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Vue 3D d'artiste d'une main couverte de microorganismes
Notre peau est couverte de 1000 à 1 millions de microorganismes par cm2. Christoph Burgstedt/ Shutterstock

Le microbiote cutané, notre première barrière protectrice

Vous vous lavez chaque jour (du moins on l’espère), mais cela n’empêche pas votre peau d’héberger une flore microbienne dense et diversifiée désignée aujourd’hui sous le nom de microbiote cutané.

On compte pas moins de 1 000 à 1 million de microorganismes par cm² de peau. Principalement situés en surface de la peau, sur l’épiderme, ils colonisent aussi, sans que l’on ait à s’en inquiéter, l’intérieur des glandes sudoripares et des glandes sébacées ainsi que la gaine des poils.

On considère ainsi qu’un quart du microbiote cutané est localisé à l’intérieur de la peau, ce qui expliquerait en grande partie pourquoi cette dernière est rapidement recolonisée malgré les lavages intempestifs ou les pulvérisations de déodorants ou de parfum.

Qui sont les « microbes » de la peau ?

Ce microbiote est composé en grande majorité de bactéries, mais on trouve aussi une importante population de virus, de champignons microscopiques, de levures, d’archées (anciennement « archébactéries ») et même des acariens. Les proportions de ces différents microorganismes varient selon les zones de la peau, zones grasses telles que le front, zones sèches comme l’avant-bras ou zones humides comme les plis du coude ou de l’aine. Le microbiote cutané des pieds est un cas à part.

Les bactéries en sont la composante la mieux étudiée. On compte plus de 1000 espèces différentes, mais elles n’appartiennent qu’à trois grands groupes (phylum)… Cela est très probablement lié au fait que la peau n’est pas un environnement qui leur est particulièrement favorable : seules certaines espèces ont donc réussi à s’y adapter.

À la naissance, la peau du bébé est stérile mais se retrouve rapidement colonisée par des bactéries d’origine maternelle (bactéries lactiques vaginales et bactéries cutanées). Ce n’est qu’à partir de trois mois qu’on commence à observer des différences selon les régions de la peau. Le microbiote cutané infantile reste toutefois différent de celui de l’adulte jusqu’à la puberté. Il acquiert alors quasiment sa composition définitive.

Le microbiote cutané reste à peu près stable tout au long de notre vie d’adulte mais voit sa diversité augmenter avec l’âge – en partie en raison de l’augmentation de rugosité de la peau et l’apparition des rides qui offrent autant de niches privilégiées aux bactéries… On observe aussi des différences de composition entre hommes et femmes, avec une plus grande diversité des populations bactériennes chez ces dernières qui a été attribuée à l’utilisation plus importante de cosmétiques.

Une famille avec des membres de tous âges
Le microbiote cutané s’acquière après la naissance. Il se met en place jusqu’à la puberté pour ensuite peu évoluer à l’âge adulte. Mais même alors, des différences s’observent : les femmes et les personnes âgées présentent une diversité microbienne plus élevée. Pressmaster/Shutterstock

Un rôle de premier plan dans notre bonne santé

Comme l’ont montrées des études réalisées dans des cas pathologiques et chez des populations urbaines, rurales ainsi que chez individus éloignés de la société industrielle, une peau saine c’est d’abord une peau avec un microbiote cutané diversifié.

En effet, il constitue la première barrière vivante entre notre organisme et l’environnement. Sa diversité est associée à une large colonisation de la peau, ce qui laisse peu de place à d’autres germes potentiellement pathogènes pour s’implanter : un rôle fondamental de notre microbiote cutané est donc de nous protéger contre les agents pathogènes transmis par l’environnement.

Et ce rôle n’est pas uniquement passif. De nombreuses bactéries cutanées dites commensales (associées universellement à la peau saine) sont aussi capables de produire des molécules, souvent des peptides (sorte de « mini protéine »), qui ont des activités bactéricides contre des germes indésirables.

C’est le cas par exemple de Staphylococcus epidermidis qui produit des peptides appelés bactériocines capables d’inhiber la croissance d’autres espèces comme Staphylococcus aureus (Staphylocoque doré), impliqué lui dans de nombreuses infections cutanées. Certains de ces peptides produits par S. epidermidis ont même la capacité d’attirer les cellules immunitaires de la peau et de renforcer l’effet des molécules de défense produites par la peau elle-même.

D’autres bactéries, telles que Cutibacterium acnes (ex Propionibactérium acnes), qui n’est pas nécessairement impliqué dans l’acné, agissent de façon plus simple en produisant un acide, l’acide propionique, qui baisse le pH de l’environnement cutané et empêche le développement des microorganismes concurrents.

Notre microbiote cutané est donc une barrière vivante contre les germes pathogènes de l’environnement.

