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Le Salon du livre Paris en 2014. Actualitté / Flickr

Le web littéraire, un salon du livre comme les autres ?

De la littérature contemporaine à la Littérature policière, de la poésie à l’essai en passant par la littérature jeunesse ou par le fantasy, les manifestations littéraires ciblent une audience toujours plus élargie et connaissent un véritable engouement auprès du grand public.

En France, la plus grande d’entre elles, le Livre Paris accueille chaque année des milliers de visiteurs et d’exposants. Avec une programmation mettant l’Inde à l’honneur, la 40e édition annulée en raison de la menace du coronavirus n’y aurait certainement pas fait exception, ceci en dépit d’une légère baisse de fréquentation enregistrée l’an passé.

Mais si les écrivains et leurs lectorats se rencontrent dans l’espace public urbain, ils investissent désormais un autre espace : celui du numérique. Certains auteurs à l’image de Thierry Crouzet en viennent même à considérer leurs sites ou leurs blogs comme de véritable : « […] salon [s] du livre permanent [s] ou non prêté [s] à des performances. [une] boutique d’écrivain public dans une rue plus ou moins obscure du Nouveau Monde. » Le site web pourrait-il s’apparenter à un salon du livre comme les autres ?

Les manifestations littéraires au cœur de la vie littéraire et du territoire

Souvent concentrées sur plusieurs jours et disposant d’une périodicité qui leur est propre, les manifestations littéraires jouent un rôle prépondérant dans la dynamisation du territoire et de la vie littéraire en particulier en régions. Héritières des salons et cafés littéraires qui se sont multipliés au XVIIe siècle pour connaître un certain essor aux XVIIIe et XIXe siècles, elles entendent principalement élargir le public du livre et de la lecture, promouvoir la lecture, valoriser et soutenir la création ainsi que les différents acteurs de la filière du livre, tout en favorisant les interactions et le développement de l’esprit critique.

Elles engendrent également des retombées économiques et sociales positives. Une récente étude consacrée au poids et à l’impact des manifestations littéraires soutenues par le CNL dans les territoires met en lumière une hausse du chiffre d’affaires des libraires au cours de ce type d’événement. Une croissance à laquelle s’ajoutent d’autres effets positifs comme la conquête et la fidélisation de lecteurs ou encore la pérennisation des ventes des livres récompensés ou mis à l’honneur. Les librairies ne sont toutefois pas les seules à bénéficier de cette conjoncture, les auteurs, les éditeurs locaux ainsi que les bibliothèques-médiathèques en tirent également parti notamment afin d’accroître leur visibilité et renommée. De manière générale, les partenaires accompagnant les manifestations ainsi que l’économie locale connaissent une embellie due principalement à l’afflux de visiteurs.

Sur le plan social, salons et festivals travaillent leur programmation autour de thèmes porteurs qui cherchent à fédérer tous les publics en privilégiant la diversité sous toutes ses formes. Pour ce faire, ils peuvent compter sur l’appui de nombreux bénévoles qui participent à l’esprit de convivialité et aux nombreuses animations qui s’y déroulent. Ces passionnés représenteraient 77 % des personnes mobilisées dans l’organisation de ce type d’événements selon les données recueillies par le CNL.

Pour les auteurs, les manifestations littéraires sont également une opportunité d’enrichir leurs revenus et de promouvoir leurs productions. Par ailleurs, certains travaux à l’image de ceux d’Adeline Clerc ont notamment souligné le rôle et l’importance des salons du livre dans la construction de la figure de l’écrivain. Cela est particulièrement pertinent pour le primo-romancier qui se confronte alors à ses pairs et intègre le milieu littéraire, faisant l’acquisition de ses codes pour mieux se positionner et éprouvant son identité d’écrivain en rencontrant son public et en se prêtant au jeu des médiations.

Le web, une autre façon d’exposer la littérature ?

Le web, ce « Nouveau Monde », que décrit Thierry Crouzet, ne se contente pas d’apparaître comme une formidable vitrine pour tous les auteurs, qu’ils soient publiés par des maisons d’édition traditionnelles, indépendantes, numériques ou qu’ils soient autoédités. La toile bouleverse les pratiques et propose une autre exploration de la littérature.

