futur.

Les plateformes d’innovation : une adaptation continue

Au cours des dernières années, plusieurs logiques ont prévalu. Dans un premier temps, les plateformes ont très souvent vécu d’une logique de subventions publiques, liées à la fois aux politiques publiques gouvernementales en faveur de l’innovation et de l’aménagement du territoire. Dans ce contexte, les plateformes d’innovation se montaient le plus souvent sous la forme juridique des associations sans but lucratif. Il y a trois ou quatre ans, ces subventions ont commencé à diminuer fortement. Cela marque une seconde période dans laquelle les plateformes d’innovation ont été contraintes d’imaginer leurs propres modèles économiques pour continuer à fonctionner.

On a pu alors remarquer que les plateformes sélectionnaient des formes juridiques particulières pour chaque type d’activité : à but commercial pour les activités qui peuvent trouver leur cible commerciale (par exemple l’incubation ou l’accélération) ; de type privé mais, parfois, à vocation sociale et solidaire pour les entrepreneurs qui visent un impact social ou sociétal ; de type associatif et sans but lucratif pour les activités qui peuvent encore relever d’une logique de subventions.

Tous les services qui peuvent être rendus à des entreprises entrent dans le champ commercial des plateformes, en particulier l’accompagnement à l’intrapreneuriat, le conseil en innovation ou le soutien aux activités de créativité et d’idéation. Le modèle des sociétés par actions simplifiées devient progressivement la référence, avec ou sans mise en place parallèle d’une association sans but lucratif pour gérer une partie des services destinés à la vie de la communauté d’usagers ou pour rester éligible à divers types de subventions.

Des logiques de subvention qui changent de forme

Les logiques de subvention persistent, mais elles prennent des formes directes et indirectes. Directes sous la forme de versements ou d’aides au démarrage ; indirectes quand il s’agit de faciliter l’accès à des locaux à un tarif préférentiel, de garantie sur des signatures de baux ou de dégrèvements fiscaux dans des zones à revitaliser.

Depuis la fin de 2017, la nature de l’intervention publique évolue dans le financement des plateformes d’innovation : la tendance se déplace des logiques de subventions vers un cadre contractuel inscrit dans les dispositions du code des marchés publics. Cela concerne pour l’essentiel des collectivités locales et territoriales qui émettent des appels d’offres, et pour lesquels les plateformes peuvent manifester leurs compétences distinctives ou leurs modèles économiques originaux dans la phase de mise en concurrence. C’est par exemple le cas du Tuba et de You Factory à Lyon, qui répondent conjointement à des appels d’offres de la communauté urbaine ou de la région. Gagner ce genre d’appel d’offres sert aussi de vitrine et donne de la crédibilité pour interagir avec d’autres interlocuteurs, publics ou privés.

Bien construire ses business models

L’analyse des modèles d’affaire ou business models suppose d’articuler plusieurs parties : un modèle de services (le portefeuille des activités proposées aux clients ou usagers), un modèle de revenus (le chiffre d’affaires et la façon de tarifier les prestations), un modèle d’opérations (toutes les charges d’opération) et un modèle de financement.

Dès que l’on a une idée du portefeuille de services, il convient d’inventer à la fois la tarification qui s’appliquera à chacun des sous-ensembles et la cohérence d’ensemble qui génère du sens pour les clients. La somme des revenus générés à l’échelle du portefeuille de services doit couvrir plus que le total des charges d’exploitation pour générer une marge brute positive.

Le modèle de financement peut prendre des formes très différentes (dette, autofinancement, subvention, prise de participation, etc.). Les coûts du financement et des investissements doivent être couverts d’une façon ou d’une autre par la marge brute. Il est également nécessaire d’anticiper le niveau des besoins en fonds de roulement (BFR) et en trésorerie.

Analyse des modèles économiques. Mérindol et al. (2018), p. 102 (DWV-PGE-GC)

Ces éléments permettent de mieux appréhender la dynamique des modèles économiques des plateformes d’innovation par rapport aux pistes étudiées auparavant. L’articulation entre les modèles de revenus, de services et d’opérations permet de comprendre la logique de création de valeur. La mise en perspective des modèles d’opérations et de services permet de mener l’analyse des ressources stratégiques (y compris les compétences) et de se projeter dans la durée pour proposer des offres qui résistent à la concurrence.

Un point critique : trouver un équilibre entre revenus et coûts fixes

Toutes les plateformes travaillent avec des flux de revenus parallèles et complémentaires, liés à des services rendus à leurs communautés, aux startups et aux grands comptes. Certains services rendus à la communauté sont payants, d’autres sont compris dans la participation à la plateforme d’innovation.

