Menu Close
femme tend micro
Le vox pop est une pratique complexe et digne d'intérêt : l'assemblage de quelques interventions individuelles suffit pour faire allusion au public dans les médias. (Shutterstock)

Le vox pop, une pratique plus complexe qu'on le croit

Omniprésents dans les médias, les vox pop font souvent l’objet de rires, de critiques ou d’indifférence dans le discours populaire. Cette pratique complexe en mal d’amour et de reconnaissance se targue pourtant de « nous » représenter à divers degrés en tant que public dans les médias.

Et s’il était temps de lui accorder davantage d’intérêt et de soin  ?

Le vox pop ou micro-trottoir est généralement défini comme un sondage d’opinion informel réalisé auprès de membres du public pour être diffusé dans les médias, principalement dans un contexte journalistique.

Ce format, qui est tenu pour acquis collectivement, fait parfois l’objet de critiques ou de parodies.

Ces dernières années, le populaire Bye bye de fin d’année québécois s’est par exemple moqué des publicités de hamburgers de A&W sous forme de micro-trottoir (2019) et des capsules de l’humoriste Guy Nantel (2018).

Les vox pop produits par Nantel à partir de mauvaises réponses de ses interlocuteurs à des questions de connaissances générales ont d’ailleurs soulevé une rare réflexion publique sur cette pratique, certains qualifiant sa démarche de méprisante.

C’est afin de creuser les dessous fascinants de cette pratique plus complexe qu’il n’y paraît que j’ai consacré une thèse doctorale en communication au vox pop.

L’humoriste Guy Nantel a inclus des extraits de ses discussions de consentement à la participation dans un vox pop publié sur YouTube en septembre 2021.

D’où viennent les vox pop  ?

Selon les dictionnaires, le vox pop tire son nom de l’expression latine vox populi, vox Dei, dont les premières traces remontent au VIIIe siècle. Cette formule, traduite par « la voix du peuple est la voix de Dieu », pourrait suggérer que cette prise de parole a une autonomie ou un pouvoir intrinsèque.

Les études sur son usage suggèrent que cette « voix » a plutôt été forgée sur mesure au fil des siècles afin de refléter les intérêts dominants du clergé, puis de la royauté. Il faudra attendre les grandes révolutions sociales du XVIIIe siècle, ainsi que la montée subséquente des concepts de « classe ouvrière » et « d’opinion publique » avant que ces prises de parole issues de la population soient valorisées.

Le développement des médias a joué un rôle important dans l’émergence du vox pop, en particulier l’introduction vers 1860 d’une technique journalistique inédite : l’interview. En effet, il était jusque-là peu commun pour les journalistes de citer directement leurs sources. Cette technique a aussi favorisé la création d’enquêtes plus approfondies à travers la mise en série d’interviews d’abord avec des personnalités connues, puis des personnes « anonymes ».

Rappelant les vox pop actuels, on rassemblait dorénavant plusieurs interventions sur un thème d’actualité, par exemple la controverse suscitée par le port du pantalon chez les femmes à bicyclette  dans un article du Gaulois de 1895  !

Le vox pop a également été influencé par la montée du marketing et des sondages d’opinion au XXe siècle qui tentaient de définir ce qu’on considérait désormais comme le public de masse. On entend en effet communément que le vox pop s’adresse à des gens supposément « ordinaires » et qu’il représente l’opinion de « monsieur et madame Tout-le-Monde ».

Quelques exemples précurseurs dans les médias

Même si les conditions médiatiques et sociales d’existence des vox pop étaient présentes près d’un siècle plus tôt en Europe et en Amérique du Nord, mes recherches m’ont principalement permis de retracer des exemples concrets de vox pop à partir de 1930. Réalisé à Paris en 1932, le reportage photographique « Mesdames, voulez-vous voter  ? » accompagne chaque cliché de courts témoignages de passantes dont certaines semblent peu convaincues de la nécessité de permettre le vote aux femmes.

