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Le numérique, un nuage protecteur pour les PME innovantes

Sous le nuage… shutterstock.com, CC BY-SA

Cet article est publié dans le cadre de la vitrine inaugurale de la Revue française de gestion, « Innovation et numérique : quelles implications managériales ? » qui s’est tenue le 27 septembre 2017 au château de Wiltz (Luxembourg) de 18h30 à 20h. En partenariat avec le Luxembourg Institute of Science and Technology, et The Conversation France, cet événement a été organisé à l’occasion de la diplomation de DBA (Doctorate in Business Administration) du Business Science Institute, dont les jurys regroupaient une trentaine de professeurs de sciences du management pour 17 soutenances de thèses de DBA de doctorants-managers.


Rainer Maria Rilke (1875-1926) déclare « Que serait un Dieu sans le nuage qui le protège et le recouvre ». Ce merveilleux poète autrichien a raison : que l’on soit un grand ou un petit Dieu, un Dieu d’ici ou d’ailleurs, les nuages protègent et cachent ce que l’on ne veut pas montrer aux yeux de tous. Ce nuage, ce « cloud », devient ainsi un atout, une force sous réserve que l’on sache s’envelopper en son sein et peut-être est-ce d’ailleurs une caractéristique d’un Dieu.

Nuage, cloud, protection, dieu. Ces mots peuvent faire écho à des observations de notre économie. En effet, elle fait émerger des champions, des leaders, des entreprises créatives et innovantes, qui sont en avance sur les autres concurrents, qui sont, en somme, des dieux pour leur marché. Or, beaucoup de ces entreprises exploitent ce que l’on appelle le « cloud computing » pour, par exemple, collecter de nouvelles idées grâce à des plateformes numériques ouvertes aux consommateurs, mais aussi traiter et sélectionner ces idées grâce à la puissance des big data. Et cela concerne les grandes comme les petites entreprises.

Numérique et innovation

Sans avoir un service dédié, et sous l’impulsion majeure du dirigeant, les PME parviennent effectivement à exploiter le numérique pour innover. Pour innover, oui, mais aussi pour s’approprier la valeur créée par leur innovation ; c’est ce que l’on appelle l’appropriation de l’innovation.

Ainsi, le numérique ne sert pas uniquement à dynamiser la collecte d’idées, les traiter, les sélectionner, ce qui correspond aux phases amont de l’innovation ; il peut aussi renforcer une stratégie d’appropriation, qui est désormais, de plus en plus, fondée, sur un ensemble de droits de propriété intellectuelle ayant pour cible le même objet.

Cette stratégie de multiprotection de l’innovation adoptée par les PME consiste plus exactement à combiner un brevet à la marque, aux droits d’auteurs, et aux dessins et modèles. Il s’agit de la juxtaposition volontaire de protections. Les différents régimes de propriété garantissent davantage à la PME, la capture de la valeur créée.

Cependant, baser l’appropriation de l’innovation uniquement sur une stratégie de multiprotection peut s’avérer, tout de même, difficile à maintenir sur la durée pour au moins deux raisons, mises en avant par une étude de cas instruite dans le cadre d’un projet de recherche publié dans le Dossier spécial intitulé « Innovation & Numérique » de la Revue française de gestion.

Le cas LMC

Cette étude est celle de LMC, une PME technologique du secteur de l’équipement médical de la région stéphanoise dans la Loire. Elle a développé un produit, le NeuroCoach Santé en partenariat avec des chercheurs en médecine du CHU (Centre Hospitalier Universitaire) local. Il s’agit d’un appareil de suivi du SNA (ou système nerveux autonome) de patients sujets potentiellement à l’hypertension ou l’apnée du sommeil, entre autres.

Le choix de la multiprotection de ce produit acté, le dirigeant comprend que cela ne sera pas suffisant pour se protéger durablement, car, premièrement, entreprendre une action en contrefaçon mobiliserait des ressources que, malheureusement, il n’a pas, et, deuxièmement, les découvertes des chercheurs sont publiées dans des revues académiques et donc accessibles à tous.

Il développe alors une stratégie d’appropriation de l’innovation qui exploite le numérique. Il cherche à se protéger et à s’envelopper dans le nuage pour éviter que des yeux indiscrets découvrent son secret. En l’occurrence, pour éviter la rétro-ingénierie, le dirigeant comprend que l’usager ne doit pas avoir entre les mains un module, le produit, avec la totalité du travail de recherche et de réflexion des chercheurs.

Cela lui demande de transformer le module en simple capteur des signaux du SNA qui devait envoyer par Internet les données brutes à un serveur hautement protégé et de penser les échanges entre les clients et LMC. La méthode du secret consiste ici à développer un produit en utilisant un cloud public (c’est-à-dire ouvert à toutes les organisations) comme faisant partie intégrante du système de protection avec pour objectif d’organiser les interactions entre les parties prenantes. Le cloud choisi est ici une plateforme permettant, en outre, de collecter automatiquement les données encryptées et rendues anonymes dans une base de données.

Le dirigeant organise les échanges comme suit. Un logiciel conçu par LMC est téléchargé sur l’ordinateur du patient qui permet la reconnaissance de la carte mémoire et le transfert des fichiers par Internet sur des serveurs. Des analystes reçoivent une alerte leur témoignant de l’arrivée de ce fichier rendu anonyme qui est nettoyé des données incongrues ; ils déposent ensuite le fichier « propre » sur d’autres serveurs. Une seconde alerte est émise à destination d’autres analystes, appelés « l’œil », qui réalisent un contrôle et une détection d’anomalies du SNA.

Le fichier final est déposé sur de nouveaux serveurs, ce qui enclenche la rédaction d’un compte rendu, qui est envoyé au patient et au médecin.

Si l’intégration du numérique peut renforcer la stratégie d’appropriation de cette PME, cela n’est possible, toutefois, qu’en raison d’une organisation spécifique. En effet, LMC propose une division des tâches entre plusieurs acteurs qui ne se connaissent pas entre eux, mais qui sont connus du seul dirigeant.

Aucun n’est censé être capable de reconstituer le système de production dans son ensemble. Ainsi, cette organisation quasi virtuelle lui permet de garder secret le logiciel de diagnostic médical ; elle freine donc la copie par les concurrents du business model de la PME en rendant les matériaux informationnels et confidentiels, difficiles d’accès.

Cette organisation que l’ont peut qualifier d’actif complémentaire, s’avère être une opportunité pour mieux s’approprier la valeur de l’innovation, sous réserve de prudence à l’égard de risques non encore maîtrisés, notamment les actes de malveillance de destruction des données.

Le nuage.

En conclusion, de cette étude de cas, retenons deux enseignements. Le premier est que le numérique peut jouer un rôle important dans les stratégies de protection de l’innovation des PME, qui sont limitées dans leurs ressources. Le second enseignement est que le numérique amène ces PME à penser dès le début du développement de leur produit, l’organisation concrète et humaine la plus adaptée pour éviter d’être imitées par leurs concurrents et de « prendre l’eau » – et ainsi que le suggère le romancier Henry Miller (1891-1980) : « Certains sentent la pluie à l’avance ; d’autres se contentent d’être mouillés ».

Souhaitons alors aux PME innovantes d’être au plus près des nuages, voire au-dessus, mais surtout toujours au sec !

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