Le prototypage reste une activité spécifique qui génère, sauf cas particulier, moins de chiffre d’affaires que les postes de travail en coworking ou la formation. Certaines plateformes délivrent des services en lien direct avec le prototypage, plus ou moins « quick and dirty ». Elles doivent alors disposer de machines qui imposent des investissements de départ, même pour une acquisition d’occasion, et des coûts de maintenance. Les plateformes d’innovation qui délivrent seulement des prestations intellectuelles n’ont pas, de leur côté, à faire face à ce genre de frais. En revanche, toutes doivent installer des postes de travail pour les « coworkers », leurs experts, ou les personnels des startups. Par ailleurs, tous les locaux doivent disposer de salles adaptées aux séances de créativité et permettre des reconfigurations pour héberger des événements.

Les travaux réalisés depuis 2015 conduisent à souligner que l’adéquation entre sources de revenus et missions principales n’est pas toujours acquise. Ces éléments sont le plus souvent liés à une démarche pragmatique où les plateformes saisissent les opportunités qui se présentent pour générer du chiffre d’affaires. Elles se donnent pour cela un objet social large. L’enjeu consiste alors à aligner les orientations stratégiques avec les services pour lesquels la plateforme d’innovation est visible auprès de ses clients potentiels ou de ses concurrents.

Trois postes majeurs de dépenses

En matière de coûts, le raisonnement repose sur trois postes principaux de dépenses : le loyer, les salaires et les machines.

Les personnels permanents de la structure représentent un poste de dépense important dans toutes les structures. Parfois, les salaires des permanents sont couverts par des subventions et les contributions des fonds interrégionaux (par exemple chez Alsace Digitale) ou par les revenus directement associés à une activité spécifique (coworking ou incubation).

Le loyer représente un poste de dépense majeur dans toutes les structures (même dans les cas où des baux « précaires » sont privilégiés). Ce sujet nécessite des compétences particulières pour négocier les montants des loyers et les contenus des contrats de bail. Il est souvent possible d’obtenir des périodes de dispenses de loyer en échange de la revalorisation des locaux ou d’engagements de moyen terme. Cela permet de monter en puissance au niveau du chiffre d’affaires sans mettre en danger le projet, subir les coûts et les soucis des déménagements.

Pour ce qui concerne les locaux et les machines, l’objectif est de gérer les questions de plan de charge et de saturer les taux d’occupation. De ce point de vue, les effets de seuil sont primordiaux pour gérer l’ensemble des ressources corporelles. On retrouve ici des enjeux typiques de la « vieille » économie.

Les clés du succès : gérer les actifs incorporels

Au niveau des ressources incorporelles, les marges de manœuvre pour générer un impact sur le business model sont tout à fait différentes. Il convient de couper l’analyse en deux blocs. Pour ce qui concerne le réseau des experts et des mentors, de l’équipe d’animation et de l’impact de la marque, un cercle vertueux s’installe au fur et à mesure que la gamme des compétences s’élargit. Ce cercle vertueux ne connaît presque pas de limite. Plus la taille et la variété de l’équipe de mentors augmentent, plus leurs compétences s’améliorent, plus la marque sera puissante et plus la qualité du service rendu aux startups incubées/accélérées va s’améliorer.

Ces éléments sont purement incorporels. Ils ne font pas varier les coûts d’opération associés à la mobilisation des experts ou des communautés mais seulement le niveau de qualité ou d’expertise qui leur sont associés. À coût d’opération égal, on identifie des rendements croissants pour la mise en œuvre de l’expertise disponible : les connaissances cumulées de la communauté et de l’équipe d’animation font le succès de la plateforme et alimentent sa réputation. Un cercle vertueux s’installe alors dans le temps long. Le succès appelle le succès.

Effets de seuil et effets de réseau. Mérindol et al. (2018), p. 124

Le problème se situe ailleurs, au niveau de la vie des communautés et de la qualité des interactions entre des acteurs aux intérêts et aux expériences variés. Tant que les liens entre membres de la communauté restent forts, alors la qualité de service reste assez élevée et permet d’attirer les usagers tout en améliorant la qualité du service qui leur est rendu. Mais au niveau des ressources incorporelles, réseau des experts et équipe d’animation, la croissance n’est pas infinie et les rendements ne croissent pas sans limite. Dès que les liens au sein de la communauté ou de l’écosystème s’affaiblissent, les rendements décroissent.

Dans le business model, il existe donc une logique de taille critique à prendre en compte pour les ressources incorporelles. Au moment où les liens forts se transforment en liens faibles au sein de la communauté, la qualité des prestations baisse. On constate alors un changement profond de la nature de l’activité. Quand la plateforme ne sait plus gérer les coûts d’animation de la communauté, dès qu’elle ne sait plus générer ou faire les liens « forts », elle va se transformer en une société de conseil tout à fait traditionnelle, et perdre son originalité initiale…

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