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Le consentement pris dans la quête ultime du plaisir partagé

Le consentement est une affaire de communication indispensable à la recherche du plaisir mutuel. Shutterstock

Depuis les affaires Strauss-Kahn, Weinstein – dont s’ouvre le procès – et désormais Maztneff, la question du consentement, titre de l’ouvrage de Vanessa Springora (publié le 2 janvier 2020 chez Grasset) est au cœur des réflexions féministes.

Selon l’enquête intitulée « Baromètre santé 2016, Genre et sexualité », 18,9 % des femmes interrogées déclarent avoir été confrontées à des rapports sexuels forcés ou à des tentatives de rapports forcés. 5,4 % des hommes interrogés déclarent avoir connu ces mêmes problématiques.

Le consentement distingue un acte sexuel licite d’un acte illicite (violence sexuelle) et pour que le « oui » soit viable il doit être donné librement et par un individu éclairé. Ainsi, l’accord ne doit pas être donné sous la contrainte (menace de rupture, intimidation, etc.) et le partenaire doit être au fait des tenants et aboutissants de l’acte auquel il va s’adonner.

Certaines questions se posent, notamment dans le cadre où l’individu ne connaît pas bien son/ses partenaires : comment obtenir le consentement « libre et éclairé » d’une personne avant de se livrer à une partie de « jambes en l’air » ? Faut-il nécessairement que ce consentement soit verbalisé ? Et comment éviter que cette verbalisation devienne un « tue-l’amour » ?

Deux exemples d’outils préventifs

Suite aux scandales sexuels évoqués, des outils d’éducation et de prévention ont été développés ou repris dans l’espace européen.

L’un de ces outils est une vidéo intitulée « Tea consent ». Ce petit clip insiste sur la communication et suggère de proposer une relation sexuelle comme on proposerait une tasse de thé. Il invite surtout à accepter les refus du partenaire ainsi qu’à prendre en considération les situations où celui-ci ne serait pas en mesure de formuler un choix éclairé, par exemple en cas d’ivresse.

« Consent : It’s as simple as tea » (Blue Seat Studios, 2015).

Une entreprise néerlandaise a développé l’application « LegalFling » qui aurait pu s’avérer être un outil intéressant pour la recherche du consentement si elle ne s’était pas vue supprimée d’Apple Store et de Google Play Store pour son contenu « mature ».

L’idée consistait à envoyer via l'application une liste de pratiques sexuelles à la personne désirée, qu’il ou elle pouvait accepter ou refuser.

De l’importance de détailler l’activité

Contrairement à la vidéo, cette application souligne une problématique importante : toutes les relations sexuelles ne se ressemblent pas. Par conséquent, il s’avère nécessaire d’expliciter le menu des réjouissances.

En effet, les scripts sexuels sont divers et peuvent varier d’une fois à l’autre. Consentir à « faire l’amour » n’a que peu de valeur si le partenaire n’est pas informé des activités que cela sous-entend.

Ce programme peut d’ailleurs faire l’objet d’une négociation : avec ou sans sodomie ? Agrémenté de petits jeux de domination (usage de menottes, cagoule, bâillon, etc.) ? L’activité sexuelle est tout sauf une évidence et il importe de préciser ce que chacun entend par là.

Toutes les relations sexuelles ne se ressemblent pas, il convient donc d’expliciter le menu des réjouissances. efes/Pixabay

Des protocoles inspirés du milieu médical

Ces protocoles de recherche du consentement, développés à travers ces outils préventifs, s’apparentent à celui développé dans le milieu médical, basé sur la négociation explicite et la contractualisation de l’acte. Le patient est informé de la procédure, des risques encourus et des autres options qui se présentent à lui et le consentement est attesté par écrit.

Cette procédure vise à réduire l’influence du médecin sur son patient afin d’obtenir de la part de ce dernier un consentement aussi libre et éclairé que possible. On retrouve, dans les protocoles sexuels cités, la volonté de verbaliser la négociation et, dans le cas de l’application, le fait de détailler le projet et de conserver une trace de l’accord.

Cependant, ces protocoles n’assurent en rien l’obtention d’un consentement pleinement libre et éclairé (si toutefois cela est possible) car ils n’encouragent pas à la transmission d’informations qui permettraient de réduire les inégalités de connaissances entre les partenaires. Néanmoins, ils peuvent sembler rassurants, car la recherche du consentement est explicite et que l’accord ou le désaccord est clairement énoncé. C’est là une façon de procéder afin de parer aux violences sexuelles, mais il en existe d’autres.

« Aventuriers du sexe »

Une recherche de consentement explicite peut s’avérer problématique, tout particulièrement pour celles et ceux pour qui la sexualité rime avec aventure. C’est le cas des personnes rencontrées au cours de ma recherche doctorale : dix pratiquants, quatre femmes et six hommes, ayant entre 37 et 85 ans, contactés régulièrement sur une période de quatre ans.

Ces dix pratiquants ne font pas communauté mais ont été sélectionnés pour leur capacité à parler et à penser le plaisir sexuel dans sa complexité et sa diversité.

De ce fait, ils ne partagent pas tous la même orientation ni les mêmes goûts en matière de pratiques sexuelles. Certains ont une attirance accrue pour le latex, d’autres pour les pratiques sadomasochistes, d’autres encore pour les jeux d’urine, etc. Mais, au-delà de ces différences, ils sont tous avides d’expériences insolites et de frissons. Pour eux, la sexualité est moins affaire de rapports génitaux que d’expériences extraordinaires, imprévues.

