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Le présentateur Gaetan Montreuil lit le manifeste du FLQ, le 8 octobre 1970, sur les ondes de Radio-Canada. Radio-Canada

Le puissant message du Manifeste d’Octobre 1970

Le Manifeste d’octobre 1970 du Front de Libération du Québec (FLQ) se classe parmi les œuvres polémiques les plus importantes de l’histoire canadienne. Il brille au panthéon de la littérature engagée aux côtés du Manifeste de Regina, du Refus global, publié en 1948 par les peintres automatistes avec à leur tête Paul-Émile Borduas, et de quelques autres publications.

Cette affirmation pourrait en déconcerter plus d’un, dans la mesure où sa parution a eu lieu peu après l’enlèvement à Montréal de James Richard Cross, attaché commercial de la Grande-Bretagne, et peu avant l'assassinat du ministre Pierre Laporte.

Cependant, une lecture attentive du manifeste révèle pourquoi il a touché une corde sensible chez de nombreux Québécois francophones. On peut en effet y mettre en exergue quatre éléments, qui sont communs à pratiquement tous les grands discours politiques de l’histoire : 1) le cadre; 2) la dialectique de la colère et de l’espoir; 3) la personnalisation des problèmes; 4) la reprise en main du pouvoir par le peuple (“empowerment”).

Le cadre

Le cadre dans lequel un document est révélé au public joue toujours un rôle capital. Et la diffusion du manifeste du FLQ ne fait pas exception à la règle. Figurant parmi les sept conditions préalables à la libération de James Cross, sa lecture a été faite le 8 octobre, sur les ondes de Radio-Canada, par l’annonceur Gaétan Montreuil.

Le français « international » impeccable du présentateur, sa voix sourde et monocorde, et son costume élégant contrastaient ostensiblement avec le joual employé dans le manifeste et les images très crues dont regorgeait le texte. En quelque sorte, le cadre de Radio-Canada a permis au manifeste de monter en grade. Il a été soudain paré d’un vernis de respectabilité.

En 1968, le dramaturge Michel Tremblay avait provoqué une véritable révolution en employant le joual dans sa pièce Les Belles-soeurs. En 1969, c’était le rocker Robert Charlebois qui avait galvanisé la jeunesse avec ses chansons en joual.

La diffusion du manifeste du FLQ a eu un effet comparable. Pour la toute première fois, les téléspectateurs de la classe ouvrière pouvaient entendre leur manière de parler à la télévision nationale.

La colère et l’espoir

Le manifeste était émaillé d’un vocabulaire cru. Il était tout à la fois grossier, partial et accusatoire.

Le texte clamait la volonté du FLQ de purger à jamais le Québec « de sa clique de requins voraces, les “big boss” patronneux et leurs valets qui ont fait du Québec leur chasse gardée du cheap labour et de l’exploitation sans scrupule ».

Il recourait à l'outil rhétorique de la répétition, figure de style à l’efficacité démontrée, pour souligner le ras-le-bol des Québécois. « Nous en avons soupé », scande le manifeste à plusieurs reprises, pour faire comprendre que les Québécois « en avaient soupé » des tromperies, des mensonges et du mépris.

Comme chacun sait, la colère est probablement l’émotion la plus puissante pour inciter à la mobilisation. « Je suis fou de rage, je commence à en avoir ras le bol! », s’écrie Howard Beale dans sa tirade culte du film Network (1976). En 1970, bon nombre de Québécois étaient eux aussi « fous de rage ».

Cependant, après avoir explicité la frustration des Québécois, le manifeste du FLQ s’achève sur une note d’espoir. « Notre lutte ne peut être que victorieuse. On ne tient pas longtemps dans la misère et le mépris un peuple en réveil. » Un jour prochain, conclut le FLQ, les Québécois pourront vivre dans « une société libre, fonctionnant d’elle-même et pour elle-même, une société ouverte sur le monde ».

Après avoir été plongés si longtemps dans l’obscurité, ils verraient enfin la lumière.

Des problèmes au plus près du réel

Le manifeste du FLQ ne dépeignait pas la situation de façon abstraite. Il personnalisait au contraire les problèmes.

Il évoquait des grèves et des luttes ouvrières précises. Il parlait des travailleurs de la Ayers, de la Seven-Up, de Victoria Precision, de Dupont, de la Domtar, des cols bleus de Laval et de Montréal, des producteurs laitiers, des policiers, des pêcheurs de la Gaspésie, des travailleurs de la Côte-Nord, des mineurs, des chômeurs, des chauffeurs de taxi de Montréal, etc.

Il interpellait les personnes par leur nom.

Il s’intéressait à « M. Bergeron de la rue Visitation » et à « M. Legendre de Ville de Laval » qui ne parvenaient pas à joindre les deux bouts et « ne [se sentaient] pas libres en notre pays le Québec ».

Il se préoccupait de « M. Tremblay de la rue Panet » et de « M. Cloutier, qui travaill[aient] dans la construction à Saint-Jérôme » et se sentaient invariablement trahis par une classe politique corrompue.

Il s’émouvait du sort de « Madame Lemay de Saint-Hyacinthe », qui ne pouvait « se payer de petits voyages en Floride comme le font avec notre argent tous les sales juges et députés ».

En personnalisant ces problèmes, le manifeste du FLQ s'enracinait dans la vie vécue des gens ordinaires. Il donnait le sentiment que l’oppression de la classe ouvrière francophone n’était pas quelque chose dont les auteurs auraient uniquement eu vent dans les livres.

La reprise en main du pouvoir par le peuple

Le manifeste du FLQ appelait à la révolution. Mais pas à une révolution menée par des chefs de bande et des activistes d’avant-garde. La première ligne du manifeste du FLQ ne laisse d’ailleurs aucune place à l’ambiguïté : « Le Front de libération du Québec n’est pas le Messie, ni un Robin des bois des temps modernes ».

Si les Québécois devaient prendre en main leur destinée, ils auraient à le faire en se sortant de leur condition. Ils ne pourraient, avant toute chose, compter que sur eux-mêmes. Le manifeste se conclut par un cri de ralliement adressé à tous les Québécois :

« Travailleurs de la production, des mines et des forêts; travailleurs des services, enseignants et étudiants, chômeurs, prenez ce qui vous appartient, votre travail, votre production et votre liberté. […] N’attendez pas d’organisation miracle. Faites vous-mêmes votre révolution dans vos quartiers, dans vos milieux de travail. Et si vous ne la faites pas vous-mêmes, d’autres usurpateurs technocrates ou autres remplaceront la poignée de fumeurs de cigares que nous connaissons maintenant et tout sera à refaire. Vous seuls êtes capables de bâtir une société libre. »

Des gestes qui parlent plus fort que les mots

Lorsque le manifeste du FLQ a été diffusé à Radio-Canada le 8 octobre, les Québécois francophones ont éprouvé un profond sentiment de sympathie pour la cause des terroristes. Le texte traduisait bon nombre de leurs préoccupations.

Mais quand le ministre Pierre Laporte a été retrouvé mort dans le coffre d’une voiture le 17 octobre 1970, tué de sang-froid par ses kidnappeurs, le manifeste a soudainement pris un tout autre sens. Finie la respectabilité, finis l’espoir et la la quête d'un pouvoir populaire, fini le document dans lequel les Québécois pouvaient se retrouver.

Qu’importe si la cellule Chénier qui a exécuté Laporte n’était pas la même que celle qui avait rédigé le manifeste (il a été écrit par les membres de la cellule Libération). Les deux cellules étaient bel et bien solidaires.

Elles auraient dû savoir que les les gestes parlent plus fort que les mots.

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