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Le prix de l’inaction : à propos d’Harvey et du changement climatique

Début septembre au Texas, après le passage de l’ouragan Harvey. Scott Olson/AFP

De nombreux scientifiques, dont James Hansen, ont suggéré que l’ouragan Harvey – qui a durement frappé la ville américaine de Houston fin août – avait été alimenté, du moins en partie, par le réchauffement climatique.

De tels événements réclament de revoir entièrement les méthodes de prévisibilité, dans la mesure où l’on connaît les risques liés au changement climatique depuis de longues années mais que cela n’a pas vraiment changé notre manière de vivre. Nous continuons à construire en zones inondables, à produire et à consommer en émettant des gaz à effet de serre.

Des épisodes comme Harvey forcent également à s’interroger sur la manière dont les carences ou les insuffisances institutionnalisées en matière de prévention et de précaution contribuent à ce type de catastrophe.

Les inondations causées par Harvey ont en effet entraîné des impacts directs sur des infrastructures publiques essentielles, des infrastructures privées et des millions de maisons et d’entreprises ; dans nombre de cas, la destruction fut complète et l’on note également de multiples effets secondaires indésirables et collatéraux, comme la libération dans l’environnement de polluants toxiques. Autant de questions pour le droit, les politiques en matière de changement climatique ainsi que le financement de l’adaptation à ce changement.

Un risque inondation mal évalué

Aux États-Unis, en matière d’assurance, la loi exige que la plupart des propriétaires d’immeubles situés dans des zones inondables souscrivent une couverture d’assurance contre les inondations. Mais ces dernières sont dans la plupart de cas peu abordables.

Et la Loi de 2013, sur l’accessibilité à l’assurance contre les inondations de l’habitant, a supprimé un effet dissuasif de ce système d’assurance obligatoire et trop onéreux pour ceux qui construiraient, achèteraient ou habitaient des zones inondables ; la plupart des coûts des dommages causés par les inondations, auparavant à la charge de ceux qui souscrivaient une assurance, ont en effet été transférés aux contribuables. De la même manière, certains avaient proposé une aide pour ceux qui, plutôt que d’investir ou construire sur de zones inondables, préféreraient investir dans des dispositifs de prévention de phénomènes extrêmes. Mais ces réformes n’ont jamais vu le jour.

Harvey, qui a frappé une ville propice aux inondations où seulement 15 % des propriétaires disposent d’une assurance contre ce risque, a révélé une grande vulnérabilité. Cet événement extrême doit ainsi être considéré comme une leçon sur la nécessité de tenir compte du principe de précaution et d’agir préventivement.

Des pollutions coûteuses

L’ouragan Harvey a d’autre part contraint les raffineries de pétrole à fermer ou à freiner leurs opérations ; il a également causé de graves dommages aux raffineries elles-mêmes, ce qui a entraîné la libération d’une pollution atmosphérique toxique.

Certains de ces polluants, comme le monoxyde de carbone, le plomb, le dioxyde d’azote, l’ozone – réglementés par l’Agence de l’environnement américaine (EPA) – obligent les États à imposer des limites au sujet de possibles émissions.

Les rejets des raffineries touchées par Harvey ont-ils dépassé ces limites ? On ne le sait pas encore mais si tel était le cas, ces raffineries pourraient faire l’objet de sanctions et de poursuites en justice pour responsabilité et dommages et intérêts. Dans la mesure où l’ouragan Harvey a causé des fuites dans les zones peuplées, une réparation pourrait être requise, ce qui ne manquera d’entraîner des coûts considérables.

L’inaction en procès

La question du prix de l’inaction face au dérèglement climatique n’est pas nouvelle : elle apparaissait déjà dans l’action en justice entamée par l’ONG Urgenda (Pays-Bas) en juin 2015 ; dans cette affaire, l’ONG avait attaqué le gouvernement néerlandais en l’accusant d’inaction face au changement climatique ; elle lui reprochait plus particulièrement de ne pas agir suffisamment pour réduire les émissions de CO2.

Les juges, qui ont donné raison à l’ONG, ont ainsi mis en avant dans leurs conclusions qu’il coûtait plus cher de ne rien faire et que, au nom du principe de précaution, le gouvernement aurait dû agir depuis longtemps.

Ce cas soulève une question plus globale : les émetteurs de gaz à effet de serre peuvent-ils être tenus responsables de leur contribution au changement climatique et des dommages correspondants causés par des phénomènes extrêmes comme Harvey ?

Un certain nombre d’actions en justice, visant à tenir les émetteurs responsables des effets nocifs du changement climatique, vont dans ce sens ; ce fut récemment le cas au cours de trois procès en Californie portés par des collectivités locales côtières contre des compagnies de combustibles fossiles (Chevron, ExxonMobil, et Shell) en lien avec l’élévation du niveau de la mer.

Les poursuites allèguent que ces entreprises ont, en toute connaissance de cause vis-à-vis du changement climatique, créé des circonstances propices à une mise en danger des citoyens ; cette dernière se manifestant par des dommages liés à l’élévation du niveau de la mer. Ils devraient donc être tenus responsables de cette négligence.

Le vrai prix

Même si les scientifiques ne peuvent pas encore dire avec un degré élevé de certitude dans quelle mesure le changement climatique a contribué à la gravité de telle ou telle tempête, à mesure que la science probatoire – autrement dit, la possibilité d’établir avec plus de certitudes que d’incertitudes qu’il existe un lien de cause à effet entre les activités de l’homme, les changements climatiques et l’augmentation de phénomènes extrêmes – s’améliore, les poursuites visant à obtenir des dommages-intérêts pour les effets collatéraux du changement climatique (phénomènes météorologiques extrêmes, vagues de chaleur ou épisodes caniculaires) peuvent tout à fait devenir viables.

Ces actions en justice finiront par ne plus se contenter de dommages et intérêts symboliques (comme ce fut le cas dans l’affaire Urgenda) ; elles pourront légitimement réclamer aux responsables de l’inaction, de payer le vrai prix du changement climatique et de ses effets.

La nature et sa conservation (qui réclame de veiller à l’équilibre de nos écosystèmes et à la protection de l’atmosphère et du système climatique) auraient ainsi un prix, qui ne s’évalue pas seulement en termes de coûts-bénéfices à court terme, mais qui oblige à penser en termes des coûts-bénéfices à moyen et à long terme.

Penser en termes de prévention et précaution revient, au final, toujours moins cher que de ne pas y penser.

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