Menu Close
pancarte à louer
Un appartement à louer à Montréal, le 15 mai 2023. LA PRESSE CANADIENNE/Christinne Muschi

Le logement est bien plus qu’un bien marchand. Et la crise actuelle ne se réduit pas à équilibrer l’offre et la demande

La crise du logement est un défi mondial : près de 1,6 milliard de personnes vivent dans des conditions précaires ou inadéquates. Et ce nombre pourrait même doubler d’ici 2030, selon l’UN Habitat.

Le Canada n’est pas épargné. Amplifiée par la pandémie de Covid-19, la demande de logements y surpasse largement l’offre. D’ici 2030, 3,5 millions de logements supplémentaires seront nécessaires. Et pour y faire face, les initiatives gouvernementales se multiplient.

En tant que professeur en études urbaines à l’Université du Québec à Montréal, je m’intéresse à la manière dont les villes canadiennes contribuent aux 17 Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, notamment le 11e, qui vise à rendre les villes inclusives, sûres, résilientes et durables.

Les gouvernements se mobilisent

En septembre 2023, le gouvernement du Canada a annoncé une exonération de la TPS pour la construction de nouveaux immeubles locatifs, dans l’optique d’alléger les coûts pour les constructeurs. Cette initiative s’ajoute à celles de la Stratégie nationale sur le logement lancée en 2018, un plan de 82 milliards de dollars étalé jusqu’en 2028. Ce plan englobe des subventions pour de nouveaux logements abordables, la rénovation, le soutien au logement communautaire et la promotion de la recherche en matière de logement.

Les gouvernements provinciaux et municipaux sont également à pied d’œuvre. Par exemple, l’Ontario multiplie les soutiens financiers aux projets immobiliers. Le Québec propose, entre autres, une Allocation-Logement aux ménages les moins aisés. Et la Colombie-Britannique a instauré la Housing Supply Act, adoptée en 2022, visant à mieux cibler les besoins en logement en collaboration avec les municipalités.

Plusieurs villes, comme Toronto, Vancouver, Montréal et Québec, adoptent des stratégies pour augmenter la densité et favoriser la construction de logements sociaux et locatifs, collaborant souvent avec des entités communautaires pour innover.

L’objectif de ces mesures ? Faire passer le taux d’inoccupation des logements de 1,9 % au Canada et de 1,7 % dans les grandes villes du Québec à une fourchette de 3 à 4 %, considérée comme un équilibre entre l’offre et la demande de logements.

La valeur sociétale du logement

Cependant, la crise du logement ne se réduit pas simplement à une équation où il suffit d’équilibrer l’offre et la demande. Agir sur l’offre, en stimulant la construction et sur la demande, en fournissant des aides financières aux ménages, peut avoir un impact temporaire. Mais ces mesures ne ciblent que les symptômes de la crise, et non ses causes fondamentales.

Pourquoi ? Parce que le logement est bien plus qu’un bien marchand : il représente un foyer, un espace de vie et un élément structurant du tissu urbain, social et économique. Sa valeur sociétale dépasse ainsi sa valeur marchande, avec des implications sur l’accès aux services et aux lieux d’emploi, sur la stabilité de la population et l’attractivité urbaine, sur la santé physique et mentale ainsi que sur la compétitivité des entreprises locales.

La crise actuelle ne provient pas seulement d’un manque absolu de logements, mais surtout d’une pénurie relative de logements adaptés aux revenus de la majorité des habitants de chaque ville. À Montréal, par exemple, le taux d’inoccupation pour les logements abordables pour les ménages les moins fortunés est seulement de 1 %. En revanche, pour les ménages à revenus moyens et élevés, il est de 5,4 %. À Québec et à Gatineau, la situation est similaire, montrant que la compétition pour accéder à un logement est plus rude pour les individus et les familles les plus exposés à la crise.

