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Des personnes participent à une manifestation de soutien à la Palestine à Montréal, le 13 octobre 2023. La Presse canadienne/Graham Hughes

Le conflit israélo-palestinien met à l’épreuve le multiculturalisme canadien

Dans l’imaginaire collectif et la représentation sociale que l’on se fait du Canada, le pays est généralement perçu comme ouvert et accueillant envers la diversité ethnoculturelle et religieuse.

L’immigration est considérée comme une richesse au Canada et le multiculturalisme s’est érigé au fil des décennies en une valeur à protéger et à chérir, comme en fait foi l’Enquête sociale générale de 2020, où 92 % de la population l’endossait. La Loi sur le multiculturalisme canadien stipule que celui-ci « est une caractéristique fondamentale de l’identité et du patrimoine canadiens et constitue une ressource inestimable pour l’avenir du pays ».

Cependant, depuis les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, les nombreuses manifestions qui s’en sont suivies, tant en faveur que contre Israël ou en soutien à la Palestine, ont révélé des tensions liées à l’immigration. Les crimes haineux sont aussi en hausse : à Toronto seulement, on rapporte une augmentation de 132 % depuis le début du conflit.

Un homme drapé d’un drapeau bleu et blanc se tient devant une foule
Manifestation en soutien à Israël à Montréal, le 10 octobre 2023. La Presse canadienne/Christinne Muschi

Il devient ainsi impératif de s’interroger sur les risques éventuels de conflits au sein des différentes communautés canadiennes. Cela est particulièrement préoccupant pour celles qui font face simultanément au racisme et aux répercussions des conflits en cours dans leurs pays d’origine. Par exemple, le conflit historique entre hindous et sikhs suscite des inquiétudes parmi les sikhs du Canada, notamment lorsqu’un de leurs leaders a été assassiné en Colombie-Britannique.

En tant que sociologue, spécialisé dans l’éducation inclusive, j’ai rapidement constaté que le racisme et les discriminations représentent des problématiques significatives dans notre société. Récemment, j’ai rédigé un article intitulé : « Penser l’éducation inclusive dans un contexte de discriminations et de diversité au Canada » afin d’expliquer, entre autres, les limites du multiculturalisme canadien dans la lutte contre les discriminations. Conformément à la perspective du sociologue français Serge Paugam, qui voit le rôle du sociologue inclure une prise de parole « pour lutter contre toutes les formes de domination », j’analyserai comment ce multiculturalisme est mis à mal par le conflit entre Israël et la Palestine.

Un homme tient un drapeau algérien devant une foule portant des pancartes
Un homme brandissant un drapeau de l’Algérie manifeste son soutien à la Palestine, à Montréal, le 13 octobre 2023. La Presse canadienne/Graham Hughes

Augmentation des crimes haineux

Les statistiques sur les crimes haineux démontrent que des tensions existent bel et bien, malgré les résultats de l’Enquête de 2020. Ainsi, de 2019 à 2021, la communauté juive a été le groupe le plus fréquemment visé par des crimes haineux, et les signalements à la police ont connu une augmentation significative. En 2019, 306 crimes antisémites ont été signalés à l’échelle nationale. Un an plus tard, ce chiffre a atteint 331 et en 2021, il a augmenté de manière significative pour atteindre 492. Une nouvelle hausse a été enregistrée en 2022, avec 502 incidents déclarés.

Les communautés musulmanes ont également été fortement touchées par des crimes haineux : en 2019, 182 incidents ont été signalés. En 2020, ce nombre a diminué à 84, pour augmenter cependant en 2021, atteignant 144. Enfin, les catholiques ont également été la cible d’actes haineux, avec une augmentation importante des signalements : en 2019, 51 cas ont été recensés, contre 43 en 2020, et 155 en 2021.

Il semble que l’Ontario, la province qui accueille le plus grand nombre d’immigrantes et d’immigrants au Canada, soit celle aux prises avec les pourcentages de crimes haineux les plus élevés par habitant. Selon les données de Statistique Canada de 2021, Ottawa est la ville affichant le taux le plus élevé de ces crimes. Parmi les 10 premières villes canadiennes les plus touchées par le phénomène, on recense plus de huit villes ontariennes.

Un basculement de l’opinion publique

Pour le dire sans ambages, le multiculturalisme n’est pas perçu par toutes et tous comme une richesse et cette perception est exacerbée par le conflit en cours entre deux des communautés les plus discriminées au pays. Tout cela se déroule dans un contexte où les capacités d’accueil des populations immigrantes sont remises en question.

Selon un sondage d’Abacus publié le 29 novembre, plus de 67 % de la population estime qu’il y aura des tensions entre les communautés, principalement en raison du seuil d'immigration jugé excessif du gouvernement fédéral. Celui-ci vise toujours à accueillir plus de 500 000 immigrants par an au cours des prochaines années. Cela dit, Ottawa a rejeté l’Initiative du siècle, dirigée par un ancien dirigeant de la firme McKinsey, qui suggérait que la population du Canada devrait atteindre 100 millions d’ici à 2100.

Selon un autre sondage, plus de 78 % des Canadiennes et Canadiens expriment leur préoccupation quant à l’impact du conflit entre Israël et la Palestine au pays. En ce qui concerne les manifestations pro-Palestine, plus des trois quarts des gens sondés sont d’avis que le gouvernement devrait expulser du pays les personnes non citoyennes coupables de discours haineux ou de soutien au Hamas.

Manifestation en soutien à la Palestine à Toronto, le 29 octobre 2023. Plus de 78 % des citoyens canadiens expriment leur préoccupation quant à l’impact du conflit entre Israël et la Palestine au pays. La Presse canadienne/Chris Young

Ces chiffres témoignent d’un basculement important dans l’opinion publique concernant la valeur du multiculturalisme. Il ne s’agit plus seulement de sensibiliser les citoyennes et citoyens à la richesse de la diversité ethnoculturelle et religieuse du pays, mais aussi d’accompagner les différentes communautés qui vivent ou qui veulent immigrer au Canada. Selon le même sondage, plus de la moitié affirment que le gouvernement canadien devrait en faire davantage pour s’assurer que les nouveaux arrivants acceptent les valeurs canadiennes, et plus de 55 % pensent que la politique d’immigration du Canada devrait les encourager à adopter ces valeurs, notamment en abandonnant toute croyance incompatible avec le Canada.

Un monde de plus en plus complexe

Le conflit israélo-palestinien semble avoir ébranlé les fondements du multiculturalisme.

Il est frappant de constater à quel point, en si peu de temps, une valeur jugée fondamentale, soutenue par plus de 92 % de la population en 2020, peut être autant remise en question trois années plus tard. En revanche, il est important de rappeler que les crimes haineux existaient avant ce conflit, et ils indiquaient déjà que le multiculturalisme n’était pas tant respecté comme « valeur canadienne ».

Le sociologue Edgar Morin affirme que « la diversité crée la complexité et la complexité crée la richesse ». Certes, le multiculturalisme canadien mise à juste titre sur la richesse de la diversité, mais il est appelé à se renouveler dans une société et un monde de plus en plus complexes.

Parfois, le multiculturalisme canadien donne l’impression que les communautés vivent côte à côte, dans la tolérance de l’Autre, sans pour autant coconstruire une société d’appartenance pour toutes et tous. Il ne faudrait pas laisser la situation sociale se détériorer, car on ne souhaite pas vivre face à face.

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