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Un homme à la chevelure abondante tient son pouce en l'air, accompagné d'une femme blonde
Le nouveau président argentin, Javier Milei, arrive au siège du gouvernement à Buenos Aires, accompagné de sa sœur Karina, le 10 décembre 2023. (AP Photo/Julian Bongiovanni)

Le nouveau président argentin, Javier Milei, est-il d’extrême droite ? La réponse n’est pas simple

Une onde de choc secoue l’Argentine depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, le 10 décembre.

Son idéologie qualifiée « d’anarcho-capitaliste » promet de grands bouleversements dans un pays caractérisé par une longue tradition étatique, et aux prises avec une profonde crise économique.

Le caractère radical de ses propositions aura réussi à lui attirer de nombreux Argentins, mais à s’en aliéner tout autant, avec plusieurs appels à la grève générale.

Des analystes ont essayé de comprendre les liens idéologiques entre Javier Milei et les divers mouvements d’extrême droite qui ont émergé au cours des vingt dernières années, particulièrement en Europe et aux États-Unis.

Doctorant en science politique à l’Université Laval, mes recherches portent sur les autoritarismes, particulièrement en Argentine. Je souhaite ainsi explorer les relations entre Javier Milei et la mouvance d’extrême droite.

Des gens défilent dans une rue, avec des drapeaux argentins
Des partisans du nouveau président argentin Javier Milei assistent à son discours depuis le balcon de la maison du gouvernement à Buenos Aires, le 10 décembre 2023. ((AP Photo/Rodrigo Abd)

Attention aux comparaisons rapides

Javier Milei peut être décrit comme un populiste. Cette association est pertinente, voire naturelle, si l’on regarde ses multiples références à des figures d’extrême droite telles que Donald Trump, le Brésilien Jair Bolsonaro et l’Espagnol Sergio Abascal, président de la formation Vox, qu’il a invité à son investiture.

Ses appels à lutter contre le « gauchisme », ses critiques du « marxisme culturel » et son caractère ouvertement antisystème renforcent cette identification.

Cependant, ce rapprochement assez simpliste fait fi de divergences importantes avec le programme de Milei, notamment en matière de politique économique et migratoire. Ainsi, malgré les similitudes, des divergences importantes existent, en particulier dans la manière dont chaque mouvement comprend le rôle de l’État et sa relation avec la société dans son ensemble.

Des gens manifestent, poings levés, devant une rangée de policiers
Des manifestants anti-gouvernementaux défient la police après un rassemblement contre les réformes économiques du président Javier Milei à Buenos Aires, le 27 décembre 2023. (AP Photo/Gustavo Garello)

En particulier, j’aimerais attirer l’attention sur une différence centrale, soit le rôle du nationalisme, ainsi que sur les nouveautés apportées par Milei dans le contexte de la montée de la droite au niveau global.

Le nationalisme nativiste au cœur de l’extrême droite

Dans un article de synthèse, Matt Golder, professeur de science politique à la Pennsylvania State University, analyse la littérature scientifique sur les partis politiques d’extrême droite en Europe. Il y trouve trois éléments de plus en plus caractéristiques de ce mouvement, soit le « nationalisme », le « populisme » et le « radicalisme ».

Le nationalisme exposé par des partis d’extrême droite peut être décrit comme du « nativisme ». En suivant Cas Mudde, professeur du département de science politique à l’University of Georgia, le « nativisme » est compris comme « du nationalisme plus de la xénophobie ». Il est basé sur l’idée de l’existence d’une population « native », imaginaire, construite sur des aspects généralement culturels ou ethniques, et dont l’homogénéité doit être protégée de tout élément qui lui est étranger et externe.

Des femmes en train de manifester, deux d’entre elles portant un contenant en métal
Des manifestantes marchent vers l’hôtel où réside le président argentin Javier Milei afin de protester contre la pénurie de nourriture dans les soupes populaires de Buenos Aires, le 5 janvier 2024. (AP Photo/Natacha Pisarenko)

En concevant cette communauté homogène, le nativisme s’ajoute au nationalisme, conçu comme la congruence entre État et nation, soit l’élément de la xénophobie mentionné par Cas Mudde. Ce faisant, les mouvements d’extrême droite avancent une préférence radicalisée pour tout ce qui peut être défini comme appartenant à la « communauté nationale ».

