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Le Mondial à Kaliningrad : le football et la « nouvelle Guerre froide » en Baltique

Dans une fan zone de Kaliningrad, le 19 juin, lors du match Russie-Egypte. Ozan Kose/ AFP

Durant la Coupe du monde en Russie, Kaliningrad va accueillir quatre matches de football. Une ville-hôte du Mondial comme les dix autres ? Loin de là : Kaliningrad est un lieu emblématique pour la paix (et la guerre) en Europe. Enclave russe au milieu de l’Union européenne, insérée entre la Pologne et la Lituanie, loin du territoire russe, elle est l’enjeu de rivalités séculaires entre l’Allemagne, la Pologne, la Suède, l’ex-Union soviétique. Depuis quelques années, ce territoire et ses bases militaires sont même au centre de la « nouvelle Guerre froide » que l’OTAN et la Russie se livrent dans la région.

Le choix de cette ville hôte pose, à nouveaux frais, une question classique : le sport peut-il être facteur de paix ?

Le football, force de paix ?

L’organisation de la Coupe du Monde de football en Russie a des enjeux géopolitiques conséquents. Ils sont même essentiels pour la politique extérieure et l’économie russes.

Le choix de Kaliningrad lors de ce Mondial peut contribuer à l’abaissement des tensions à plusieurs titres. D’une part, le territoire russe se trouve, comme le site de Pyeongchang en Corée du Sud, à proximité d’une zone de friction stratégique importante. La station de sports d’hiver coréenne des JO 2018 se situait ainsi à une cinquantaine de kilomètres de la ligne de cessez-le-feu intra-coréenne. Kaliningrad est, pour sa part, au contact d’une zone de contact entre l’OTAN, élargi aux États baltes depuis 2004 et à la Pologne depuis 1999, et la Fédération de Russie.

Longtemps négligé, ce territoire est au centre des préoccupations des deux parties, au moins depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Organiser une partie de la compétition dans cette zone permettra-t-il d’insuffler un « esprit de Pyeongchang » menant à une reprise du dialogue comme à Singapour entre Kim et Trump ?

Le stade rénové de 35 000 places de Kalinigrad accueille des supporters étrangers dans une zone longtemps interdite aux Occidentaux durant l’ère soviétique. Dans la période récente, elle n’était plus accessible aux frontaliers sans visa, achevant d’en faire une forme de « camp retranché » russe au milieu de l’UE.

Le football drainera des fans de Pologne, du Royaume-Uni, de Belgique ou encore de Lituanie dans un territoire qui suscite toutes les inquiétudes au sein des pays riverains en raison du renforcement des bases navales et aériennes dans l’enclave. En l’espèce, c’est donc moins les protagonistes que le décor qui compte en la matière : la Russie peut faire de cette enclave une vitrine destinée à dissiper son image menaçante.

Kaliningrad illustre d’ailleurs les efforts déployés par les autorités russes pour favoriser l’accueil des étrangers durant la compétition : outre le document d’identité spécial prévu pour l’entrée sur le territoire, le supporter ID, les autorités ont lancé un appel à l’hospitalité. C’est notamment le cas de la mairie de Kaliningrad, qui a diffusé un vidéo-clip présentant la ville sous son meilleur jour. Un match des « légendes du football » a été organisé ; un centre hôtelier touristique a été mis en place et une fan zone a été créée.

Tout est fait pour présenter Kaliningrad comme un territoire attrayant et non comme la source de menaces (comme il est perçu dans la région).

Victime de son intérêt stratégique

Quatre matches ne suffiront pas pour passer de « la nouvelle Guerre Froide » au dégel dans la région. La tension autour de Kaliningrad a en effet des raisons structurelles.

La ville est victime de son intérêt stratégique : fondée au XIIIe siècle par les chevaliers teutoniques, l’ancienne Königsberg de Prusse orientale et patrie de Kant est placée à la charnière entre le mondes germanique, polonais, balte et russe. Elle est placée au bord d’eaux libres de glace toute l’année et à l’abri d’une langue de terre, l’isthme de Courlande. Un rêve de stratège…

C’est d’ailleurs pour cette raison que Staline, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, a veillé à ce qu’elle soit rattachée à la République soviétique de Russie au sein de l’URSS, alors même que la République soviétique de Biélorussie s’intercale entre le territoire et la Russie administrative.

