« Vous avez le devoir d’inventer ! », voilà à quoi Emmanuel Macron alors ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique avait exhorté les étudiants de Sciences Po en juillet 2015 pour la cérémonie de remise des diplômes de l’école.
De fait, les premiers signes de son quinquennat sont placés sous le sceau du management, présenté comme un élément de renouveau de l’action publique. Les futurs députés « En Marche ! » ont été investis sur la base d’un CV et d’un entretien puis réunis lors d’un séminaire de « cohésion » au musée du Quai Branly. Le gouvernement est composé de spécialistes de leur sujet, issus du monde de l’entreprise ou de la haute administration, cela a déjà été dit. La composition des cabinets ministériels qui vient d’être publiée est sur la même ligne : un nombre restreint de hauts fonctionnaires, choisis pour leurs compétences techniques ou sectorielles. Exit les professionnels de la politique, voici venir les managers de l’État.
Certains crient au scandale démocratique puisque beaucoup de ces personnels n’ont jamais été élus. On s’inquiète de l’invasion des pratiques du privé au sein de l’État. D’autres louent l’audace managériale du nouveau président de la République…
Introduire du management dans l’action publique : est-ce vraiment nouveau ?
Non ce n’est pas nouveau.
Dans les années 1980 (mais oui ! l’ère mitterrandienne) est apparu en France par diffusion du modèle anglo-saxon ce que l’on a appelé le new public management. En fait de nouveauté il s’agissait d’introduire dans l’action publique des outils issus de l’entreprise.
C’est ainsi que sont par exemple apparus le contrôle de gestion dans les universités, la comptabilité à base d’activité à l’hôpital ou encore le marketing territorial.
Depuis, un grand nombre de recherches, notamment en sciences de gestion, ont remis en cause la pertinence de cette transposition du privé au public : critères inadaptés à un service (les soins palliatifs ne peuvent pas être évalués sur la rotation des lits) ; pression non gérée sur les ressources humaines ; instrumentation des outils de gestion (le culte de la performance donne du pouvoir à de nouvelles fonctions).
En particulier, il a été démontré que la mise en œuvre d’instruments comptables et financiers dans le secteur public traduit en réalité une vision sous-jacente de l’organisation et ne reconnaît pas la spécificité et la diversité des missions publiques.
Oui cela peut être innovant… à condition d’être pensé dans un écosystème
L’innovation publique est définie sur le site Internet du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique comme
« une administration en mouvement, qui promeut l’innovation dans les services publics, de la conception à la mise en œuvre des politiques publiques ».
Elle est encore souvent appréhendée sous le prisme de l’innovation managériale appliquée au secteur public au niveau des outils et de l’organisation ce qui en limite, à la fois la pertinence et la portée comme nous venons de le voir.
En revanche, pensée en termes d’influence et de co-construction, l’introduction de management dans l’action publique peut être innovante.
Il s’agit en premier lieu d’optimiser l’influence des entreprises qui développent des stratégies politiques destinées aux décideurs publics. Certes, le lobbying inquiète pour ses dérives et a été récemment réglementé en France par la loi Sapin 2. Pourtant, ces stratégies privées peuvent impacter les politiques publiques… parfois de manière innovante.
Ainsi parmi les lauréats 2016 de l’observatoire national de l’innovation publique, Territoria, figure la Mairie du 9e arrondissement de Paris (acteur public) qui a proposé à la fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) (acteur privé lié au secteur lucratif) une collaboration. Ces deux acteurs se sont entendus pour mener avec les riverains une action de développement durable visant à mettre en place un tri sélectif ou participer à la végétalisation de l’arrondissement.
Par ailleurs, les citoyens, de manière individuelle ou par le biais d’associations, vont être amenés à intervenir. Ils ne sont plus simplement des objets du management public mais également des sujets. Les théories de la réception de l’action publique montrent notamment des « ressortissants » [destinataires de la politique publique] peuvent être coproducteurs de l’action publique. Les territoires, propices à l’expérimentation sont parfois qualifiés de « hautement citoyens ».
Des réseaux d’acteurs et des outils existent pour favoriser cette démocratie locale. Il va sans dire qu’Internet et les réseaux sociaux catalysent l’intervention citoyenne dans la fabrique des politiques publiques en favorisant l’accès à l’information et la capacité de mobilisation de chacun.
La notion de design de service est souvent utilisée pour caractériser l’intervention des usagers dans le processus de co-construction des politiques publiques. Par exemple pour la politique de la petite enfance, les parents sont impliqués dans la réforme de l’attribution des places en crèche à Orléans, via des ateliers de créativité que ne renierait pas une start-up.
Et le déni de démocratie me direz-vous ?
N’aurons-nous plus d’ouvrier à Matignon… ? Peut-être pas mais un ancien ouvrier passé par la formation continue c’est possible, un enfant d’ouvrier passé par l’école de la République c’est probable. C’est donc à la qualité de la formation des managers publics qu’il faut s’intéresser à court terme ; à l’égalité des chances dans l’éducation nationale comme à la place de la formation continue dans l’enseignement supérieur qu’il faut s’atteler sur le plus long terme.
Madame la Ministre Frédérique Vidal, Monsieur le Ministre Jean‑Michel Blanquer, l’innovation publique de demain et d’après-demain est entre vos mains !