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Un jeune agriculteur éthiopien. C. Robinson/CIMMYT, CC BY-NC-SA

Les agricultures africaines sur la piste de la climato-intelligence

L’agriculture est responsable d’une partie du changement climatique, mais elle en subit aussi les conséquences. Toutefois, si elle constitue aujourd’hui une partie du problème, elle pourrait devenir demain une partie de sa solution. Pour cela, il lui faudra non seulement ajuster ses pratiques afin de faire face aux modifications du climat, mais aussi atténuer ses émissions de gaz à effet de serre (GES) tout en ayant la possibilité de contribuer à stocker du carbone.

Ces adaptations seront essentielles en particulier pour les agricultures des pays tropicaux, car l’impact du changement climatique y sera plus important d’après les scénarios des experts du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Les simulations indiquent par exemple que sous les tropiques les rendements de maïs et de blé commencent à décliner dès que la température augmente de 1 à 2 °C ; ceux du riz aussi, dès qu’elle augmente de 3 à 5 °C. Or certains scénarios prévoient des augmentations locales de 3 à 4 °C, voire plus…

Insécurité alimentaire à l’horizon

En cas de forte augmentation des températures, de sécheresse, d’inondation ou de grande variabilité des extrêmes de précipitations, les risques d’insécurité alimentaire sont réels pour les populations les plus fragiles. Un accès insuffisant à l’eau potable ou à l’eau d’irrigation, qui est prévisible, aura évidemment des conséquences négatives sur toutes les formes d’agriculture, surtout pour les agriculteurs et pasteurs des régions semi-arides.

La compétition entre activités agricoles et pastorales peut être source de conflits. P. Casier (CGIAR)/Flickr, CC BY-NC-SA

Or vers 2050, dans la majorité des pays africains, plus de la moitié de la surface cultivable sera soumise à des climats actuellement inconnus, avec des effets importants. Les modèles suggèrent aussi qu’à partir de 2080, sous les tropiques, un impact négatif sur les rendements de beaucoup de cultures est très probable. Les agriculteurs et les pasteurs ne sont pas les seuls concernés : l’impact du changement climatique sur les écosystèmes marins et côtiers et leur biodiversité peut aussi fortement menacer les ressources halieutiques.

Le cas subsaharien

La dégradation de l’environnement, conjuguée à la croissance démographique qui se poursuit dans de nombreuses zones rurales, explique l’augmentation forte de la population urbaine, qui peut déboucher sur des situations d’insécurité alimentaire marquées, comme en 2008. Elle pousse aussi les pasteurs à migrer, entraînant la saturation foncière de certaines régions avec des conflits sur l’accès à la terre.

C’est particulièrement le cas en Afrique subsaharienne, où des troupeaux sahéliens se sont déplacés depuis les années 1970 vers les zones subhumides. Historiquement nomades, les pasteurs s’y sont progressivement sédentarisés, tout en organisant des transhumances stratégiques de leurs troupeaux vers des sites plus favorables. Conséquence : la compétition entre les activités agricoles et pastorales devient source de conflits. L’élevage extensif, demandeur de grandes surfaces par définition, se retrouve confronté à la réduction, au morcellement, voire à la fermeture de l’accès aux pâturages de qualité, aux couloirs de transhumance et aux points d’eau, en raison de l’expansion des cultures vivrières. Il devient donc primordial d’organiser l’accès à ces territoires par de nouveaux accords entre leurs usagers.

D’autant plus que, quand la situation est vraiment dégradée, la raréfaction des aliments et de l’eau accroît les risques de conflit, comme au Darfour : la guerre civile extrêmement meurtrière qui y a éclaté en 2003 serait en partie due au changement climatique et à la dégradation de l’environnement.

L’agriculture « climato-intelligente », un espoir ?

Le concept d’agriculture climato-intelligente, dont on a commencé à parler dans les années 2010, se fonde sur la recherche d’une synergie entre l’adaptation au changement climatique et l’augmentation nécessaire de la production pour faire face au défi démographique. Il est né du constat que l’agriculture des pays en développement devait faire l’objet de transformations significatives pour répondre aux enjeux concomitants de la sécurité alimentaire et du changement climatique.

L’agriculture climato-intelligente a trois objectifs : atteindre une sécurité alimentaire durable (sur la base du non-épuisement des ressources disponibles), réussir l’adaptation au changement climatique (résilience de l’agriculture face à la perturbation climatique) et contribuer à son atténuation (émissions réduites des GES, stockage de carbone).

Une approche holistique

Adaptation, atténuation, sécurité alimentaire… Face à ces trois défis, l’agriculture climato-intelligente n’est pas définie comme une technique agronomique : c’est une approche globalisante prenant en compte les pratiques, les politiques publiques et les financements. Pour la promouvoir, il convient donc de décrire non seulement les bonnes pratiques, mais aussi les conditions supplémentaires nécessaires à leur mise en œuvre. Défi majeur qui ne va pas de soi tant la recherche de cet optimum dépend des contextes politiques et des milieux physiques, mais aussi des formes d’agricultures existantes.

Planter des arbres pour lutter contre la désertification. Emily Cain/Canadian Foodgrains Bank, CC BY-ND

En mettant en lumière un certain nombre de principes importants pour favoriser le développement agricole et la durabilité des pratiques, le concept d’agriculture climato-intelligente pourra contribuer à éclairer les interactions complexes entre agriculture, alimentation, marchés et climat. Mais son plus grand mérite est ailleurs, dans l’engouement qu’il suscite au sein de la communauté internationale, en particulier dans les pays africains. Ceux-ci ont récemment créé l’Alliance africaine pour l’agriculture intelligente face au climat, dans le sillage de la Global Alliance for Climate-smart agriculture (GACSA).

Le reverdissement du Sahel

Au Niger, un projet « climato-intelligent » a ouvert des perspectives intéressantes dans un des pays les plus pauvres de la planète. Des opérations de recherche-développement conjuguées à la mise en place de la décentralisation politique et au transfert des droits de propriété des arbres de l’Etat aux paysans ont permis de relancer la pratique de la régénération naturelle des milieux grâce à l’agroforesterie. En quelques années, l’augmentation de la densité des arbres est spectaculaire, contribuant à la modification du microclimat et de la fertilité du sol (adaptation), à l’augmentation de la biomasse sur pied (atténuation) et à l’amélioration des revenus et des conditions de subsistance des agriculteurs (sécurité alimentaire).

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