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Le RN est-il devenu un parti comme les autres ?

Jordan Bardella fait un selfie avec une passante
Le président du RN, Jordan Bardella, pose pour un selfie lors d’une cérémonie à Villers-Cotterats, dans le nord de la France, le 11 novembre 2022. François Nascimbeni / AFP

Au coeur de la mobilisation sociale et politique contre le projet de réforme des retraites un parti semble particulièrement « profiter » de cette crise : le Rassemblement national (RN), comme le montrent de récents sondages. Fort de 88 députés que à l’Assemblée nationale et d'une présence accrue dans les médias, le RN est-il devenu une organisation partisane comme les autres ?

En faisant abstraction du jeu des alliances façon Nupes, il en fait, en tous cas, le principal parti d’opposition au gouvernement – un parti qui a joué un rôle non négligeable lors des dernières séquences législatives autour de la réforme de la retraite.

20 ans plus tôt, lorsque l’extrême droite accède pour la première fois de son histoire au second tour de l’élection présidentielle, la France est sous le choc. 1,3 million de personnes manifestent contre le Front national (FN), parmi lesquels beaucoup de jeunes. Jean-Marie Le Pen fait face à une mobilisation anti-FN si forte qu’il n’atteint même pas 18 % des suffrages au second tour de ces élections de 2002 contre Jacques Chirac (environ 5,5 millions de voix). Le Front républicain fonctionne parfaitement.

Quelle stratégie a été appliquée par le FN-RN, pour passer du statut de parti marginal et honni à une organisation notabilisée, voire institutionnalisée ?

Manifestations après l’annonce de la présence du FN au second tour des présidentielles de 2002.

Une stratégie de normalisation en deux temps

Depuis sa création en 1972, le FN-RN a été présent par trois fois au second tour de l’élection présidentielle : en 2002, en 2017 et 2022. Les deux dernières fois, Marine Le Pen a atteint des scores considérables : 33,9 % et 41,45 %. Cette progressive montée du RN, la stabilité de ses votes et son ancrage territorial sont les marqueurs d’une normalisation et d’une banalisation du parti d’extrême droite.

Cette normalisation s’est construite autour d’une dynamique de changement, qu’on a coutume de nommer « dédiabolisation ». Celle-ci s’est faite progressivement et a été marquée par deux séquences. La première a permis au parti de se notabiliser, un phénomène accéléré avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN. La seconde séquence est très directement liée à l’élection de députés RN à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une phase d’institutionnalisation.

Des manifestations de 2002 à « Marine »

Le congrès de Tours en 2011 marque un tournant dans l’histoire du FN. Le père de la famille Le Pen, créateur du FN, va passer la main. Le vote des militants en faveur de la fille est sans appel – 67,65 % des voix – face à Bruno Gollnisch.

L’image du FN ne sera plus celle de Jean-Marie, l’homme pour qui les chambres à gaz sont un « détail de l’histoire » celui que les plus âgés ont connu un bandeau noir sur l’œil gauche. Marine Le Pen, femme de 45 ans arrive à la tête de ce parti.

« Le message, c’est le medium » écrivait le sociologue Marshall McLuhan. Cela vaut aussi pour le FN ; l’égérie a changé, la dédiabolisation s’incarne plus que jamais dès cette nouvelle image au féminin.

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Cette dédiabolisation tentée par le passé, fin des années 90, par un Bruno Mégret qui voulait normaliser le FN, voire faire des alliances avec la droite, a finalement semblé indispensable lors de la présidentielle de 2002. À l’époque, il n’était pas envisageable pour Jean-Marie Le Pen de sortir de sa spécificité et de nourrir la droite classique. Il est apparu urgent à ce moment-là de rassurer les français et de montrer combien le FN n’était pas une menace pour l’État et le pays. La dédiabolisation s’est dès lors avérée nécessaire.

Marine Le Pen est une des plus convaincues de cette nécessité depuis 2002. Elle suivra cette ligne au plus près. En 2015, elle finira même par exclure celui qui porte plus que quiconque le stigmate extrême droite : Jean-Marie Le Pen. À la faveur de prises de position dans Rivarol sur Pétain et les chambres à gaz, la fille sortira le père.

