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Le retour du Commissariat au Plan ravive le débat sur le rôle de l’État stratège

L’ancien ministre François Bayrou devrait devenir Haut-Commissaire au Plan ces prochaines semaines. Eric Feferberg / AFP

Pour relancer l’économie française durement mise à mal par la crise, le gouvernement français a annoncé mi-juillet vouloir donner une seconde vie au Commissariat général au Plan afin pour reprendre son rôle de guide dans le développement des stratégies à long terme. Selon le premier ministre Jean Castex, le Plan, qui devrait être dirigé par l’ancien ministre François Bayrou, aura pour vocation « de planifier la politique économique et de définir « les gisements de croissance future ».

Créé en 1946 par le général de Gaulle et Jean Monnet et dirigé à son lancement par Georges Bidault pour aider à la reconstruction à la sortie de la guerre, le Plan a notamment contribué à la modernisation technologique de la France dans les années 1960 en définissant les stratégies d’aménagement du territoire, de développement de la filière nucléaire, du concorde ou encore du TGV.

Il a ensuite évolué en fonction des priorités : plans de croissance jusqu’en 1980 suivis par des plans de crise jusqu’en 2005 avant d’opérer sa première modernisation en 2006 lors de sa transformation en Centre d’analyse stratégique qui sera placé sous tutelle de Matignon.

Le premier ministre Jean Castex a annoncé la création d’un haut commissariat au Plan lors de son discours de politique générale, le 15 juillet dernier. Martin Bureau/AFP

L’organisme connaîtra en 2013 une nouvelle évolution lorsque naît France Stratégie. Ces deux transformations successives actent la fin de l’idéologie de la planification où l’État prend des décisions en matière de politique industrielle.

Problème informationnel

Aujourd’hui, France Stratégie est en effet essentiellement un organisme produisant des rapports – formulant des propositions jugées par certains « farfelues » – et pas forcément en ligne avec l’orientation politique du gouvernement.

Faut-il dès lors opérer un retour aux sources comme le souhaite le gouvernement ? L’État-stratège outillé de ce Plan nouvelle formule apparaît-il comme le mieux placé pour définir « les gisements de croissance future » ?

Le débat n’est pas nouveau. Dans les années 1940, Friedrich Hayek démontrait dans son article dans son article « L’utilisation de l’information dans la société » l’incapacité de l’État à planifier ou même à découvrir les activités du futur. Selon l’économiste libéral britannique, qui répondait au théoricien polonais de l’économie socialiste Oskar Lange, l’État fait notamment face à un problème informationnel qui peut seul être résolu par le système des prix.

L’économiste Friedrich August von Hayek. Wikimedia, CC BY

« C’est plus qu’une métaphore que de décrire le système des prix comme une simple machine d’enregistrement du changement, ou un système de télécommunication qui permet aux producteurs individuels de se borner à regarder le mouvement de quelques aiguilles, comme un ingénieur peut consulter quelque cadran, et d’ajuster ainsi leurs activités à des changements dont ils ne sauront jamais plus que ce que le mouvement des prix aura reflété », écrivait-il notamment.

Une information de plus en plus dispersée

Pour Hayek, ce sont donc avant tout les entrepreneurs qui jouent un rôle crucial dans le processus de découverte de nouvelles activités économiques. En effet, ces derniers ne peuvent prendre de décisions sans calcul économique qui repose sur l’existence d’un système de prix efficace, vecteur d’information.

Les profits/pertes constituent ainsi des indicateurs indispensables pour guider l’entrepreneur dans ses choix et ses décisions. Sans ces indicateurs précieux, l’entrepreneur ne peut connaître la viabilité de son projet.

Pour l’État, l’impossibilité du calcul économique en raison de la dispersion de l’information et des connaissances apparaît aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle, bien plus important aujourd’hui qu’en 1946. L’information circulait alors moins vite, les connaissances étaient moins pointues et il n’était pas encore question de mondialisation.

Deuxième réunion de la Commission du Plan dirigée par Georges Bidault (au centre), en 1946 à Paris. AFP

La capacité de discernement de l’État peut être remise en question lorsque comme nous le rappelle Bernard Esambert, le 4e plan (1962-67) avait considéré le téléphone comme un objet de luxe.

De même, ces dernières décennies, certains projets de l’État stratège avaient viré au fiasco : il suffit de se rappeler des mésaventures de Bull, issu du plan Calcul lancé en 1966 par le Commissaire au Plan de l’époque, du minitel dans les années 1980 qui se voulait le concurrent d’Internet, de l’ordinateur TO7, ou encore plus récemment du projet de système d’information Chorus qui a coûté près de 400 millions d’euros sans jamais fonctionner.

Dans sa forme actuelle, France stratégie se veut un producteur d’informations qui publie des rapports censés éclairer l’action publique. Un rôle qui apparaît aujourd’hui trop limité si le Plan nouvelle formule veut devenir le bras armé de l’État stratège dans la relance.

S’il est vrai que, comme le souligne le professeur d’économie Claude Sicard dans une tribune récente publiée dans Le Figaro, il semble indispensable de séparer la fonction « études » de la fonction « stratégie » afin qu’une véritable réflexion sur les orientations à long terme puisse avoir lieu, il n’en demeure pas moins que la priorité de l’État devrait être d’accompagner le changement plutôt que de vouloir prédire le futur.

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