Le« Grand Jeu » de l’OTAN et de la Russie en Baltique

Aujourd’hui, dans le dispositif stratégique russe, Kaliningrad et ses bases navales et aéronavales, sont un élément clé pour la Flotte de la Baltique stationnée à Saint-Pétersbourg. Récemment, des bâtiments de guerre équipés de missiles de croisière y ont pris place. La Russie a disposé dans l’enclave les fameuses batteries de missiles de défense anti-aérienne S400 mais aussi des missiles Iskander et Kalibr. Elle est donc perçue comme menaçante à Vilnius, Riga, Tallinn, Helsinki et Varsovie.

Un ancien sous-marin soviétique transformé en musée, à Kaliningrad. Ozan Kose/AFP

Du côté de l’Alliance atlantique, les exercices de l’OTAN « BALTOPS », « Anaconda » et « Saber Strike », traditionnels depuis les années 1970, montent en puissance depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Et, suite au sommet de l’OTAN à Varsovie en juillet 2016, des troupes occidentales sont déployées en rotation dans les trois Etats baltes et en Pologne.

Tous les schémas militaires de ces exercices intègrent Kaliningrad comme enjeu d’un potentiel conflit hybride ou classique. Ainsi, l’OTAN pointe régulièrement Kaliningrad comme la source des incursions sous-marines, navales et aériennes dans les espaces nationaux des États baltes. Du point de vue de l’OTAN, Kaliningrad est un poste avancé du dispositif militaire russe en plein cœur des territoires de l’Alliance. Cette enclave russe est considérée, à ce titre, comme une source de menaces.

Pour les Russes, une vigie

Du point de vue de la Russie, Kaliningrad est, en discontinuité avec le territoire national, une vigie contre l’élargissement puis la remontée en puissance de l’OTAN dans la région. En un mot, Kaliningrad est le « pire cauchemar de l’OTAN », selon les termes d’officiels russes. C’est que Kaliningrad est, pour Moscou, un des rares moyens dont elle dispose contre l’élargissement de l’OTAN et l’encerclement américain dont elle s’estime victime, dans la Baltique, en Mer Noire, en Méditerrannée orientale…

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Par-delà les enjeux sportifs, Kaliningrad est donc au centre du « Grand Jeu » que se livrent Russie et OTAN dans l’espace baltique. Une course aux armements est en cours dans la région : la Suède comme les États baltes ont rétabli la conscription, la Pologne a lancé plusieurs programmes d’armement et consacre plus de 2 % de sa richesse nationale à la défense, la Finlande et la Suède s’interrogent sur leur neutralité historique… Quant à la Russie, elle a engagé un programme décennal de modernisation de ses forces armées en 2009 et a atteint un haut niveau de professionnalisation notamment par l’expédition en Syrie depuis 2015.

Que Kaliningrad apparaisse accueillante aux supporters durant quatre matches est souhaitable. Mais cela ne suffira pas à faire cesser le « Grand Jeu » que se livrent les puissances dans la zone.

Les fonctions géopolitiques du sport : paix et guerre en Europe

Quand on aborde les compétitions internationale hautement médiatisées, tous les espoirs se portent sur la fonction pacificatrice du sport : rapprochement des peuples, communion des supporters ou encore sublimation de la concurrence militaire en compétition athlétique. Tous ces phénomènes existent bel et bien même s’ils suscitent des espérances déçues.

Le sommet entre Kim et Trump le souligne, après la « diplomatie du ping-pong » utilisée par Nixon pour se rapprocher de la Chine au début des années 70, et après les résultats obtenus par l’exclusion de l’Afrique du Sud des compétitions internationales pour obtenir la fin de l’Apartheid. Le sport peut contribuer à la paix. Mais il ne suffit pas à arrêter les guerres.

N’oublions pas ses autres fonctions du sport, souvent concurrentes. Les compétitions sportives peuvent tout aussi bien exacerber les tensions que les sublimer et les apaiser. Ainsi, les Jeux olympiques d’été de 2008 organisés à Pékin ont manifesté une puissance chinoise inquiétante pour ses voisins. Kaliningrad peut tout aussi bien servir comme un rappel de la Guerre froide en Baltique.

En définitive, Kaliningrad apparaît comme un bon test sur les pouvoirs (et les impuissances) du sport international.

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