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L’eau, la grande oubliée du label bio ?

En octobre 2020, manifestation dans le marais poitevin contre le stockage de l’eau par les agriculteurs. Philippe Lopez / AFP

Selon le baromètre « Les Français et l’eau », publié en 2018 par le Centre d’information sur l’eau, la conscience que cette ressource est limitée progresse au sein de l’opinion publique française.

De même, les Français sont toujours plus nombreux à associer le changement climatique avec le manque d’eau (84 %) et la dégradation de la qualité des ressources (79 %). Soulignons également que si l’année 2020 a été marquée par une crise sanitaire et économique, les Français ont confirmé leur préoccupation pour l’environnement.

73 % des Français considèrent ainsi plus particulièrement les labels pour orienter leurs achats alimentaires vers des « produits plus respectueux de la nature et de l’environnement ».

Mais ces labels prennent-ils bien en compte la question d’une gestion durable de l’eau et notamment de ses usages en agriculture, secteur très consommateur de cette ressource ?

Pour le savoir, nous nous sommes concentrées sur le label bio (AB), le plus plébiscité par les Français en matière de préservation de l’environnement.

Avant toute chose, il est important de rappeler qu’il existe plusieurs échelles et aspects à prendre en compte pour comprendre les pratiques favorables à la gestion de l’eau au niveau agricole. Au niveau de la parcelle et de l’exploitation, une gestion économe implique d’améliorer les pratiques d’irrigation, et de modifier et adapter les pratiques agronomiques.

Du fait des interactions entre les activités agricoles d’une part, et le cycle de l’eau et les écosystèmes locaux d’autre part, il est aussi crucial d’intégrer à l’analyse le niveau territorial (bassin ou sous-bassin hydrographique).

L’eau bien présente dans le label bio

Comme inscrit dans le règlement européen 2018/848, la production biologique doit faire une « utilisation responsable » de la ressource en eau et le processus de production doit prendre en compte « les conditions climatiques et locales ».

Elle a pour principe de « préserver et développer la capacité de rétention d’eau » des sols et de choisir les « variétés végétales » en considérant « l’adaptation aux diverses conditions pédoclimatiques locales ».

Ce label met donc l’accent sur l’amélioration des propriétés physique, chimique et biologique du sol afin d’obtenir une meilleure régulation du cycle de l’eau – meilleure rétention et infiltration, ainsi que sur l’intégration des spécificités territoriales pour développer le système de production.

De ce fait, plusieurs travaux de recherche montrent que la production biologique a un effet positif avéré sur cette régulation.

Aucune mention de l’irrigation

Bien que la production biologique prône une « utilisation responsable » de la ressource en eau, il n’y aucune mention de l’irrigation ou de son optimisation dans le label, contrairement à d’autres, comme le label « haute valeur environnementale » (HVE).

Celui-ci a d’ailleurs reçu le meilleur score concernant la préservation de la ressource en eau par France Stratégie. Son cahier des charges inclut effectivement une partie entière sur la gestion de l’irrigation. L’évaluation porte principalement sur l’enregistrement des pratiques d’irrigation et la présence de certains types de matériel.

Cependant, d’après la dernière étude de l’Iddri, la certification HVE peut être accordée « sans avoir aucun résultat réel en matière de limitation des besoins d’irrigation […] et sans limitation des prélèvements à l’étiage ».

Enfin, le label HVE intègre une dimension territoriale par la prise en compte de « l’adhésion à une démarche collective de gestion de l’eau ». Dans la pratique, cet item fait principalement référence aux dispositifs de gouvernance locale prévus dans la loi, comme les organismes uniques de gestion collective.

Or, en France, l’adhésion est obligatoire sur les zones où existent ces organismes… HVE n’apporte donc à cet égard qu’une faible valeur ajoutée.

Le label bio, soucieux des pratiques agronomiques

Certaines pratiques agronomiques peuvent améliorer la résistance des cultures aux périodes de sécheresse ou réduire les besoins en irrigation.

Parmi elles, on peut citer des pratiques de non-labour ou de labour léger, d’introduction de couvert ou d’agroforesterie, de décalage de la date de semis et enfin de diversification en utilisant des variétés de plantes précoces ou plus tolérantes à la sécheresse.

Le label encourage en ce sens les engrais verts (on parle aussi de couverts hivernaux semés), préconise des pratiques de labour limitant l’érosion et l’entassement des sols. Les rotations sont mises en avant pour le maintien et l’augmentation de la fertilité du sol, avec une obligation d’y inclure des légumineuses. Cette pratique participe aussi à la diversification du système de production. Par contre, le cahier des charges ne mentionne pas les décalages de semis ou l’agroforesterie.

Une étude utilisant la méthode de l’analyse du cycle de vie révèle ainsi que l’empreinte hydrique de l’agriculture biologique est plus faible pour des produits comme le soja, grâce notamment à l’interdiction de produits phytosanitaires de synthèse.

Diversification et agroécologie

Le label bio préconise des mesures favorables à la préservation de l’eau au niveau de l’exploitation dont la diversification des cultures et certaines pratiques agroécologiques, sans pour autant mettre l’accent sur l’intérêt de ces pratiques en matière de gestion de l’eau.

Néanmoins, trop peu de données scientifiques existent sur la quantification des économies d’eau effectives liées à la mise en place de ces nouvelles pratiques. La recherche en la matière doit donc encore déterminer les conditions pour qu’une pratique ait un réel impact positif sur les économies en eau.

Effets rebonds et spécificités territoriales

Bien que les pratiques d’irrigation et d’agronomie puissent aider à diminuer les besoins en eau à l’échelle de l’exploitation, leur mise en place peut avoir des conséquences négatives à l’échelle du territoire.

De nombreuses études ont par exemple montré que la promotion de matériel optimisant l’irrigation peut parfois favoriser son développement sur le territoire et donc entraîner, par effet rebond, une augmentation globale des prélèvements d’eau pour l’agriculture.

De même, la généralisation à l’échelle d’un territoire des couverts vivants, telle qu’évoquée précédemment, pourrait avoir un impact négatif sur la recharge des réserves souterraines.

La pression locale sur les ressources en eau n’est pas prise en compte dans les décisions en matière de labellisation. En fonction de l’état de la ressource et des conditions pédoclimatiques, un label pourrait envisager de prescrire ou de limiter certaines cultures dans la part de l’assolement-rotation et d’en faire un critère pour la certification – ce qui est déjà le cas dans certains labels étrangers.

Intégrer ces critères aux projets de territoire

Si le processus de labellisation bio n’intègre pas de réflexion à l’échelle territoriale sur le type d’agriculture et de cultures que doit soutenir l’irrigation, il pourrait toutefois jouer un rôle involontaire dans les projets de territoire de gestion de l’eau.

En conditionnant, par exemple, l’accès à de nouvelles ressources en eau, comme il avait été envisagé pour le projet de territoire de gestion de l’eau de la Sèvre niortaise.

Dans ce cas, le développement de la certification ne doit toutefois pas devenir un simple argument pour soutenir la création d’infrastructures de stockage d’eau.

L’amélioration des labels existants devrait d’abord être envisagée comme une manière de s’adapter et d’atténuer les effets du changement climatique et non un moyen d’augmenter l’offre en eau.

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