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Photo d’un ouvrier portant des carrelages sur un chantier.
La pénibilité au travail est l’un des critères pris en compte par certains partis politiques dans leur programme. Dusan Petkovic/Shutterstock

Législatives 2024 : quelles sont les propositions des candidats pour la santé au travail ?

Travail répétitif, cadences excessives, manque d’autonomie, horaires décalés, relations de travail dégradées, peur de perdre son emploi… En France comme en Europe, plus d’un salarié sur deux est exposé à des facteurs psychosociaux de risques, dangereux pour sa santé mentale.

De nombreuses études scientifiques ont montré que ces situations peuvent engendrer de graves problèmes de santé, non seulement physique (troubles cardiovasculaires, ulcères, etc.), mais aussi psychique (dépression, trouble anxieux, voire suicide…).

Pourtant, ce sujet est très peu présent dans les débats se tenant dans le cadre des élections législatives anticipées. Quelle est la situation dans notre pays ? Que proposent les différents partis politiques pour faire face aux enjeux actuels de santé au travail ?

Burn-out, accidents du travail : un état des lieux préoccupant

Selon une estimation déjà ancienne de l’Institut de veille sanitaire, près de 500 000 salariés seraient concernés par des problèmes de souffrances psychiques liées au travail (dépression, trouble anxieux, etc.). Cette situation n’est pas propre à la France, mais en matière de pénibilité physique comme psychique notre pays fait pire que ses voisins européens.

L’enquête européenne sur les conditions de travail le montre, les salariés français sont parmi les plus exposés d’Europe à des postures de travail douloureuses, au port de charges lourdes, aux mouvements répétitifs ou aux expositions à des produits toxiques. Ils subissent également davantage de contraintes psychosociales (manque d’autonomie, de soutien, de pouvoir de décision, délais très stricts à respecter, etc.).

La France a aussi un des taux d’accidents du travail les plus élevés d’Europe. Chaque jour, deux salariés meurent au travail, plus d’une centaine sont gravement blessés et conserveront des séquelles à vie. Or, il ne s’agit là que des accidents déclarés officiellement et reconnus par la Sécurité sociale, ce qui sous-estime le phénomène.

Les employés et les ouvriers sont les premiers concernés, notamment dans les secteurs de la construction, l’agriculture, les industries extractives, le transport et l’entreposage, le nettoyage, ou les soins à la personne.

Front de gauche : une série de propositions

Sur les questions de santé au travail, le programme du Nouveau front populaire (NFP) est le plus fourni. Il propose de rétablir les facteurs de pénibilité supprimés en 2017 (port de charges lourdes, postures douloureuses, produits chimiques et vibrations), lesquels favoriseraient un départ anticipé en retraite (ramenée par ailleurs à 60 ans).

Par ailleurs, il est envisagé « d’organiser une conférence nationale sur le travail et la pénibilité » dont l’objectif serait de rétablir la semaine de travail à 35 h (le temps de travail hebdomadaire moyen en France était de 38,9 h en 2023) et à 32 h pour les « métiers pénibles » (sans autre précision) ou de nuit.


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Le NFP souhaite également adopter un plan d’action « zéro mort au travail », qui comprend plusieurs mesures. L’une d’entre elles consiste à rétablir les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Composés de représentants du personnel et de la direction, les CHSCT ont été fusionnés en 2017 (par les ordonnances Travail) avec les autres instances représentatives du personnel (délégué du personnel et comité économique).

Cette fusion a abouti à la mise en place d’une instance unique, le Comité social et économique (CSE), et à la création d’une instance dédiée à la santé au travail seulement obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés (contre 50 salariés pour les CHSCT).

La suppression des CHSCT a entraîné un net recul de la prise en charge des questions de santé au travail dans les entreprises. De plus, la création des CSE a conduit à une très importante réduction des moyens des représentants du personnel et des syndicats (diminution du nombre d’élus, d’heures de délégation, d’instances représentatives du personnel).

Autre proposition phare du NFP : la reconnaissance du burn-out dans les tableaux de maladie professionnelle. Ces derniers précisent quelles pathologies professionnelles peuvent être indemnisées, et sous quelles conditions. Selon différents sondages, entre 2,5 et 3,2 millions de salariés français se déclarent en situation d’épuisement professionnel ou de « burn out ».

Si ces estimations sont à manier avec précaution, elles donnent cependant une idée de l’ampleur du phénomène. Le député de la France Insoumise François Ruffin avait fait une proposition de loi pour reconnaître le burn-out en maladie professionnelle en 2018, mais qui n’avait pas abouti.

Enfin, le NFP propose d’embaucher davantage d’inspecteurs et de médecins du travail. On sait que les entreprises où les syndicats sont bien implantés et actifs sont celles où les conditions de travail et d’emploi sont meilleures .

