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Le centenaire de la mort de Robespierre à travers la presse

Le Figaro, 28 juillet 1894 Retronews

Nous vous proposons cet article en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.


La science historique connaît-elle le progrès ? La question, récurrente, taraude tous ceux qui, pour en garantir l’avancement, lisent les publications antérieures. La lecture des trois pages consacrées au 9 Thermidor, journée de la chute de Robespierre, par le journal Le Figaro, le 28 juillet 1894, centième anniversaire de l’exécution du révolutionnaire et de ses amis laisse rêveur.

La publication aurait pu être faite en notre XXIe siècle, tant l’établissement des faits, la présentation des personnages et la leçon n’ont guère changés depuis. En revanche, aucun grand quotidien ne consacrerait plus pareille attention à cet épisode de l’histoire nationale, qui, pourtant, continue de miner nos mémoires et d’alimenter nos querelles.

« Robespierre, alors âgé de trente-cinq ans, était petit de taille cinq pieds, deux pouces. Son visage était renfrogné, son teint pâle et bilieux, des yeux mornes et éteints, sa voix aigre et criarde. Il rachetait cet extérieur peu avantageux par une tenue très soignée, mettant même une certaine affectation au milieu de la plupart de ses collègues débraillés, à porter des habits d’une propreté élégante. »

Au moral, il n’y avait de grand en lui que l’orgueil et l’ambition. Croyant à la puissance de la parole, il voulut être orateur ; malgré un travail acharné et une persévérance infatigable, il n’était parvenu qu’à parler médiocrement ; en revanche, il n’était point homme d’action ; jamais on ne l’avait vu payer de sa personne, et la bravoure n’était point son fait. »

A l’époque, la Révolution et Robespierre sont au cœur des débats. Trois ans plus tôt, la pièce Thermidor de Victorien Sardou avait suscité une polémique nationale, passée à la postérité pour avoir incité le député Georges Clemenceau à lancer en pleine assemblée la fameuse formule « la Révolution est un bloc », qui résonne toujours à la fois comme une injonction et une incantation. L’époque n’est guère à la modération. Les républicains n’ont réussi à diriger la IIIe République qu’en 1879, en évinçant les monarchistes qui en avaient contrôlé les institutions en espérant une restauration qui s’était révélée impossible.

Le centenaire de la Révolution a été l’occasion de multiples rappels polémiques et militants du passé, l’instauration du 14-Juillet comme fête nationale en étant le meilleur exemple. Artistes, écrivains, publicistes et historiens s’emparent des épisodes les plus remarqués pour prendre position pour et contre la Révolution et la République.

Les divisions s’aggravent, ruinant même l’unité des deux camps antagonistes. Les royalistes s’affrontent entre partisans de la branche aînée des Bourbons, dans le souvenir de Charles X et d’Henri V, et la cadette, incarnée par les Orléans, marquée par le rôle du duc d’Orléans, régicide, et son fils, Louis-Philippe 1er. Les républicains se partagent entre ceux qui voient Danton comme l’homme providentiel, sauveur de la Nation en armes, et ceux, moins nombreux, qui se réclament de Robespierre ou des meneurs sans-culottes, reconnus comme les précurseurs du socialisme.

Alors que, grossièrement, l’Académie française soutient les monarchistes et l’Université Danton les soldats de l’an II, l’auteur de cet article, Paul Gaulot, a reçu le prix Montyon, décerné par l’Académie, pour son livre Un complot sous la Terreur. Né en 1852, il se consacre jusqu’à sa mort, en 1937, à l’évocation des grands et des petits événements de la Révolution, du Consulat et de l’Empire, mais aussi de l’expédition au Mexique pendant le Second Empire, à laquelle il consacra un autre livre, lui aussi primé par l’Académie.

Dans cet article, Paul Gaulot mêle sans scrupule le récit historique au dialogue inventé entre les protagonistes, rapportant même des propos bien improbables entre Robespierre et Éléonora Duplay !

« Après la séance de la Convention, on raconte qu’il avait été se promener aux Champs-Elysées avec Éléonore Duplay, sa fiancée, et son grand chien danois nommé Brount.

Éléonore était triste et rêveuse, et mélancoliquement caressait le chien. Robespierre lui montra le couchant, où le soleil disparaissait dans un nuage empourpré.

– Ah ! c’est du beau temps pour demain, dit-elle, comme si elle eût vu là un présage heureux.

Ils rentrèrent rue Saint-Honoré, et l’on se mit à table. La promenade avait sans doute calmé le premier mouvement de pénible surprise éprouvée par Robespierre, car il fit montre d’une grande sérénité.

– Je n’attends plus rien de la Montagne, avait-il dit ; ils veulent se défaire de moi comme d’un tyran, mais la masse de l’Assemblée m’entendra. »

Il n’hésite pas à distribuer les bons et les mauvais rôles, à assurer qu’il connaît la vérité des faits les plus controversés, à commencer par le coup de feu qui détruit la mâchoire de Robespierre, ici fracassée par le coup de pistolet tiré par le gendarme Méda.

« Robespierre est assis près de la table Méda s’approche, et lui crie : « Rends-toi, traître ! » et lui présentant la pointe de son sabre, Robespierre relève la tête. « C’est toi qui es un traître, et je vais te faire fusiller », dit-il. À ces mots, Méda prend de la main gauche un de ses pistolets, tire et lui fracasse la mâchoire. Blessé, Robespierre s’affaisse sur la table et tache de son sang le papier qui se trouve devant lui. »

Pour autant il dresse un portrait ambivalent de Robespierre et du 9 Thermidor. Insistant sur le coup d’État improvisé, sur l’équivalence entre victimes et vainqueurs, comme sur la respectabilité de l’Incorruptible, il rend bien la « cruauté froide » de Robespierre responsable de « l’œuvre de mort » de la Révolution, tout en lui conférant cette aura mystérieuse qui reste encore la marque essentielle de la personnalité que la mémoire nationale lui confère toujours.

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