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Jordan Bardella, président du Rassemblement National, arrive à Saint-Denis pour une rencontre transpartisane avec le président de la République le 17 novembre 2023. Julien de Risa/AFP

Le RN, « trou noir » du paysage politique français

Les récentes polémiques autour de la présence de Marine Le Pen lors de l'hommage à Nation et la panthéonisation de Méliné et Missak Manouchian soulignent la difficulté dans lequel se trouve la présidence de la République comme le gouvernement à définir une ligne stratégique cohérente face au Rassemblement national (RN). Certes, le chef de l'État a tenté de mettre à distance la formation d'extrême-droite dans un entretien avec le journal L'Humanité, mais cette critique ne permettra pas de convaincre l’opinion que le macronisme se rapproche de la gauche ni de contrer le RN qui en fait ses délices. La divergence de positionnement du président de la République, qui entend exclure le RN de « l'arc républicain », et de son Premier ministre, qui considère au contraire qu'il en fait partie, témoigne même d’une situation de crise politique plus profonde.

Celle-ci devient cette fois explicite et vient confirmer le fait que le RN est devenu le « trou noir » du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie, pliant l’espace-temps politique en contraignant les autres partis à céder ou à échouer. Mais il s’avère également capable désormais de s'auto-alimenter politiquement en se renforçant des stratégies qui poussent à le confiner ou à le réduire à l'héritage historique du Front national. S’étant engagé sur la voie de la droitisation, le macronisme ne peut plus éviter le clivage droite-gauche qu’il a toujours renié et voulu dépasser. Sa critique du RN devient dès lors assez inefficace et les tentatives de l’exclure du champ de la politique « normale » contribuent à le renforcer en lui permettant de capter tous ceux qui refusent cette normalité.


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L’immigration reste un facteur central de clivage dans le débat politique

On a souvent évoqué la fin du clivage droite-gauche, un clivage historiquement associé à une sociologie désormais dépassée où les ouvriers de gauche votaient contre les bourgeois de droite. De nombreuses études ont montré que les trajectoires électorales des citoyens sont désormais plus ondoyantes, plus fluides et plus incertaines.

La désaffiliation politique des catégories socioprofessionnelles modestes, qui s’abstiennent ou votent pour le RN plus que pour la gauche, vient s’ajouter aux transformations de l’offre politique du RN qui n’est plus celle du Front national. Le RN entend prendre en charge l’ensemble des vulnérabilités, qu’elles soient économiques ou sociétales, dans le cadre d’un souverainisme lui-même adouci et qui ne revendique plus la sortie de l’Union européenne. Avec cela il faut prendre en compte le fait que 33 % des catégories supérieures ont voté pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2022. Le traditionnel « vote de classe » est ainsi bien mort car les « classes » se sont dissoutes dans des trajectoires individuelles qui se différencient fortement et ne communient plus dans les mêmes croyances.

Le clivage droite-gauche, lui, en revanche, est toujours bien vivant et c’est bien le problème auquel le macronisme vient de se confronter. S’il est une question clivante entre la droite et la gauche, c’est bien celle de l’immigration, mais pas de toute l’immigration, celle des arabo-musulmans.

C’est bien à droite que cette question arrive en tête des préoccupations et c’est bien également au sein des droites que la fermeture des frontières aux migrations est considérée comme une priorité, avec un net rapprochement des électorats LR et de ceux de l’extrême droite. C’est ce que montrent bien de nombreuses enquêtes, notamment celle menée dans le cadre du Baromètre de la confiance politique du Cevipof.

Le macronisme impossible  ?

Cette polarisation forte sur le terrain de l’immigration, qui est aussi puissante que celle que provoque les réactions face au changement climatique, ne permet guère la mise en place d’un compromis gestionnaire s’appuyant sur le « en même temps » du macronisme.

Ce dernier a toujours tenté d’échapper aux contraintes de la vie partisane et de ses appareils en voulant sortir des doctrines constituées et des idéologies. Mais ses limites se sont vite révélées, notamment lors de la crise des « gilets jaunes » et lors de la réforme des retraites.


