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Le nouveau visage de l’action climatique aux États-Unis

À la COP23, des membres du réseau America’s Pledge qui réunit des acteurs engagés dans la lutte contre le changement climatique aux États-Unis. Patrik Stollarz/AFP

Les États-Unis, second plus gros émetteur de gaz à effet de serre (GES) au monde après la Chine, ont annoncé le 1er juin 2017 leur retrait de l’Accord de Paris. En 2014, les émissions mondiales de GES se sont élevées à 53,9 Gt de CO₂ eq : la Chine y a contribué à hauteur de 12,4 Gt et les États-Unis de 6,3 Gt (celles de l’UE atteignent les 4,7 Gt).

Washington renonce ainsi à réduire ses émissions et à fournir des ressources financières pour aider les pays en développement à s’adapter au changement climatique et participer à l’effort d’atténuation.

EPA, CC BY

Les États-Unis avaient annoncé leur volonté d’émettre pour 2025 de 26 % à 28 % de GES en moins qu’en 2005. Ils avaient déjà signé des engagements financiers à hauteur de 3 milliards de dollars dans le cadre du Fonds Vert prévu par l’Accord de Paris en faveur des pays en développement (et ont d’ores et déjà effectivement versé un milliard), mais ils ne participeront plus au-delà de la période d’engagement qui se termine en 2018. L’engagement de l’ensemble des signataires de l’Accord de Paris est de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2025.

Dans les faits, cette sortie de l’Accord ne pourra être officiellement notifiée avant le 4 novembre 2019. Elle sera ensuite effective un an après la notification, soit après la prochaine élection présidentielle aux États-Unis. Néanmoins, le message envoyé par Donald Trump est clair : au niveau fédéral, les mesures décidées par la précédente administration en matière de lutte contre le changement climatique ne seront pas appliquées.

Le poids du retrait américain

L’inaction des États-Unis est à replacer dans un contexte plus large : ces derniers ne contraindront pas leurs émissions alors que les autres principaux pays émetteurs le feront. La baisse des émissions passe par une baisse de l’utilisation des énergies fossiles, ce qui entraîne une baisse du prix de ces dernières au niveau mondial. Ainsi, les États-Unis seront incités à en consommer davantage et à ralentir leur transition vers des énergies émettant moins de GES, augmentant d’autant plus leurs émissions. En outre, les industries soumises aux plus fortes contraintes dans les pays ayant signé l’Accord risquent de déplacer leurs activités aux États-Unis.

Nos simulations montrent qu’en sortant de l’Accord de Paris, les États-Unis émettraient 2,3 Gt de CO2 de plus qu’en respectant leurs engagements, soit 218 Mt de plus que dans un monde sans Accord, comme le souligne le tableau ci-dessous.

Note : le PIB et les exportations sont exprimées en milliards de dollars de 2011 ; les émissions de CO₂ en millions de tonnes. Les variations en pourcentage expriment la différence entre le scénario considéré et un monde sans aucun accord climatique (« Réf. »). Trois scénarios sont envisagés, en plus de ce scénario de référence : le scénario « NDC » (pour nationally determined contributions), dans lequel tous les signataires initiaux réalisent leurs objectifs de réduction d’émission d’ici à 2030 ; l’absence des États-Unis de cet Accord (scénario « Retrait »), ainsi qu’une possible réaction des autres signataires par le biais d’une taxe carbone sur leurs importations en provenance des États-Unis (scénario « ACF » pour ajustement carbone aux frontières). Authors’ calculations

Ces 2,3 Gt sont du même ordre de grandeur que les émissions totales de CO2 de l’Inde et du Brésil en 2011. L’augmentation par rapport à un monde sans Accord est le résultat des deux effets de fuite mentionnés plus haut : à savoir la baisse des prix sur les marchés mondiaux de l’énergie et le déplacement d’activités, le premier dominant nettement le second. Au niveau mondial, la sortie des États-Unis augmente ainsi de 40 % le taux de fuite de carbone de l’Accord, qui passerait de 5,1 % à 7 %.

Le non-respect des engagements pris dans le cadre l’Accord de Paris – en évitant la mise en place d’une taxe carbone (ou autre mesure équivalente) pour limiter les émissions de CO2 – ferait assez peu augmenter la production totale des États-Unis, de 0,17 % en 2030, soit 37 milliards de USD. Néanmoins, les secteurs de la production d’énergie (industrie pétrolière, extraction de charbon et gaz…) et des transports seraient fortement favorisés.

