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Le Post-it, le président, les mèmes et nous

Photographie du « bureau » d'Emmanuel Macron diffusé le 31 janvier 2022 sur son compte Twitter officiel. Twitter

Le lundi 31 janvier, le compte Twitter d’Emmanuel Macron a publié une photographie du bureau du Président de la République, mettant en scène de manière triviale une communication qui reprenait un agencement assez simple : on y retrouvait un Post-it au centre, quelques porte-documents, et quelques ouvrages nonchalamment disposés sur le côté du bureau (avec en vrac l’historienne et académicienne Hélène Carrère d’Encausses, le Général de Gaulle et le très populaire manga One Piece – manière de tenter de réunir les différentes cibles électorales que tente de viser le futur candidat à sa propre succession).

Très vite cette mise en scène est devenue un mème, soit un dispositif graphique et textuel pris dans la viralité et les contextes d’émergence, de publication et de transmission. Et si les mèmes fonctionnent aussi bien, c’est parce qu’ils permettent un partage de références culturelles (et notamment une pop-culturisation de certains éléments), une médiatisation nette, mais également une concentration de stimuli cognitifs et affectifs qui vont renforcer la circulation des mèmes.

Véhiculer des représentations sociales

Mais dans notre culture, influencée par les comportements induits par les médias sociaux, tout peut donc potentiellement devenir un mème. Or, en devenant un mème, une image n’est pas simplement virale ; en d’autres termes, elle ne devient pas un simple message à succès qui fera long feu sur les réseaux sociaux. En fait, un mème permet également de faire circuler des discours à propos de la société, en concentrant des arguments spécifiques ; comme tout discours, le mème permet donc de véhiculer des représentations sociales. Il en va ainsi, également, de la communication politique – et ça, Emmanuel Macron et ses équipes l’ont parfaitement compris.

Suite à la publication de ce mème, plusieurs comptes ont proposé deux formes de parodie : soit un détournement de l’image originale avec un message différent sur le Post-it, soit une copie parodique de la photographie qui représentait un nouveau bureau avec un nouveau Post-it et de nouveaux documents posés sur le bureau.

Mais dans la communication publique et politique, il n’y a jamais rien d’innocent ; bien sûr, l’agencement du bureau du président, transformé pour l’occasion en dispositif de communication, ne laissait rien au hasard. Le choix des ouvrages, la présence de la montre et du cuir sont autant de marqueurs dont l’étude sémiologique seule mériterait un article.

Le potentiel mèmétique

Au-delà, il semble intéressant de discuter du potentiel mèmétique de cet agencement photographique. Le Post-it, par exemple, disposé au centre de l’image, est un objet à la merci de détournements aisés : on peut ainsi facilement effacer le message du Président en utilisant la couleur du Post-it, puis écrire un nouveau message. Rien de plus simple. Mais comme le Président et son équipe sont parfaitement au fait de la culture numérique – en témoignent la collaboration avec les youtubeurs Mcfly et Carlito, pour ne citer que cet exemple –, il y a fort à parier pour que la viralité de cette image ait été parfaitement scénarisée.

Il est donc assez facile de détourner l’image originale : quelques compétences rudimentaires en édition graphique suffisent. En outre, c’est également facile de reproduire la mise en scène chez soi et d’utiliser cette grille sémiotique pour produire une autre narration : on peut donc faire passer un autre message et écrire une autre histoire en réutilisant l’agencement du bureau.

Mais en faisant cela, même avec un détournement, on valide implicitement la pertinence pragmatique du message et le succès de la communication du président : on montre qu’on l’a compris, que ce message nous a touché et qu’on peut prendre appui dessus pour transmettre un nouveau message. La communication présidentielle a donc atteint son but : elle est efficace, pertinente, virale, elle devient une référence mémétique et donc pop-culturelle, et donc un support sur lequel se basent d’autres messages.

Toutes proportions gardées, il en va ainsi de la communication numérique d’Emmanuel Macron comme des mèmes régulièrement publiés au sujet d’Éric Zemmour : même en les faisant circuler pour s’en moquer ou pour dénoncer ses idées, ils participent néanmoins à la pop-culturisation de son image et à sa présence médiatique constante. En d’autres termes, dans ce cas précis, on en oublierait presque l’annonce de l’ouverture du pass culture, qui devient quasiment une annonce secondaire : ce qui compte, c’est la présence numérique (auprès des jeunes, mais pas exclusivement) et de ce point de vue, l’opération est particulièrement réussie.

La manière d’habiter la fonction présidentielle

En outre, il y aurait encore beaucoup à dire sur le bureau en question – des signes qui sont passés quasiment inaperçus, et qui en disent pourtant long, également, sur la manière d’habiter et de présenter la fonction présidentielle. Le bureau en tant que tel n’est pas un objet neutre : un travail de bureau n’a rien à voir, par exemple, avec un travail manuel ou artisanal sur le terrain, et présente ainsi d’emblée une forme de distinction sociale. En reproduisant de manière mémétique cet agencement du bureau, on participe également à la diffusion de cette distinction, même si le cuir est absent du bureau : on perpétue la circulation de représentations sociales, on les alimente malgré soi lorsque l’on succombe au plaisir du mème.

En partant du principe que les équipes de communication ne sont pas dénuées de sens professionnel, on peut émettre l’hypothèse que le design, la production et la transmission de l’image participent d’une stratégie de communication qui, si elle n’a pas été anticipée dans tous ses effets, a été parfaitement structurée pour obtenir des conséquences pragmatiques concrètes.

Et la viralité en fait nécessairement partie, surtout quand elle permet, au choix, de donner l’impression d’être dans l’air du temps en touchant plusieurs publics tout en adoptant une pratique supposément proche d’un public jeune, mais aussi de communiquer sur une mesure politique tout en montrant que le Président se place dans le peloton de tête politique en matière de maîtrise des codes numériques.

D’une certaine manière, cette utilisation du Post-it n’est pas non plus sans rappeler l’utilisation des méthodes agiles, ce qui permet ainsi de reprendre l’un des emblèmes chers à la « start-up nation ».

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