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Le nouveau Premier ministre Gabriel Attal salue sa prédécesseure Elisabeth Borne lors de la cérémonie de passation à Matignon le 9 janvier 2024. Emmanuel Dunand/AFP

Le choix Attal : l’hyperprésidentialisme macronien au défi de l’absence de majorité parlementaire

Le président Macron profite pleinement depuis six années des mécanismes institutionnels pour imposer son style hyperprésidentiel dans la façon de conduire l’exécutif. Mais l’absence de majorité absolue au parlement vient gripper la mécanique managériale qu’il a mise en place.

Le quatrième changement de premier ministre en six ans en offre l’illustration. Et le choix de Gabriel Attal ne garantit pas la sortie de ce qui ressemble à une impasse politique. Mais au moins il incarnera un style politique similaire à celui de son mentor.

Le fait majoritaire, pilier du présidentialisme

La Ve République repose depuis 1962 sur un socle solide : le « fait majoritaire ». Le chef de l’exécutif, élu au suffrage universel direct, dispose dans ce cas d’une majorité solide au Parlement pour faire voter les lois correspondant à l’application de son programme. Et si la majorité parlementaire renâcle sur certains sujets, les mécanismes du parlementarisme rationalisé (dont le plus connu est le fameux article 49.3 permettant l’adoption d’une loi sans vote) obligeront les éventuels frondeurs de la majorité présidentielle à se soumettre.

On a pensé que les institutions de la Ve République seraient affaiblies le jour où la majorité présidentielle et parlementaire discorderaient. Pourtant, les trois cohabitations (1986-88 ; 1993-95 ; 1997-2002) sont venues prouver que la France pouvait être dirigée, chaque tête de l’exécutif assumant toute l’étendue de ses fonctions.

Affaiblissement du rôle du premier ministre

Néanmoins, la classe politique a souhaité en 2000 mettre fin à cette situation en raccourcissant le mandat présidentiel à cinq ans, et en inversant le calendrier électoral. Le but était de faire des élections législatives qui suivent l’élection d’un nouveau président une sorte de ratification par le peuple de la présidentielle, profitant, notamment, d’un découragement des électeurs d’opposition qui laissent se (sur) mobiliser l’électorat du président élu. Cela lui laisse une majorité absolue pour gouverner et appliquer son programme.

Le fait majoritaire en sort renforcé, puisque le programme du président devient de facto le programme législatif, le premier ministre est réduit au rang de « collaborateur » du président, chargé d’appliquer fidèlement la ligne fixée à l’Élysée. Cela a pu déjà être le cas avant la réforme du quinquennat, mais c’est encore plus flagrant depuis, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron incarnant cette inclination présidentialiste – que certains qualifieront de dérive – même si ce dernier affirmait avoir changé pour l’acte II de sa mandature.

Le management politique selon Emmanuel Macron

Dès lors, Emmanuel Macron peut gérer le pays comme un PDG. Il s’entoure d’une garde rapprochée qui lui sert de conseil d’administration, opaque aux Français, et peut changer de directeur général (qu’on appellera ici premier ministre) très librement (déjà le quatrième en 6 ans et demi alors qu’en moyenne sous la Ve, les premiers ministres restent en poste 2 ans et 10 mois) pour redynamiser l’équipe – le gouvernement chargé de remplir les objectifs que le PDG lui assigne. Le Parlement ressemble alors furieusement à une assemblée générale des actionnaires ne servant que de chambre d’enregistrement, du moins si on maîtrise les droits de vote de plus de 50 % des actionnaires.

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Impasses d’un hyperprésidentialisme sans majorité

Toute cette belle mécanique se grippe dès qu’il n’y a plus de majorité absolue. Depuis un an, l’exécutif peine à dégager des majorités pour voter les textes essentiels. Il use et abuse des votes par 49.3 et s’est livré à des concessions idéologiques à l’extrême droite afin de faire voter la loi sur l’immigration. Ce passage en force s’est fait en tordant les abatis à ce qu’il est convenu d’appeler « l’aile gauche » des macroniens, et en tournant le dos au positionnement de campagne du candidat Macron. Celui-ci doit son élection à un appel à faire barrage à Marine Le Pen et avait déclaré aux électeurs de gauche qui s’étaient ralliés à lui (par défaut) que ce vote « l’obligeait ».

Et voilà le président Macron pouvant se vanter d’une loi votée qui a tout d’une victoire à la Pyrrhus. L’accouchement aux forceps de cette loi, loin de prouver l’aptitude à agir d’un Emmanuel Macron sans majorité parlementaire stable, est plutôt venu étaler ses faiblesses. S’il concède aux droites pour voter une loi, il perd sur sa gauche ce qu’il gagne là-bas, et des contestations se font alors entendre dans son propre camp.

Or, il est un épisode qu’Emmanuel Macron a vécu de l’intérieur, et qu’il ne souhaite pas voir se réitérer, c’est l’émergence du camp des « frondeurs » durant le quinquennat de François Hollande. Il veut éviter qu’une dynamique contestataire, pouvant devenir sécessionniste, apparaisse au sein des forces parlementaires soutenant le président.

La disgrâce d’une Élisabeth Borne pourtant méritante

Ainsi, loin de récompenser une première ministre loyale qui a réussi à faire voter des lois dans des procédures parlementaires très mal embarquées, le président Macron semble lui faire payer les divergences qu’elle a exprimées dans le tumulte de la loi sur l’immigration (et de ne pas avoir su faire taire celles de certains ministres et parlementaires macroniens).