Un collaborateur incontournable de notre système immunitaire

Une seconde fonction majeure du microbiote cutané est de contribuer au bon développement ainsi qu’à la maturation de notre système immunitaire.

À cet égard, il est intéressant de noter que la mise en place au tout début de la vie des mécanismes de tolérance immunitaire, essentiels pour reconnaître le soi du non-soi et donc éviter les maladies auto-immunes, coïncide au niveau de la peau avec sa colonisation par des bactéries commensales comme S. epidermidis.

Il semble même y avoir une relation symbiotique entre microbiote cutané et système immunitaire. En effet, une bactérie comme S. epidermidis est capable de moduler la production par les cellules de l’épiderme de molécules de communication impliquées dans la maturation des cellules immunitaires. Ce mécanisme jouerait un rôle essentiel dans la protection contre les germes pathogènes présents dans l’environnement.

Les liens étroits existant entre le système immunitaire et le microbiote cutané sont également à l’origine de son implication dans le mécanisme de réparation et de régénération de la peau.

Lors d’une blessure superficielle, les bactéries commensales présentes en surface de la peau peuvent jouer plusieurs rôles. D’une part, en pénétrant à l’intérieur de la lésion, elles permettent d’activer la réponse immunitaire – sans risque pour nous car elles sont très peu virulentes. La défense de la peau est ainsi enclenchée localement, ce qui protège contre d’éventuels envahisseurs plus dangereux. Elles sont également capables d’attirer sur place les cellules de l’épiderme (kératinocytes), et de favoriser leur multiplication. Il en résulte une accélération de la réparation de la plaie.

D’autre part, lors d’une blessure, les cellules mortes ou abîmées causent une réaction inflammatoire. Nécessaire au nettoyage de la plaie, cette dernière peut s’emballer et ralentir la guérison, voire conduire à la formation de plaies chroniques. Or certaines bactéries, telles S. epidermidis toujours, sont capables d’inhiber ce processus et de réduire la réponse immunitaire excessive.

Les bactéries commensales cutanées sont donc un partenaire essentiel dans les mécanismes de régénération de la peau.

Une petite fille regarde son genou griffé
Les bactéries du microbiote cutané ont un rôle important dans les mécanismes de protection et de réparation de la peau lors de blessure superficielle. A3pfamily/Shutterstock

Efficace aussi contre les UV et les polluants

De par sa localisation à la surface de la peau, le microbiote cutané est en première ligne face aux agressions extérieures et environnementales : UVs, polluants atmosphériques… Des agressions qu’il gère grâce à l’activité métabolique intense de ses bactéries, qui leur confère une capacité d’adaptation considérable. Et en se protégeant, elles protègent indirectement notre épiderme. Démonstration par l’exemple :

La plupart des facteurs de stress environnementaux conduisent à la formation de molécules hautement toxiques, aussi bien pour les bactéries que pour les cellules de l’épiderme, désignées sous le terme générique d’« espèces réactives de l’oxygène » (ROS). Or, certaines bactéries du microbiote cutané sont capables de les dégrader grâce à des enzymes qu’elles synthétisent spécifiquement quand elles y sont confrontées.

Les UVs, eux, sont connus pour leurs nombreuses capacités de nuisances. Déjà, ils peuvent affecter certaines molécules biologiques, dont l’ADN et les protéines. Afin de s’en protéger, les bactéries du microbiote cutané produisent de molécules antioxydantes et de réparation… qui profitent également aux cellules de notre épiderme.

Les UVs ont aussi pour effet de transformer une molécule très présente dans la peau et nécessaire à son hydratation, l’acide urocanique, en un dérivé toxique pouvant agir sur le système immunitaire et conduire à des pathologies cutanées (urticaire, dermatite atopique), voire à des cancers. Face à cela, une bactérie locale, Micrococcus luteus, a la capacité de faire cette réaction en sens inverse pour reformer de l’acide urocanique !

Une autre stratégie de résistance aux UVs largement répandue dans le monde du vivant est la production de pigments capables de bloquer les rayonnements. Les bactéries ne font pas exception et produisent des molécules parfois qualifiées d’écrans solaires microbiens. Au point qu’on envisage aujourd’hui d’utiliser le microbiote cutané, ou certains de ses éléments, dans des stratégies de protection solaire

Le microbiote cutané est donc un partenaire essentiel dans la préservation de l’équilibre de notre peau. Toutefois, tous les germes cutanés sans exception peuvent aussi avoir des effets négatifs. Les effets positifs de cette flore microbienne qui a colonisé notre épiderme résultent d’un dialogue permanent entre les espèces qui le composent et nos propres cellules. Alors, plutôt que de chercher à « améliorer » une association qui a fait ses preuves, l’objectif principal devrait être d’en préserver l’équilibre dynamique.

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