Ce chiffre ne tient toutefois pas compte des impacts du changement climatique sur cette production, ni des externalités des technologies de production au niveau de l’environnement ou de la santé humaine ; il est donc probablement plutôt optimiste.

Taxer les importations ?

L’un des instruments les plus fréquemment proposés pour réduire les effets de fuite mentionnés plus haut est l’ajustement carbone aux frontières. Il s’agit de taxer les importations en provenance des pays non contraints en fonction des émissions qu’elles génèrent, en imposant par exemple aux importations la même tarification du carbone que celle en vigueur dans le pays importateur.

Si l’ensemble des signataires de l’Accord de Paris imposait une taxe carbone aux importations en provenance des États-Unis, cela réduirait les exportations de ces derniers de 104 milliards d’USD en 2030 (-3 %), mais affecterait peu leurs émissions (-115 Mt, soit -1,7 %).

Le faible impact d’un ajustement carbone est dû au fait que les États-Unis sont un pays de grande taille, où la production est principalement destinée à la consommation domestique. En outre, l’ajustement aux frontières aurait un effet négligeable sur le produit intérieur brut (PIB) des signataires de l’Accord. En d’autres termes, face aux États-Unis, l’ajustement aux frontières aurait principalement valeur de signal politique, avec peu d’effets environnementaux ou économiques.

Des initiatives dans les États fédérés

Si l’annonce du Président Trump n’exclut pas totalement des politiques fédérales en faveur du développement de technologies à faible impact environnemental, le principal espoir en matière de lutte contre le changement climatique réside dans les initiatives que prendront les États fédérés, indépendamment du niveau fédéral.

Ces derniers ont en effet la possibilité de réguler les secteurs qui émettent le plus. S’ils le souhaitent, ils peuvent imposer un prix du carbone, décider du prix de l’énergie, taxer les carburants ou contraindre les technologies de production d’électricité.

Certains États sont déjà engagés dans de telles initiatives. Citons par exemple la Regional Greenhouse Gas Initiative et son objectif de diminuer les émissions de CO2 liées à la production d’énergie de 2,5 % par an jusqu’en 2020. La Western Climate Initiative, qui regroupe aussi certaines provinces du Canada, a pour objectif de limiter, à l’horizon 2020, ses émissions de GES à leur niveau de 1990.

Plus récemment, plusieurs États ont constitué la United States Climate Alliance, s’engageant à respecter sur leurs territoires l’objectif qui avait été pris au niveau fédéral dans l’Accord de Paris. L’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour les villes et le changement climatique, Michael Bloomberg (ancien maire de New York), a d’ailleurs écrit au Secrétaire général des Nations unies pour demander que les Parties à la COP reconnaissent les engagements infranationaux, pris par les États, villes, entreprises et plus généralement par la société civile, comme une soumission parallèle à l’Accord.

Certains de ces acteurs ont également pris des engagements sur la plateforme NAZCA des Nations unies, qui regroupe les engagements des acteurs autres que les États souverains.

Une transition déjà engagée

Les États américains qui s’engagent ne sont pas ceux qui émettent le plus, et leurs coûts marginaux d’abattement (c’est-à-dire le coût nécessaire pour diminuer les émissions d’une tonne d’équivalent CO2 supplémentaire) sont souvent plus élevés que dans les autres États. Ainsi, bien que l’effet des choix politiques de quelques États sur le changement climatique soit loin de pouvoir compenser une politique ambitieuse au niveau fédéral, l’action de ces États reste un signal fort vis-à-vis de la communauté internationale ainsi que du reste des États-Unis.

Ces États engagés pourront montrer concrètement quels sont les nouveaux modèles économiques prenant en compte les externalités sur le climat qui se mettent en place.

Les autres signataires de l’Accord de Paris doivent maintenant soutenir ces actions, par exemple en les intégrant dans des marchés du carbone plus vastes et déjà existants. Ils devront également trouver des moyens financiers additionnels pour respecter les engagements pris dans le cadre du Fonds vert, puisque le financement de la réduction d’émissions et de l’adaptation dans les pays en développement est un enjeu majeur à la fois en termes de changement climatique et de développement.

Les actions de réduction des émissions seront par ailleurs facilitées par les évolutions technologiques en cours, le coût des énergies renouvelables étant en forte baisse. À terme, la transition vers d’autres sources d’énergie que le charbon aura bien lieu, mais à un rythme plus lent que si une politique fédérale forte avait été maintenue.


En vidéo sur Xerfi Canal : « Accord de Paris : les États américains vont-ils se rebeller ? » (novembre 2017).

Pour plus d’informations, voir aussi la Lettre du CEPII N°380.

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