De 1932 à 1948, c’est au tour de l’émission radiophonique américaine Vox Pop  de profiter des récentes avancées technologiques pour sortir ses microphones filaires du studio vers la rue et sonder le public sur toutes sortes de sujets. Au fil des années, les créateurs de l’émission travailleront consciemment à représenter le public américain de façon exemplaire et idéalisée à la radio, y compris lorsqu’il sera appelé à se mobiliser pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Loin d’être limitée au journalisme, l’utilisation du vox pop est aussi commune à des fins de divertissement, d’éducation, en art, en documentaire, ainsi que pour faire la promotion d’un produit ou de sa propre image de marque. Illustration : Lucie Le Touze

Un tour de force de représentation

D’hier à aujourd’hui, l’une des particularités du vox pop est de faire appel à un échantillon limité de personnes triées sur le volet et d’amplifier leurs propos pour les amener à représenter plus largement le « grand public ».

Le linguiste américain Greg Myers écrira, dans son ouvrage Matters of Opinion, que pour le vox pop,

La règle semble être qu’une seule personne ne peut pas parler au nom du « public », mais que n’importe quelle combinaison de trois personnes peut le faire.  (traduction libre)

Contrairement aux sondages d’opinion réalisés par des firmes professionnelles, la représentation qui est évoquée ici n’a rien de statistique. Cette citation résume cependant bien le pouvoir sous-estimé du vox pop et de ses créateurs et créatrices à générer des images plus ou moins déformées de certaines portions du public à destination d’auditoires médiatiques variés.

Une pratique complexe et ses enjeux

De ses origines à sa documentation, le vox pop est souvent associé à la pratique du journalisme. Ce format flexible qui permet de prendre le pouls de la population rapidement est fréquemment inséré dans les reportages.

Son utilisation est cependant plus problématique qu’il n’y paraît.

Les quelques études réalisées sur le vox pop journalistique nous apprennent qu’il est malaimé des journalistes, le plus souvent conçu de façon biaisée et utilisé pour soutenir le narratif du reportage plutôt que l’expression autonome des opinions du public.

Le vox pop peut également être utilisé pour faire la promotion d’un produit ou de sa propre image de marque. Cet usage est particulièrement présent sur les réseaux sociaux.

Avec 7 milliards de vues associées au mot-clic #microtrottoir à ce jour, les vox pop sont par omniprésents sur le réseau social TikTok du jeu-questionnaire commandité jusqu’à la drague auprès de jeunes femmes parfois en état d’ébriété.

Popularité du mot-clic #microtrottoir sur TikTok
On dénombrait 7 milliards de visionnements associés au mot-clic #microtrottoir sur le réseau social TikTok en juillet 2023. TikTok

La complexité du vox pop est manifeste lorsqu’on le considère comme pratique à part entière portée par des créateurs et créatrices médiatiques d’horizons variés, allant de journalistes régis par un code de déontologie à des influenceurs sociaux peu encadrés.

Parmi les enjeux rencontrés sur le terrain, on dénote, sans pouvoir tous les nommer, le consentement de participation parfois absent, la déformation potentielle des propos, l’impossibilité de faire retirer des contenus problématiques ou encore leur risque de devenir viral. Sans suggérer que la participation à un vox pop se doit nécessairement d’être rémunérée, certains questionnements peuvent également être soulevés lorsque des contenus produits à partir de contributions d’inconnus sont monétisés.

La collaboration à des vox pop peut être une source de fierté, mais aussi potentiellement dommageable. Leur écho est aussi social puisque leur accumulation influence positivement ou négativement notre perception collective. À l’image de la maxime vox populi, vox Dei, les créateurs et créatrices médiatiques ont en effet un pouvoir énorme sur les propos et gestes qu’ils décident de mettre en scène, de récolter et de faire circuler dans l’espace médiatique.

Pour des vox pop responsables

À mon sens, il importe de valoriser une approche où la responsabilité collective des vox pop serait davantage partagée.

Les créateurs et créatrices médiatiques sont d’abord invités à concevoir et réaliser leurs vox pop dans le respect des contributeurs à toutes les étapes et à faire preuve de plus de transparence sur leur démarche.

Les participants et participantes ont également un rôle clé à jouer : contribuer de façon assumée et mesurée aux vox pop ou exprimer leur refus si la démarche présentée ne leur convient pas.

Finalement, il incombe aux membres de l’auditoire de soulever des interrogations devant les contenus potentiellement problématiques et de donner de l’amour à ceux qu’ils jugent réalisés avec respect, quel que soit leur propos…

Oui, de l’amour, le vox pop en a bien besoin et il s’enrichit en sa présence  !

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now