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Une vue de la rue Saint-Catherine presque vide pendant le couvre-feu, à Montréal, le mardi 12 janvier 2021. LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson

Le couvre-feu au Québec : une mesure qui n’a pas encore prouvé son efficacité

Plus de deux mois après son adoption au Québec, il est encore difficile de prouver l’efficacité du couvre-feu, tout comme il est difficile de juger de son inefficacité.

Depuis que le Canada a confirmé son premier cas de la Covid-19, le 20 février 2020, les différents paliers de gouvernement s’efforcent d’en contrôler la transmission.

Comme la santé au Canada est une compétence provinciale, chaque province a une stratégie différente en réponse à la transmission du virus. L’Ontario et le Québec ont choisi des approches différentes. Une des mesures qui marque une différence entre les deux approches est celle du couvre-feu.

Le 9 janvier 2021, le Québec a d’abord instauré un couvre-feu de 20h00 à 5h00 sur l’ensemble de son territoire. Le 3 mars, il a repoussé le couvre-feu à 21h30 dans les régions en zone orange, puis le 16 mars en zone rouge. Plusieurs experts se questionnent sur son efficacité. Plus de deux mois plus tard, la mesure est encore en place.

En tant que chercheuse indépendante et professeure adjointe à l’Université de Waterloo, je travaille sur des programmes en santé environnementale et santé publique depuis 2009, particulièrement sur les éléments clés du cadre conceptuel de gestion du risque en santé (analyse du risque, perception et contexte social, évaluation des mesures). Dans ce qui suit, j’ai comparé l’évolution récente du nombre de nouveaux cas au Québec et en Ontario.

Des courbes similaires

Lorsque l’on compare les données de l’Ontario et du Québec depuis l’implantation du couvre-feu au Québec, on voit que les courbes de nouveaux cas suivent des parcours similaires. L’Ontario n’a par contre pas de couvre-feu. Il semble donc que la décroissance relative au nombre initial de cas est similaire dans deux provinces canadiennes voisines, avec ou sans couvre-feu.

Cette diminution de nouveaux cas dans les deux provinces durant le mois suivant les fêtes d’hiver laisse penser que c’est le comportement normal de la population à cette période de l’année, couplé aux mesures de santé publique, qui est responsable de cette situation avec ou sans couvre-feu.

L’évolution des cas de la Covid-19 au Québec et en Ontario (8 janvier au 19 mars 2021).

Dans les deux provinces, on observe aussi qu’il y a un plateau du nombre de nouveaux cas environ un mois après l’instauration du couvre-feu au Québec. On peut penser que ce plateau est une saturation de l’effet découlant des restrictions en place.

La proportion d’éclosion provenant hors milieu de travail, milieu de soins, établissement scolaire ou garderie est faible, et se tient sous les 5 % des éclosions au courant du dernier mois.

Les industries manufacturières et les commerces (de détail et en gros) sont des milieux professionnels responsables d’un grand nombre d’éclosions. En nombre de cas, les écoles à elles seules sont responsables de 11 % des cas actifs en date du 18 mars. À ce nombre s’ajoutent les contacts domiciliaires de la personne déclarée positive. Une économie saine et l’accès à l’éducation de qualité sont des déterminants importants pour la santé d’une population, mais contribuent à la transmission du virus entre bulles familiales, sociales et professionnelles.

L’école primaire Marguerite-d’Youville est fermée après que deux élèves aient été infectés par une variante du virus de la Covid-19. Photo prise le samedi 20 février 2021, à Cap-Rouge, en banlieue de Québec. LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot

Depuis la fin de février, il semble y avoir moins d’effets des mesures sur le nombre de cas au Québec. Une hypothèse est la fatigue de la population face au respect de ce couvre-feu. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) note d’ailleurs qu’un changement à l’adhésion aux mesures sanitaires (fatigue ou difficulté à suivre les mesures sanitaires) est un facteur important pour estimer l’évolution de la transmission.

Les résultats préliminaires du couvre-feu au Québec n’indiquent donc pas que le couvre-feu atteint les objectifs, mais n’écarte pas non plus son efficacité de prévention de transmission, particulièrement lorsque l’on compare le nombre de cas par habitant, qui augmente plus en Ontario qu’au Québec depuis mi-février.