Progressivement, nous assisterions selon certains chercheurs à l’externalisation d’un champ, à la fois en continuité et en rupture de la littérature traditionnelle, celui de la littérature numérique, qui aurait commencé à émerger dans les années 50 et dont la phase de constitution débute avec l’Atelier de littérature assistée par la mathématique et les ordinateurs (ALAMO) fondé en 1982 par Paul Braffort et Jacques Roubaud que l’on peut considérer comme le premier groupe constitué en littérature numérique. Vecteur d’expérimentations nouvelles, ce dernier réunit des formes d’une grande variété et diversité, profitant des possibles qu’ouvrent les technologies. Si certaines d’entre elles versent dans le spectaculaire en déployant une grande interactivité, les rapprochant de l’art visuel ou du jeu vidéo (poésie animée, œuvres interactives, multimédias. D’autres s’attachent davantage à développer le potentiel des « écrits d’écrans », des réseaux sociaux et des plates-formes (sites d’auteurs, microblogging, twittérature, Littératube.


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Par ailleurs, la culture numérique favorise les échanges et le partage. Le web redessine les sociabilités et crée de solides communautés de lecteurs et d’auteurs tout en établissant un nouvel équilibre dans les rapports créateurs/publics. Véritable outil de médiation, le site permet à l’auteur de travailler sa légitimité et de consolider son lectorat, un enjeu d’importance pour les auteurs numériques en quête d’une plus grande reconnaissance. Utilisé tant à des fins créatives que communicationnelles, le site joue donc un rôle clé suscitant à tout moment des interactions plus vives et directes, notamment par le biais de commentaires.

Des (contre-)salons du livre sur le web ? Le cas de François Bon

Traversée par un esprit de contestation et de contre-culture, la Toile est un espace d’expression ouverte à tout à chacun où la parole relève parfois de la critique. De nombreux auteurs (Thierry Crouzet, Arnaud Maïsetti ne manquent pas de partager leurs expériences et opinions personnelles concernant les salons du livre dans l’espace de leurs sites web.

Toutefois, l’un d’eux, François Bon, considéré comme l’un des pionniers du web littéraire francophone, adopte volontiers une démarche plus polémiste et militante. L’artiste transmédias va en effet plus loin, n’hésitant pas à dénoncer l’envers de ce type de manifestation dans certains de ses articles et vidéos en donnant à voir leurs coulisses en caméra cachée comme à l’occasion du Salon du livre de Genève.

L’an dernier, l’auteur et créateur du Tiers Livre allait même jusqu’à proposer, dans une vidéo intitulée « Mon salon du livre à moi » mise en ligne le 15 mars 2019 – soit le jour même de l’ouverture de la 39e édition du Livre Paris – ce que l’on pourrait considérer comme une sorte de contre-salon.

Cette initiative en marge de la manifestation rappelle celle du Salon des Refusés qui permit à quelques figures emblématiques de la peinture à l’image de Manet ou Pissarro, refusés à plusieurs reprises par le Salon de peinture et de sculpture d’exposer leurs œuvres jugées trop éloignées des canons artistiques de l’époque et dont la modernité fit scandale.

Cette vidéo de François Bon, ouverte aux commentaires et filmée au milieu des livres, articule différentes propositions qui évoquent plusieurs types de médiations répandues dans les salons et festivals. Après un passage en revue de quelques-unes de ses propres productions (une démarche que l’on pourrait rapprocher de la rencontre d’auteur), l’écrivain se livre à des lectures (publiques), invite à la réflexion et au débat, fait l’éloge du creative writing, offre aux lectrices et lecteurs l’opportunité de remporter un ouvrage en jouant à son jeu-loterie, avant de formuler des prescriptions littéraires. Celles-ci regroupent, toutefois, principalement des références singulières, expérimentales, plutôt méconnues du grand public tandis que la plupart des questions posées par l’auteur ont trait au numérique. Des éléments encore peu représentés dans les salons du livre traditionnels en dépit de quelques avancées ces dernières années.

En somme, s’il reprend certains codes des salons et manifestations traditionnels, le web parvient à les déjouer pour valoriser une littérature expérimentale et méconnue. Espace de médiation, il permet aux auteurs de se construire un lectorat, de le fidéliser et de nouer avec lui une relation plus directe notamment grâce aux sites et blogs d’écrivains, parce que finalement comme le souligne Claude Menbrez, directeur général de la Palexpo, « un salon du livre, c’est une culture en partage » qu’elle soit numérique ou héritière de l’imprimé.

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