Malgré cela, dans de nombreuses entreprises, les syndicalistes peinent à se faire entendre pour défendre la santé des salariés et modifier l’organisation du travail . Et ce, d’autant plus que l’inspection du travail connaît des pénuries importantes d’effectifs. En 2022, on comptait seulement 1700 inspecteurs du travail (en équivalent temps plein) pour plus de 20 millions de salariés.

La santé au travail, grande absente à droite

À droite et au centre droit, la coalition Ensemble (Renaissance, UDI, Parti radical, Horizon, Mouvement démocrate), réunie autour d’Emmanuel Macron, est également peu loquace sur le sujet de la santé au travail. Pour trouver trace de préoccupations concernant les conditions de travail, il faut se pencher sur le volet « environnement » de ce programme.

On y trouve en effet deux propositions qui concernent les conditions de travail. Il est question « d’adapter les horaires de travail en période de canicule » notamment pour les travailleurs du BTP, et de continuer à « réduire l’usage des pesticides de 50 % d’ici 2030, après avoir réduit l’usage des plus dangereux de 98 % depuis 2017.  ».

Cette dernière proposition pourrait notamment permettre de limiter l’exposition des professions qui les produisent ou les utilisent, qu’il s’agissent de salariés du secteur industriel ou agricole. Elle a cependant de quoi surprendre, car à la suite de l’importante mobilisation des agriculteurs en janvier dernier, le gouvernement a suspendu le plan Ecophyto, dont l’objectif était précisément de réduire l’usage des pesticides de 50 % d’ici 2025.

Soulignons que sur le sujet des pesticides, le RN a fait évoluer ses positions ces dernières années, passant d’un discours critique à une promotion active des pesticides. Comme LR, ce parti souhaite mettre fin à la stratégie de l’Union européenne visant à réduire de moitié l’usage des pesticides et à atteindre un quart de surfaces cultivées en agriculture biologique .

Rappelons que les pesticides ne sont pas sans liens avec la question de la santé au travail : nombre d’entre eux sont reconnus comme cancérogènes avérés par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Le droit français prévoit que les travailleurs agricoles exposés durant dix années aux pesticides et ayant contracté un cancer du sang (lymphomes, myélomes) puissent faire reconnaître leur cancer en maladie professionnelle. Cette reconnaissance permet d’être indemnisés par la Sécurité sociale.

Malgré cela, les cancers liés au travail agricole restent très peu reconnus et indemnisés. Il en va de même de l’ensemble des cancers liés au travail, dont on estime que le nombre de nouveaux cas par an se situe entre 15 000 et 30 000.

Dans le programme du parti Les Républicains (LR), les thèmes des conditions de travail, de la santé au travail ou de la représentation du personnel dans les entreprises sont totalement absents. De son côté, le Rassemblement national (RN) propose d'organiser une « conférence sociale sur les salaires et les conditions de travail » et de prendre en compte « la pénibilité réelle des emplois faiblement qualifiés » dans le système des retraites, sans autre précision.

Globalement peu de choses quant à l’évolution de la gouvernance des entreprises

Alors que plus d’un salarié sur deux est exposé à des facteurs psychosociaux de risques, moins d’un quart des entreprises déclarent modifier leur organisation du travail pour y faire face. Les mesures individuelles (procédures de signalement de salariés en situation de risque, assistance psychologique, formation, etc.) sont privilégiées, alors qu’elles sont pourtant moins efficaces.

À travers les enjeux de santé au travail, c’est donc aussi la question du partage du pouvoir de décision dans l’entreprise qui est posée. Sur ce point, à l’exception du NFP, qui suggère qu’un tiers des sièges du Conseil d’Administration des grandes entreprises soient réservés aux salariés, l’ensemble des autres partis politiques font l’impasse sur cette question.

Et ce, alors que les réformes du droit du travail, engagées depuis une vingtaine d’années par les différentes majorités au pouvoir, ont fragilisé les capacités d’action des représentants des salariés dans l’entreprise, comme l’ont montré diverses recherches sur le sujet. Plus encore, depuis plus de 30 ans, le travail est pensé comme un « coût » qu’il faut absolument réduire. Les politiques économiques conduites en ce sens (exonérations de cotisations sociales, baisse des impôts de production, etc.) ont contribué à intensifier et dégrader le travail sans pour autant améliorer l’emploi, ou l’investissement dans les entreprises.

Agir pour la santé au travail suppose non seulement de sortir de cette représentation et des politiques qui l’accompagnent, mais aussi de renforcer le pouvoir des salariés et de leurs représentants dans l’entreprise.

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