La vision mercantile de la propriété a érodé sa valeur sociétale, transformant ce qui était autrefois un rêve en un simple outil d’investissement où l’objectif est d’acheter, rénover, fixer un loyer en fonction de l’investissement et séduire une population plus aisée.

Des conséquences pour les citoyens et les entreprises

Les conséquences sont nombreuses. D’une part, les prix élevés des propriétés ont transformé beaucoup de citoyens en locataires à long terme, écartant leur rêve de propriété. Cette situation crée une tension sur le nombre de logements locatifs disponibles, particulièrement pour les étudiants et les nouveaux arrivants. L’écart croissant entre les loyers des logements vacants et ceux occupés a aussi ralenti le taux de roulement, comme illustré à Québec et à Gatineau.

Les populations économiquement précaires subissent les effets les plus sévères, devant opter pour des logements basés sur leur capacité financière plutôt que leurs besoins. Cela se traduit par une baisse de la qualité de vie, des trajets plus longs vers les lieux de travail et de services ainsi que des coûts de transport augmentés.

Enfin, cette situation impacte directement le développement économique régional. L’augmentation rapide des loyers par rapport aux salaires peut diminuer la compétitivité des entreprises locales qui peinent à attirer et retenir les talents. Cette situation peut entraîner une baisse de la productivité (par exemple, des employés stressés par leurs finances), des temps de trajet plus longs pour les employés (choisissant de vivre en périphérie où le coût de logement est moindre), un frein à l’innovation régionale (avec moins d’entrepreneurs prêts à prendre des risques dans des zones chères) et la migration des talents vers des régions plus abordables.

homme noir travaille de la maison
Les employeurs pourraient contribuer financièrement aux coûts du logement des employés en télétravail. (Shutterstock)

Des solutions existent

Pour aborder la crise, le logement doit avant tout être considéré comme un service sociétal essentiel et non seulement comme un bien marchand. Quatre pistes de solution peuvent compléter les interventions publiques actuelles.

Ajuster les loyers aux réalités économiques locales. En plus des mesures gouvernementales actuelles visant à stimuler l’offre (par plus de constructions) et la demande (par l’aide financière aux ménages), l’idée est d’établir une fourchette de loyers acceptable en fonction des capacités financières des résidents locaux. Les propriétaires dépassant cette fourchette pourraient être soumis à des mesures fiscales, dont les recettes permettraient de soutenir des logements plus abordables. Un tel calcul peut paraître complexe, mais pas impossible à réaliser en travaillant, par exemple, avec le milieu universitaire. C’est pourquoi l’instauration d’un registre des loyers, comme le suggèrent 14 maires et mairesses au Québec, est pertinente.

Faire des employeurs des alliés. L’accès à un logement est devenu un atout pour attirer et retenir la main-d’œuvre. Les employeurs pourraient offrir des primes « logement » aux employés à faibles revenus. Pour ceux en télétravail, les employeurs pourraient contribuer financièrement aux coûts du logement (loyers et dépenses liées au travail). Comme de telles mesures contribuent au succès des entreprises, elles pourraient être appuyées par les agences de développement économique.

Soustraire les groupes vulnérables de la compétition. Les jeunes, les familles monoparentales, les personnes âgées, les Premières Nations et les nouveaux arrivants doivent être soustraits de la compétition pour le logement, car ils ne sont pas en position de concurrence équitable. Des taxes sur certains logements de luxe, par exemple, permettraient de générer des fonds dédiés aux logements de ces groupes.

Enfin, des alternatives comme les résidences intergénérationnelles ou les micrologements temporaires pourraient être encouragées. Ces modèles offrent des solutions abordables et adaptées à divers besoins temporaires, surtout en milieu urbain.

Considérer le logement simplement comme un bien marchand à la merci des forces du marché est réducteur. Il a une profonde valeur sociétale, et c’est en la reconnaissant et en la préservant que nous aborderons la crise de front.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now