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L’écologie urbaine, qu’est-ce que c’est ?

Loin d’être une nouveauté radicale, l’écologie urbaine est en réalité une vieille idée dont les prémisses surgissent sur la scène urbaine entre les XVIIIe et XIXe siècles, moins du côté de la botanique que du côté des médecins et de la chimie urbaine, autour d’une attention pour les échanges entres les milieux (air, sol, eau) et les cycles « trophiques » (ou chaînes alimentaires), en lien avec la question du « malsain » (cf. Guillerme, Barles).

Ces premières formes de ce qui ne s’appelle pas encore « écologie urbaine », se concrétisent dans une représentation où la ville doit devenir le lieu par excellence d’une mise à distance de la nature et doit être orientée vers l’amélioration de la vie des hommes. Il faudra attendre les années 1960 pour que l’écologie urbaine apparaisse formellement sous l’impulsion d’écologues (cf. Wolman, Duvigneaud, Odum) qui se rapprochent des protecteurs de la nature. Leurs travaux apparentent la ville à un métabolisme, qui « absorbe la nature, la transforme puis la rejette en matières et polluants nuisibles pour la planète, la santé et la qualité de vie de ses habitants » (cf. Lévy). La nature doit alors être protégée par un urbanisme « fonctionnaliste » institutionnalisant, via les parcs naturels, des lieux construits contre l’homme et sa puissance de destruction (cf. Viard).

Le toit végétalisé, une « solution » d’inspiration naturelle en milieu urbain. Illinois Springfield/Flickr, CC BY-NC-ND

Une nouvelle conception de l’écologie

Ce regard catastrophique véhiculant une vision « déshumanisée » de la ville tend cependant à évoluer ces dernières années, en transformant en profondeur une conception monolithique de l’écologie urbaine qui aborde la ville comme un ensemble de dysfonctionnements, de risques ou de problèmes devant être résolus par la gestion de « systèmes artificiels ». Une nouvelle conception de l’écologie émerge, où l’urbanisation n’est plus uniquement saisie à travers ses aspects négatifs. La ville n’est plus synonyme de dysfonctionnements.

En donnant toute sa place au rôle des institutions dans la question environnementale, à celui des comportements individuels et collectifs, des modes de gestion globale et locale, on ne réduit plus l’étude du fonctionnement urbain à ses effets perturbateurs. Il devient également envisageable de considérer les organisations urbaines comme une ressource environnementale (cf. Lolive), de s’appuyer sur l’activité humaine, de mobiliser les modes de vie dans une approche intégrée, afin d’apporter à la connaissance des modes d’urbanisation, tout en élargissant le spectre des solutions possibles pour réduire leurs nuisances.

Le rejet persistant de l’incontrôlable

Cette démarche intégrée, qui permet de tenir conjointement compte des composantes naturelle, construite et sociale de la ville agit également sur les normes de l’action publique. Les formes de liens entre les caractéristiques du milieu urbain et la santé des citadins, par exemple, deviennent un enjeu sociétal. Il en va de même de tout ce qu’il est convenu d’appeler les inégalités écologiques et qui recouvre autant le droit de tout un chacun de vivre dans un cadre de vie décent, que ses possibilités d’accéder à la ville et d’y circuler (cf. Faburel).

Les « trames vertes et bleues », une nouvelle façon de maintenir la biodiversité en ville.

Mais cette évolution apparaît surtout dans la généralisation des modes d’action visant à intégrer la nature dans la ville, telles les coulées vertes, bleues ou la création d’espaces publics à vocation naturelle (cf. Clergeau et Blanc). La vision politique de l’écologie urbaine participe à gommer l’opposition ville-campagne par une naturalisation urbaine. Mais, ce faisant, elle ignore la réalité d’une biodiversité urbaine reposant également sur l’existence d’une nature en ville non maîtrisée qui, pour le politique, est une nature sauvage incontrôlée, dangereuse et stigmatisée. En d’autres termes, si l’institutionnalisation de l’écologie urbaine compose un lien nécessaire entre ville et nature, elle s’inscrit aussi dans une négation d’espaces naturels non maîtrisés, lieux essentiels de la biodiversité urbaine, que l’action politique voudrait pourtant rendre invisibles.

Au final, l’écologie urbaine contemporaine devient une discipline riche et complexe dans laquelle les ressources environnementales associent les espaces construits et naturels, les organisations urbaines et les activités humaines. Mais c’est aussi une injonction pour l’action politique et aménagiste sommée de naturaliser la ville pour le bien-être de ses habitants, en étant tiraillée entre une domestication porteuse d’un ordre urbain, hygiéniste, qui « invisibilise » les flux de matières urbaines par leur intégration aux fonctionnements naturels, et la reconnaissance en son sein de l’existence d’une part d’« incontrôlable » (cf. Hajek, Hamman, Lévy).


Retrouvez ce texte dans son intégralité en consultant l’ouvrage collectif « Guide des humanités environnementales » (édité par Aurélie Choné, Isabelle Hajek et Philippe Hamman, Presses universitaires du Septentrion), à paraître en décembre 2015.

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