C’est à cette même aune qu’on peut comprendre la saillie inattendue du président célébrant les talents de Gérard Depardieu, affirmant – contre toute vraisemblance – que la Légion d’honneur n’a rien à voir avec la morale, là où le dictionnaire de l’Académie française fait de l’honneur un « sentiment d’une dignité morale ». Le président s’est fait aussi le relais d’une fake news laissant entendre que les journalistes de France 2 auraient truqué les propos au montage. Cette faute de communication politique, qui a provoqué un lourd malaise chez les féministes, peut être interprétée comme une façon de rappeler à l’ordre la ministre de la Culture qui avait dénoncé les propos de Gérard Depardieu et les reniements de la loi sur l’immigration.

Des défis identiques avec un nouveau premier ministre

L’arrivée d’une nouvelle figure pour incarner la suite du quinquennat ne changera pas la situation politique. La quête d’une nouvelle voie/voix ressemble à un choix contraint : dans quelle impasse entrer ?

Car qui qu’il ait choisi, Emmanuel Macron restera le seul décisionnaire, l’hyperprésident qui décide de tout et qui est jugé redevable devant les électeurs. Car il continuera à être confronté au lourd défi de l’invention d’un récit, crédible, à offrir aux Français pour justifier son second quinquennat. Car se pose toujours la question, pour laisser une trace dans l’histoire, de ce qu’il incarne, et de l’existence ou pas d’un « macronisme », au sens d’ossature idéologique. Car la bonne idée qui le fit élire en 2017 du « dépassement » du clivage gauche-droite s’est largement transformée en un pragmatisme opportuniste qui brouille son positionnement, au point de faire percevoir son action comme « de droite », à la façon d’un Valéry Giscard d’Estaing, avec une politique économique très pro-business.

Il existe bien un guide qui sert de colonne vertébrale à Emmanuel Macron, même s’il ne clame jamais haut et fort, et que cela ne constitue pas un outillage idéologique : le rapport « Attali » de la Commission pour la libération de la croissance française. Commandé par Nicolas Sarkozy – alors président, son rapporteur était un jeune énarque ambitieux, un certain… Emmanuel Macron.

Relire aujourd’hui ce rapport de 2008, c’est y retrouver tous les mantras du discours macronien :

  • « Favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés » (c’est la fameuse start-up nation)

  • « Faciliter la concurrence, la création et la croissance des entreprises, par la mise en place de moyens modernes de financement, la réduction du coût du travail et la simplification des règles de l’emploi »

  • « Créer les conditions d’une mobilité sociale, géographique et concurrentielle. De permettre à chacun de travailler mieux et plus, de changer plus facilement d’emploi » (les réformes successives de l’assurance chômage par exemple)

  • « L’État et les autres collectivités publiques doivent être très largement réformés. Il faudra réduire leur part dans la richesse commune (..) faire place à la différenciation et à l’expérimentation » (abolition de certains statuts dans la fonction publique, multiplication des dérogations et expérimentations à l’embauche des fonctionnaires…)

  • « Encourager la mobilité internationale (notamment par une procédure souple de délivrance de visas aux étudiants, aux chercheurs, aux artistes et aux travailleurs étrangers, en particulier dans les secteurs en tension) ».

La mise en œuvre de ce catalogue de mesures rédigées en 2008 commence à s’épuiser, soit qu’elles aient été réalisées, soit qu’elles se heurtent à des freins politiques faute de majorité (comme pour la loi immigration), soient qu’elles ne soient plus d’actualité face aux nouvelles réalités du monde.

Attal, le style macronien à Matignon

Un dernier extrait de ce rapport vieux de 16 ans annonce aussi le style macronien :

« Avant de se lancer dans l’action, il ne faut pas que la main tremble. Le pouvoir politique sait que les Français veulent la réforme, qu’ils croient en la réforme si elle est socialement juste et économiquement efficace, et qu’ils attendent qu’elle soit conduite tambour battant ».

Emmanuel Macron ne cesse de répéter qu’il ne faut pas céder sur les réformes et face aux immenses protestations, comme on l’a vu pour la réforme des retraites. Et c’est là que le choix de Gabriel Attal fait sens, par rapport au style Élisabeth Borne, tout en retenu, en femme de dossier, fuyant les effets de manche au profit d’une posture technicienne un peu rugueuse.

Du peu qu’on a pu observer de son action en tant que ministre de l’Éducation, Gabriel Attal dessine le profil d’un excellent communicant, sachant se mettre en avant comme celui qui sait trancher, prenant des décisions fortes et symboliques rapidement, parlant haut et clair, pratiquant la triangulation en allant puiser des idéaux nostalgiques dans les discours des droites (pour prôner un retour à l’école d’antan largement mythifiée). Ces aptitudes au faire-savoir expliquent en grande partie sa nomination.

Gabriel Attal aura pour double mission de conduire la campagne électorale des élections européennes – qui s’annoncent périlleuses, et de faire ruisseler des éléments de langage prouvant que l’ambition réformiste macronienne reste intacte et sa concrétisation possible. Fidèle de la première heure, il doit toute sa carrière politique à Emmanuel Macron et incarne la jeunesse comme naguère son mentor. Gabriel Attal sera le directeur général mais aussi le directeur de la communication de l’entreprise et de la « marque Macron ». Mais pour combien de temps ? Quand l’hyperprésidentialisme se conjugue avec une logique managériale, où chaque ministre semble avoir un contrat d’objectifs, dans un contexte d’absence de majorité parlementaire et de gronde sociale, le turn-over s’accélère.

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