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L’absence d’interlocuteur, voire d’opposant structuré, laisse le pouvoir face au redoutable choix entre la décision unilatérale du souverain « éclairé », qui suscite des réactions violentes non encadrées par les partis et les syndicats, et l’absence de décision, laissant le doute s’installer sur l’intérêt que portent les hautes sphères du pouvoir à la vie quotidienne des Français.

La lecture critique qui peut être faite désormais du macronisme est bien de s’être laissé enfermé, à partir de considérations totalement justifiables sur la nécessité de rendre l’action publique efficace, dans ce dilemme qui, de ce fait, produit de l’inefficacité politique. L’efficacité en politique reste en effet toujours de nature politique. Il faut séduire, emporter l’adhésion, susciter des ralliements, créer des mythes et un récit, quels que soient les chiffres ou les bilans économiques. Cette efficacité réelle ne se réduit pas à des politiques publiques, des décrets et des arrangements négociés entre groupes d’intérêts dans une temporalité réduite au prochain budget ou dans l’urgence de la crise, comme celle des agriculteurs. Gouverner, ce n’est pas faire de la « gouvernance » et de l’entre-soi. L’État n’est pas une entreprise privée. Les efforts déployés par Gérald Darmanin pour convaincre ses alliés LR d’entrer dans le jeu du compromis lors de la loi immigration conduisaient à ignorer le fait que le débat politique en France est désormais un débat entre les droites, un débat dans lequel la vraie question est désormais de savoir s’il faut encore ou pas combattre le RN et, surtout, sur quel terrain car le RN n’est plus le FN et se retrouve en position de monopoliser la droite sociale.

L’horizon des évènements

Le gouvernement d’Élisabeth Borne a donc eu bien du mal à faire vivre une « majorité de projets » et celui de Gabriel Attal est désormais confronté au même problème car certains de ces projets sont bien plus porteurs que d’autres de valeurs mais également d’intérêts stratégiques pour LR ou le RN. Il ressort de la succession de conflits, d’incidents, de déclarations à l’emporte-pièce qui alimentent la crise démocratique, que l’on vit depuis l’élection de 2017, que le RN a pu s’imposer progressivement comme force politique de référence.

Les autres forces de droite sont irrésistiblement attirées par son champ gravitationnel et se retrouvent sur l’horizon des évènements, avant dislocation et transformation en particules élémentaires. La stratégie de la diabolisation et du procès en extrémisme, quant à elle, ne fonctionne plus mais contribue à stigmatiser des électeurs ou des électeurs potentiels qui risquent de ne pas voter en fonction des programmes mais du sentiment de mépris social que cela va leur laisser.

Le RN profite du fait que ses zones d’ombre, sur la vie économique ou sur les relations internationales, comme ses points de faiblesse, notamment son faible ancrage dans la haute fonction publique et les élites culturelles ou scientifiques, qu’il essaie de compenser au cas par cas en ralliant par exemple l’ancien patron de Frontex sur sa liste pour les européennes, sont plus que compensés par la cohérence de ses positions souverainistes et anti-immigration. Et ce, à un moment où les questions internationales dominent  : crise migratoire évidemment, mais aussi guerre en Europe, retour en force de l’antisémitisme après le 7 octobre, pandémies, réchauffement climatique.

Le RN incarne le retour du politique mais de manière plus habile que La France insoumise qui s’y consacre aussi mais en donne souvent une mauvaise image, celle de la conflictualité et de l’irrespect pour les institutions. Il est devenu le grand gagnant par défaut d’une situation où la modération est suspecte de macronisme, porté par un président en qui les Français n’ont pas confiance, et où la radicalité ne peut que renforcer ses propres positions.

C’est d’ailleurs ce qu’a signifié aussi cette étonnante convergence des oppositions dans le refus de débattre le projet de loi immigration. Bien qu’étant aux antipodes les uns des autres sur le terrain des valeurs et des projets de société, LFI, le RN et LR ont voté contre, non par cynisme mais en réalité contre « l’anti-politique » que représente le macronisme. Le refus de lancer une modification constitutionnelle pour élargir le champ du référendum, la multiplication d’agora extérieures au Parlement, comme les conventions citoyennes, laissent toujours ce goût étrange d’une fuite en avant dans un contexte fortement conflictuel où la violence s’est généralisée.

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