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Nadia Murad, co-récipiendaire du Prix Nobel de la Paix 2018, lors de la conférence de presse du National Press Club de Washington, D.C., le 8 octobre 2018. (AP Photos)

Le Canada doit engager des poursuites judiciaires contre les combattants de l’EI qui rentrent au pays

La championne des droits de la personne Nadia Murad s’est récemment vu nommer colauréate du prix Nobel de la paix.

En août 2014, le village de Mme Murad, dans le nord de l’Irak, a été attaqué par l’État islamique en Irak et en Syrie (EIIS, ou EI), et elle a été vendue comme esclave sexuelle.

Elle a réussi à s’échapper, a demandé l’asile en Allemagne en 2015, et se bat depuis pour les droits de la minorité yézidi. Au moment de recevoir son prix Nobel, elle déclarait :

« Nous devons travailler ensemble avec détermination – non seulement pour que les campagnes de génocide échouent, mais pour que les responsables soient reconnus coupables de leurs actions. Les survivants méritent que justice soit faite. Et un chemin sûr pour rentrer chez eux. »

L’imputabilité est devenue un enjeu clé. Si la coalition internationale dirigée par les États-Unis a délogé l’EI des villes qu’il avait occupées et contrôlées, à savoir Mossoul et Raqqa, le groupe est affaibli, mais il n’est pas mort.

L’EI demeure une force au Moyen-Orient

Le Département américain de la défense et les Nations Unies estiment qu’il reste environ 30 000 combattants de l’EI dans ces pays.

Pendant ce temps, un nombre important de combattants étrangers originaires de pays comme le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie ont fui l’Irak et la Syrie. De nombreux pays ont du mal à trouver des solutions politiques sur la manière de gérer le retour de leurs ressortissants qui ont rejoint le groupe.

Le gouvernement canadien a déclaré publiquement qu’il était favorable à une approche globale de la réintégration des rapatriés dans la société. Or, très peu de combattants étrangers revenus au Canada ont été poursuivis.

Les choses sont sur le point de devenir beaucoup plus compliquées pour les fonctionnaires à Ottawa. Le journaliste Stewart Bell, de Global News, était récemment en reportage dans le nord de la Syrie. Il a interviewé Muhammad Ali, membre canadien de l’EI détenu par les forces kurdes dans une prison improvisée.

Ali admet avoir rejoint l'EI, servi de tireur d’élite et joué au foot avec des têtes coupées. Il a également utilisé les réseaux sociaux pour inciter d’autres personnes à commettre des attaques violentes contre des civils ainsi que pour recruter de nouveaux membres.

Un autre membre présumé de l’EI, Jack Letts, détenant la double nationalité canado-britannique, est également enfermé dans le nord de la Syrie. Les mêmes forces kurdes insistent pour que le gouvernement du Canada rapatrie tous les citoyens canadiens capturés au champ de bataille.

Tolérance à l’égard de la terreur ou islamophobie?

La question de savoir comment gérer le retour des combattants étrangers a donné lieu à des débats hautement politiques à Ottawa, faisant ressortir de fortes différences partisanes quant aux choix politiques et aux stratégies visant à assurer la sécurité des Canadiens.

Le gouvernement libéral a été accusé de faire preuve de mollesse à l’égard du terrorisme et de la sécurité nationale, tandis que l’opposition conservatrice a été accusée de « semer la peur » et de « nourrir l’islamophobie » pour avoir réclamé une approche plus sévère consistant à poursuivre les rapatriés.

Un membre des Assayech, forces de sécurité kurdes, montrant à un journaliste l’intérieur d’une maison de combattants de l’EI en février 2017, à Bashiqa, en Irak. La ville du district de Mossoul a été libérée en novembre 2016, après avoir passé deux ans sous le contrôle de l’EI. Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Mais le point le plus important est que le Canada a l’obligation morale et légale de demander justice et de défendre les droits de la personne les plus fondamentaux des populations vulnérables.

L’EI et d’autres groupes djihadistes se sont livrés à des atrocités de masse systématiques contre les minorités en Irak et en Syrie, y compris les chrétiens et les chiites. L’EI a manifesté un mépris particulier pour la minorité yézidi en Irak. Le gouvernement canadien a reconnu les crimes du groupe contre les yézidis comme un génocide.

En tant qu’État signataire du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le Canada a la responsabilité de faire respecter ces conventions juridiques internationales lorsqu’il élabore des réponses politiques relatives au retour des combattants étrangers.

Les poursuites peuvent avoir un effet dissuasif

Le Canada a la possibilité de poursuivre ses ressortissants devant les tribunaux nationaux au moyen de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

Les procès publics peuvent servir à mettre à nu le mythe de l'EI et à aider à lutter contre l’extrémisme violent et les atrocités futures.

Ils peuvent également avoir un effet dissuasif et avertir les Canadiens qui pourraient essayer de se joindre à l’EI au cours de sa mutation et de son déplacement dans d’autres pays du monde comme la Libye, l’Afghanistan, l’Égypte, les Philippines, le Pakistan ou le Mali, où les Casques bleus canadiens viennent d’être déployés.

Si le Canada défend véritablement le multiculturalisme, le pluralisme, la primauté du droit, la justice dans le monde, les droits de la personne et l’ordre international libéral, nous devons faire preuve de fermeté et adopter une position de principe pour poursuivre ceux qui se sont battus avec l’EI. Cela inclut nos propres citoyens. Nadia Murad serait sans doute d’accord.

This article was originally published in English

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