Cette version du nationalisme est bien connue et il est facile d’en trouver des exemples européens et américains : les appels contre le « Grand remplacement » exprimés par Éric Zemmour, les mises en garde contre les immigrants de Donald Trump, ou l’islamophobie de l’Alternative pour l’Allemagne, entre autres.

Ce nativisme des partis d’extrême droite devient un fondement de leurs projets politiques, incluant leur politique économique.

C’est pour cette raison que l’extrême droite contemporaine avance aussi des projets nettement protectionnistes. L’euro-scepticisme, la nationalisation, ainsi que le discours anti-globalisation sont des éléments partagés par une grande partie des mouvements d’extrême droite. La racine de ces projets est la croyance en une communauté nationale, définie en termes soit ethnique, soit culturel, qui doit être protégée de l’influence d’éléments provenant de l’extérieur.

Libéraliser l’économie, la priorité de Milei

On ne trouve pas l’élément du nativisme du côté de Javier Milei, bien que sa liste de promesses puisse surprendre en raison de son caractère radical et par son ampleur.

Les projets et la plate-forme de son parti, La Libertad Avanza (LLA), constituent plutôt une opposition claire au nativisme, répandu en Argentine et représenté par le mouvement péroniste. Les accusations concernant sa prétendue idéologie anti-immigration ne sont pas non plus fondées, du moins jusqu’ici.

Le programme de Javier Milei parle d’immigration que de façon marginale. Il suffit de lire la plateforme électorale de LLA, où les sujets de la « nation » ou de l’immigration sont relativement absents.

Il est vrai que l’Argentine a reçu proportionnellement, ces dernières années, moins d’immigrants que la majorité des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord. Le débat concerne davantage l’universalité du service de santé et d’éducation, grâce à laquelle toute personne, sans égard à sa condition migratoire peut disposer du système de santé publique (même les touristes) et d’éducation gratuite. Javier Milei n’est donc pas tant opposé à l’immigration (il a même exprimé son appui), mais à certain type de dépenses de l’État qui y sont associés.

Des gens sont attablés devant un repas
Un jeune garçon et sa grand-mère profitent, avec d’autres personnes, d’un repas gratuit dans un quartier de Buenos Aires, le 22 décembre 2023. L’économie argentine est en grande difficulté, avec une inflation galopante et une pauvreté croissante. (AP Photo/Rodrigo Abd)

En revanche, la libéralisation a constitué et continue à être le pilier de son programme, parfaitement incarnée dans la proposition d’élimination de la banque centrale et l’instauration de la libre concurrence monétaire. Son programme inclut aussi la dollarisation, l’optimisation et la diminution de la taille de l’État, l’ouverture au commerce international, la réforme du code de travail, de la loi sur la santé mentale, des réglementations des services médicaux.

Attendre avant de juger le projet politique de Milei

Autrement dit, malgré le style populiste et le caractère radical de ses propositions, l’approche de Milei rend difficile son identification immédiate, sans d’autres qualificatifs, avec l’extrême droite européenne et américaine.

Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il faut exclure le phénomène de Milei de la famille élargie de l’extrême droite. Comme Cristóbal Rovira, professeur à la Pontificia Universidad Católica de Chile, affirme cette « famille » n’a pas d’éléments qui sont nécessairement partagés par tous ses membres. Cependant, il oblige à reconsidérer les associations immédiates et faciles. Le fait que Javier Milei ait déclaré sa préférence pour Trump ne fait pas de lui un Trumpiste.

Il y a certainement des individus à l’intérieur de son parti politique qui se montrent plus proches des projets politiques de Donald Trump ou de Sergio Abascal. Cependant, les positionnements personnels de Javier Milei définissent en grande partie ce que l’on peut attendre de son gouvernement et le caractère de son projet politique.

Bien que Milei affirme lui-même sa parenté idéologique avec des leaders souvent inclus dans la grande famille de l’extrême droite contemporaine, les éléments de son programme et le cœur de son idéologie imposent le maintien d’une certaine distance. De façon plus large, la mise en contexte de tout phénomène politique est nécessaire afin de comprendre leur nouveauté et implication.

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