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« L’envers des mots » : Glottophobie

Personnes discutant avec des bulles de textes représentées en couleurs.
Le succès du terme “glottophobie” tient au fait qu'il a permis de nommer un phénomène fréquemment vécu mais difficile à identifier. Shutterstock

Le mot « glottophobie » a connu depuis 2016 une large diffusion dans la société française, au point d’entrer dans le dictionnaire Le Robert en 2023 et de voyager dans le monde francophone. Il connait aussi des usages en espagnol, en portugais, en italien, en anglais, etc.

Forgé sur le modèle de xénophobie à partir de glotto – signifiant « langue » et – phobie indiquant une hostilité, ce terme désigne le « traitement différent et défavorable d’une personne ou d’un groupe » pour un motif abusif d’ordre linguistique. Il peut s’agir de l’usage d’une langue régionale comme le corse ou le créole réunionnais ou bien d’une langue immigrée comme le kabyle ou le pachto. Il peut aussi s’agir d’une façon particulière de parler une langue, avec ses prononciations, ses mots, ses tournures, comme le français parlé à Marseille, à Québec ou à Dakar.


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Pour démontrer le caractère abusif de ce critère de différenciation négative, il a fallu rassembler un corpus de textes relatifs aux droits humains, qui mentionnent explicitement la langue, au même titre que l’origine ou la couleur de la peau, dans l’interdiction des discriminations. Ces textes garantissent le droit fondamental d’utiliser librement ses propres moyens linguistiques dans ses relations humaines et sociales. Il a fallu également démontrer que la ou les langues premières sont des éléments essentiels de la personnalité, que leur mépris ou leur interdiction produit un traumatisme et des inégalités déterminantes.

Le terme « glottophobe » a été proposé pour la première fois lors d’un colloque sur les langues régionales à Amiens, en 1996, pour qualifier des discours hostiles à l’usage de ces langues. Les textes en ont été publiés en 1998. Le terme a été plus largement diffusé dans un article grand public intitulé La « mauvaise langue » des « ghettos linguistiques » : la glottophobie française, une xénophobie qui s’ignore. La notion est précisément décrite dans une publication scientifique dédiée en 2013 et largement diffusée par la sortie, début 2016 chez Textuel, de l’ouvrage scientifique à vocation grand public Discriminations : combattre la glottophobie (réédition 2019).

Le succès du terme tient au fait qu’il a permis de nommer un phénomène fréquemment vécu mais difficile à identifier. D’une part, parce qu’il est difficile de percevoir ce sur quoi on n’est pas capable de mettre un nom, comme l’a montré Merleau-Monty. D’autre part, parce que dans nombre de sociétés, à commencer par la France, l’idée même de « droits linguistiques » n’existe pas ou se trouve réservée aux seuls usages de langue unique imposée comme nationale et révérée d’une façon religieuse.

Cela a permis que, fin 2016, la loi interdisant les discriminations en France soit complétée par l’interdiction de traiter les gens différemment selon leur capacité d’usage ou leur usage effectif d’une langue autre que le français, à l’initiative de députés défendant le droit « de parler une autre langue que le français, qu’elle soit étrangère ou régionale ».

Le succès de la notion de glottophobie a attiré l’attention sur la question des prononciations du français qui ne correspondent pas à la norme dominante fondée sur « la conversation soignée de Parisiens cultivés » (P. Fouché, 1950). L’attitude de mépris d’un député face à une journaliste toulousaine en 2018 ou certaines réactions injurieuses à la nomination d’un Premier ministre à l’accent méridional en 2019, ont provoqué des protestations contre ces attitudes désormais nommées « glottophobes ».


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En 2020, une enquête révèle que 50 % de la population en France dit parler français avec « un accent », que la moitié de ces 50 % a subi des stigmatisations et 16 % (soit potentiellement des millions de personnes) des discriminations à l’embauche liées à cet accent. Un projet de loi a même été largement voté à l’Assemblée nationale fin 2020 pour interdire les discriminations au motif d’un « accent » mais n’a pas été confirmé à temps par le Sénat.

Si cette question entre bien dans le champ de la glottophobie, cela a laissé penser que la notion traite uniquement « des personnes ayant un accent ». C’est ce qu’on trouve dans de nombreux médias et même Le Robert insiste sur « l’accent ». Cette tendance a été favorisée, en France, par le fait qu’en ciblant la question des accents, on s’intéresse au français, sans remettre en question sa suprématie.

Or il ne faut oublier qu’il y beaucoup plus de peuples et de personnes à qui on interdit de parler leur langue, dont on limite les usages, et avec des conséquences plus graves, que de personnes à qui on reproche de parler une langue, souvent dominante, avec une prononciation non standard, ce qui reste néanmoins une des formes de glottophobie, toujours condamnable.


Cet article s’intègre dans la série « L’envers des mots », consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?

De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :

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