En outre, certains apprécient tout particulièrement quand l’expérience sexuelle se déroule « naturellement », autrement dit que les désirs et plaisirs des partenaires semblent s’ajuster comme par magie, sans avoir à communiquer ou à négocier de façon trop explicite.

Le besoin de sécuriser l’aventure

De par ces fantaisies, ils ont besoin de rendre la négociation de l’activité sexuelle aussi discrète que possible et de ménager une part de surprise, d’intrigue pour trouver satisfaction. Cela peut impliquer une part de risque : une surprise peut être bonne mais peut également déplaire.

Il importe à ces aventuriers que tous les participants « aux jeux » trouvent, d’une façon ou d’une autre, satisfaction sexuelle. La satisfaction du partenaire est une source de plaisir personnelle pour les informateurs rencontrés et l’abus de pouvoir, visant à favoriser son propre plaisir, est fortement réprouvé.

Par conséquent, ils cherchent à maîtriser tous les phénomènes susceptibles de contrecarrer la perception de plaisir, pour soi comme pour autrui, en l’occurrence les « abus » et les évènements « déplaisants ».

Ainsi l’aventure recherchée est paradoxalement une aventure sécurisée qui va leur demander de développer des trésors d’imagination pour être menée à bien.

L’autre, un territoire à explorer

Afin de générer les sensations d’extraordinaire, de risque qui caractérisent l’aventure, certains informateurs ont tendance à privilégier des partenaires qu’ils ne connaissent pas et qui, a priori, ne partagent pas nécessairement leurs goûts sexuels. L’autre se fait alors territoire à explorer, riche en surprises. Tout le jeu consiste à deviner l’autre, à découvrir ses désirs, son potentiel pour conserver du mystère tout en sécurisant la relation.

Pour ce faire, ils ont développé une multitude de méthodes. Par exemple, ils peuvent tester le partenaire en l’emmenant dans une exposition d’art érotique, en analysant ses réactions face aux œuvres. Cela permet de cerner, petit à petit ses goûts et ses limites.

Peinture de ukiyo-e japonaise, de Keisai Eisen (1848). Keisai Eisen/Wikimedia

Ils peuvent également interpréter un personnage en rupture avec les conventions (par exemple l’« obsédé », le « rebelle ») grâce à leurs discours.

Par exemple, plusieurs personnes interrogées se plaisent à conter des anecdotes de leur jeunesse : comment ils s’amusaient à regarder sous la porte des toilettes pour voir leurs petites camarades uriner, comment ils ont détourné le bouchon d’une carafe en verre pour en faire un bijou anal, etc. Ils présentent ainsi, l’air de rien, leurs goûts et leurs tendances. C’est une façon de communiquer.

Cela permet également de repousser les partenaires discordants : le partenaire peut progressivement cerner le personnage, deviner à quelle sauce il va se faire manger, et mettre fin à l’expérience si cela ne lui convient pas.

Après cette première phase de test, ils se lancent dans une démarche d’expérimentation proche de celles menées par les scientifiques : ils vont faire une expérience (approcher le doigt de l’anus), observer les réactions (contractions, gémissements…), analyser ces résultats (positif, négatif) et réajuster leur projet (continuer sur cette voie ou en choisir une autre). En cas de doute ils proposent explicitement au partenaire de stopper l’expérience. C’est là leur façon de découvrir l’autre et de négocier l’activité sexuelle.

Une affaire de degrés

Ce sont là quelques techniques parmi bien d’autres, employées afin de sécuriser l’activité sexuelle tout en évitant au maximum la négociation explicite et sans avoir à prédéfinir entièrement le programme des festivités.

La généralisation de la contractualisation explicite du consentement, nécessitant une mise en scène particulièrement explicite et de nombreuses précisions, pourrait contrarier cette construction de l’évènement comme une aventure. Négocier ouvertement un accord et surtout prédéfinir les activités en amont iraient à l’encontre de leurs perspectives érotiques dans la mesure où cela briserait la sensation de surprise, l’impression que tout se fait « naturellement » et que tout est possible. Un informateur explique d’ailleurs, à propos du contrat opéré entre les deux personnages principaux du roman « Cinquante nuances de Grey », que cela est contraire à sa conception du plaisir :

« Y’a une scène qui est insupportable où le gars entraîne la petite jeune dans ses aventures érotiques et il lui fait signer une charte avant. Ça veut dire qu’il y a un certain nombre de choses qui ne se feront pas de toute façon, y’aura pas de merde, y’aura pas de pisse, y’aura pas de sang, y’aura pas de ceci, y’aura pas de cela… c’est complètement antinomique avec le plaisir. »

Tout est affaire de degrés et de mise en scène : pour les aventuriers la négociation est possible et même nécessaire, y compris verbalement, mais il importe de nourrir l’impression que le programme des activités sexuelles ne soit pas totalement scellé, notamment en usant d’autres méthodes préventives plus discrètes. Je présume que les protocoles actuellement proposés risquent de contrarier la mise en scène d’une sexualité aventureuse, et de ce fait la perception de certains plaisirs sexuels s’ils se font norme.

Une question se pose alors : n’aurait-on pas intérêt à développer d’autres outils préventifs, respectueux de la diversité des fantaisies sexuelles, de sorte à encourager une sexualité sécurisée et épanouissante pour tous ?

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