Modifier l’image de marque du FN

L’année 2018 est marquée d’un autre moment de stratégie d’effacement du passé. Elle passe par le changement de nom du parti. Le Front national n’est plus, le Rassemblement national est né. Avec ce mot « rassemblement » se matérialise la volonté de passer de parti de la protestation à un parti de gouvernement : « rassembler » pour pouvoir gouverner.

Dans la même logique, en 2022, Marine Le Pen se tient loin d’Eric Zemmour et ne cède pas à ses appels du pied, prouvant encore une fois son attachement à cette stratégie de dédiabolisation.

Quelques mois plus tard, l’élection de Jordan Bardella à la tête du RN offre un nouveau visage au parti. Par sa jeunesse et son parcours, il donne encore d’autres gages à cette séquence de dédiabolisation. Fils d’une famille immigrée italienne, son ancrage dans le 93 et son cursus universitaire à la Sorbonne offrent des gages de normalité – son parcours pourrait ressembler à celui de beaucoup de jeunes. Néamoins, derrière ces données, il y a aussi son militantisme à l’UNI et ses accointances traditionnelles, voire identitaires, et son regard sur une « France ensauvagée et inhumaine ».

Car bien sûr, malgré cette normalisation en vue de la conquête du pouvoir suprême, le RN reste attaché au corpus idéologique qui est le sien. Preuve en sont les marqueurs tels le renforcement de la politique nataliste en France (pour « résister » face à l’immigration), l’opposition à l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon ou encore la sacralisation de la « priorité nationale » dans la constitution. Le RN ne se défait pas des thématiques historiques qui ont prévalu à la création du FN.

Le Parlement : le cordon sanitaire est tombé

Quel que soit le corpus idéologique dont se réclame le RN, l’hémicycle de l’Assemblée nationale offre au parti ses lettres de notabilisation, mais surtout son écrin d’institutionnalisation. De marginal et honni, le parti devient celui qui détient deux vice-présidences à la chambre basse.

Des vice-présidences qui ont mathématiquement été permises avec le soutien d’autres partis politiques – Les Républicains et Renaissance – puisque Hélène Laporte a obtenu 284 voix et Sébastien chenu 290. Face à la vague de députés RN, le cordon sanitaire est tombé. La normalisation s’est installée.

D’autant plus que, ici encore, Marine Le Pen joue la carte de la capacité à gouverner. Elle ne veut pas trop cliver pour présenter une opposition constructive, « une opposition responsable ». Dans cette optique, elle est vigilante au taux de présence de son groupe à l’assemblée, au respect de la fonction (silence, retenue, vêtements) et refuse les blocages systématiques de lois proposés par l’opposition.

Certes, l’épisode du député De Fournas a bien failli saper ces efforts de respectabilité. En prononçant la phrase « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique » au sein de l’hémicycle, celui-ci a donné une occasion aux oppositions de prouver que la dédiabolisation était un leurre. Mais l’épisode a été relativement bien géré médiatiquement et en interne. La sanction est tombée, l’élu a perdu son porte-parolat. La discrétion est assez vite revenue.

De surcroit, quelles que soient les stratégies adoptées, avoir des députés à l’Assemblée nationale signifie saisir des moyens essentiels : assistants, informations, formations, moyens pécuniaires et possibilité, pour beaucoup d’élus sans expérience, de se professionnaliser. Il s’agit d’une marche déterminante pour envisager la conquête du pouvoir.

Reste à savoir quelle attitude adopter face au parti de Jordan Bardella et de Marine Le Pen. Est-il possible d’isoler un parti à ce point institutionnalisé et soutenu dans les urnes ? De continuer à « tabouiser » un parti recueillant autant de soutiens électoraux ? De se priver de ses électeurs en le stigmatisant ? Ce mois-ci, un sondage Ifop a montré que le RN était considéré comme le parti incarnant le mieux l’opposition au gouvernement (la stratégie de discrétion du RN semble mieux payer que celle du chahut de LFI…).

Depuis le début des années 80, aucune attitude pérenne et efficace n’a été trouvée face au FN-RN. C’est une quadrature du cercle pour le paysage politique français. S’il n’est pas un parti tout à fait comme les autres, le FN-RN est aujourd’hui à certains égards le deuxième parti de France.

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