Depuis cette période, le Québec contrôle mieux l’épidémie et conserve un taux de reproduction faible (nombre de personnes qu’un cas positif contaminera), alors que l’Ontario a légèrement perdu le contrôle des transmissions.

La prévention des nouveaux cas est particulièrement importante, car les variants, plus contagieux et mortels, représentent une portion croissante des nouveaux cas, particulièrement en Ontario.

Il faut par contre noter qu’il est délicat de comparer deux provinces qui ont une culture sociale, des politiques et des infrastructures sanitaires différentes.

L’effet du couvre-feu incertain

Les défenseurs d’un couvre-feu utilisent généralement des arguments logiques pour prédire l’efficacité de cette mesure. Si les gens restent à la maison et ne socialisent pas avec des personnes extérieures à leur foyer, ils réduisent considérablement leurs chances d’attraper ou de propager des maladies.

La Jordanie et la France sont parmi les pays ayant implanté un couvre-feu. La Jordanie a implanté un couvre-feu à l’échelle nationale en mars 2020 dans un objectif de favoriser la distanciation sociale, ainsi que de permettre aux équipes d’enquêtes épidémiologiques de retracer les contacts des patients et de les isoler. La précocité de la réponse de la Jordanie a été identifié comme un élément clé de son succès. Toutefois, le Québec a misé sur le couvre-feu près de neuf mois après l’arrivée du virus sur son sol.

La France a également implanté un couvre-feu afin de contrôler la transmission de la Covid-19 après la période des Fêtes. Par contre, ce couvre-feu a été implanté en même temps que d’autres mesures, ce qui ne permet pas d’établir un lien de cause à effet concernant l’efficacité de cette mesure. De plus, cette mesure n’a pas enrayé la transmission, mais a surtout freiné l’accélération.

L’hypothèse principale des chercheurs est que le couvre-feu a limité les interactions des jeunes adultes dans les bars et dans les restaurants. Toutefois, les bars et restaurants au Québec devaient déjà se plier à plusieurs mesures qui alternaient entre des heures de fermeture devancées et la fermeture des salles à manger selon la couleur de la zone.

Un échec sur l'Île-de-France

Le couvre-feu français est un cas très intéressant. Les auteurs rapportent que les mesures de couvre-feu ont réduit l’accélération de la transmission davantage pour le groupe de plus de 60 ans. Pour la plus jeune population âgée de moins de 19 ans, les mesures de couvre-feu ne semblent pas avoir réduit la progression. Dans cette tranche d’âge, le confinement qui limite certaines activités ainsi que les déplacements au long de la journée semble avoir été plus efficace que le couvre-feu, à domicile, limité seulement à une certaine période de la journée.

Une étude de modélisation sur les données françaises mentionne que le couvre-feu a eu l’effet inverse dans la région de Toulouse, qui a eu un taux de cas plus élevé qu’attendu. Cette étude laisse croire que certaines mesures sanitaires pourraient être mal adaptées aux situations locales. Le 18 mars, Le Monde rapportait l’échec du couvre-feu pour contenir la transmission du virus sur l’Île-de-France (région parisienne).

À l’heure actuelle, nous manquons de données sur le fonctionnement des couvre-feux en tant que mesure unique. Les couvre-feux contribuent possiblement à freiner la transmission de la maladie infectieuse, mais pourraient avoir des effets très limités dans un contexte multi-interventions (ou de type fromage suisse) comme on retrouve au Québec (port du masque, confinement, diminution des heures d’ouverture des commerces et restaurants, distanciation physique, travail à domicile, mesures pour les voyageurs).

Un test pour la levée du couvre-feu ?

Selon certains experts, la décision du gouvernement de repousser l’heure du couvre-feu, même en zone rouge, donc dans la région de Montréal, laisse entendre qu’on souhaite tester l’effet de la levée à venir de cette mesure.

Par contre, cela arrivera en même temps que le printemps, le beau temps, le sentiment de sécurité que les efforts de vaccination pourraient entraîner et la fatigue de la population face aux restrictions.

Il sera donc difficile d’établir une cause à effet entre un retrait du couvre-feu et une possible augmentation des cas. Dans un contexte de confinement élevé, entraînant déjà des effets négatifs sur la santé, dont un manque d’activité physique, une mauvaise alimentation et une détérioration de la santé mentale de la population, il est important d’évaluer le rapport entre les risques et les bénéfices d’une mesure additionnelle, dont l’efficacité est mitigée.

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