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Les bienfaits de la musique, c’est pas automatique… et heureusement !

Jeune femme écoutant de la musique au bord de la mer. Blaz Erzetic, CC BY-SA

La vidéo de la ballerine qui, malgré la maladie d’Alzheimer, se remémore de sa chorégraphie sur Le Lac des Cygnes a fait un buzz planétaire. Alors que son succès atteste le caractère exceptionnel de l’événement, ce clip réalisé par l’association Música para Despertar se trouve associé à un discours d’accompagnement qui le tient pour la preuve d’une vérité plus générale (trop généralisée ?) sur les bienfaits de la musique. Mais les incantations du type « mettez-vous de la musique et vous déprimerez moins », reviennent à une vision automatique des bienfaits de la musique à la fois scientifiquement fausse et esthétiquement réductrice.

L’éditorialisation de la vidéo par France Info est emblématique d’une vision mi-surnaturelle mi-scientiste des bienfaits la musique. Re-titrée « quand la musique est plus forte que la maladie d’Alzheimer », la vidéo de l’association Música para Despertar est aussi « re-surtitrée » par la chaîne info : « Il suffisait de quelques notes pour que tout lui revienne. ». Relever que « Dès les premières notes, tout lui revient… » ne dit rien du travail préparatoire des soignants avant le tournage du clip.

Par l’aller-venue entre les images de la performance d’origine de Marta C. González et sa réaction chorégraphiée à l’écoute de la musique de Tchaïkovsky, la vidéo oriente le regard vers une sorte de miracle. En pointant leur attention sur l’immédiateté avec laquelle la danseuse se remémore des mouvements de ses bras, ces commentaires laissent penser que la musique agit de manière automatique, comme si la réponse était de l’ordre du réflexe conditionné.

Ne pas oublier l’importance de la médiation

Comme dans tout spectacle d’illusionnisme, il y a des procédés de diversion : regarder l’instant où la danseuse s’éveille, revient à détourner l’attention d’un processus plus global où c’est moins la musique qui remet Marta C. González que le lien qu’elle a préalablement noué avec cette musique-là. Insister sur l’impact direct, instantané, immédiat de la musique sur la danseuse, c’est aussi faire l’impasse sur la médiation de Pepe Olmedo(directeur et fondateur de Música para Despertar, à la fois psychologue, musicothérapeute et guitariste du groupe SoundBay) qui va chercher Le lac des Cygnes sur le smartphone, prend la main de Marta C. González, l’embrasse, l’assure de l’importance pour lui de voir la ballerine retrouver ses mouvements.

En plus de faire l’impasse sur l’importance du médiateur, ces présentations enchanteresses des pouvoirs de la musique produisent un effet de généralisation qui fait peser sur toute œuvre musicale un impératif d’efficacité et une promesse intenable de consensus.

En matière de décryptages, plusieurs articles montrent qu’indépendamment de la maladie d’Alzheimer, Marta C. González a toujours aimé affabuler, jusqu’à falsifier certains documents pour des raisons inexpliquées qui peuvent aller de la coquetterie sur son âge à une stratégie liée à la révolution cubaine.

Le magazine Diapason reprend les propos du critique de danse Alastair Macaulay pour qui « elle ne se remémore pas une chorégraphie spécifique du Lac des cygnes », mais dessine des mouvements « en réaction à une musique particulièrement puissante. » C’est-à-dire que les décryptages concentrent la démystification sur la véritable carrière chorégraphique de Marta C. González pour conclure que « Le plus important n’est pas dans ce mystère résolu, mais dans l’impact spectaculaire de la musique sur l’activité cérébrale, et son pouvoir stimulant.

Au-delà de la « magie »

Au-delà du paradoxe qui consiste à prêter un pouvoir quasiment magique à la musique en s’appuyant sur des images qui soulignent ses effets comme automatiques (pour ne pas dire pavloviens), tirer de cet événement exceptionnel une généralité sur « les bienfaits de la musique », essentialise LA musique pour s’en tenir à l’évidence : la musique, ça fait du bien. Mais l’évidence est rabâchée avec l’obstination d’un optimisme panglossien qui vire à la contre-vérité. La figure de Pangloss – le précepteur de Candide qui permet à Voltaire de caricaturer l’optimisme leibnizien –, est aujourd’hui réinvestie par la zététique pour ridiculiser la plupart de tel ou tel miracle. Richard Monvoisin relève un raisonnement panglossien dans le slogan de la Française des jeux qui souligne l’évidence que « 100 % des gagnants ont tenté leur chance » pour dire qu’il faut jouer pour gagner tout en laissant planer une substitution de la raison nécessaire en raison suffisante, comme s’il n’y avait qu’à jouer pour gagner.

Nous pourrions trouver un glissement analogue quand on pointe à quel point 100 % des vidéos virales du genre ont tenté de mettre de la musique à des patients Alzheimer, pour laisser entendre que la musique pourrait, à elle seule, automatiquement, à tous les coups, ralentir les effets de la neurodégénérescence.

Dans le récent volume Penser (à) l’opéra (dir. Guillaume Plaisance), Hervé Platel (Université de Caen) et Chantal Ardouin (association Music’O Seniors) cosignent un article de synthèse sur les bénéfices de la musique dans les maladies neurodégénératives qui soulignent bien que « malgré un possible émoussement émotionnel et des troubles comportementaux comme l’apathie, la très grande majorité des patients Alzheimer prennent du plaisir à entendre de la musique ».

Encore une fois, la musique ne fait pas de miracle à elle seule. La maladie d’Alzheimer est moins dégénérative pour les compétences musicales que pour les compétences linguistiques, plusieurs études venant attester d’une résistance des souvenirs liés à la musique.

« C’est pourquoi les interventions musicales semblent pertinentes et devraient avoir un impact significatif, comme cela est soutenu par des programmes comme_ Music and Memory_. » concluent Hervé Platel et Chantal Ardouin.

Si les termes employés ne sont pas pleinement affirmatifs (« semblent », « devraient »), la prudence rhétorique appelle un soupçon sur la valeur de l’effet de la musique.

Nous pourrions notamment nous demander à quel point_ Le Lac des Cygnes_ est un souvenir uniquement agréable pour Marta C. González ? Est-ce que les émotions associées à telle ou telle musique par les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, sont des émotions positives qu’ils sont nécessairement heureux de revivre ? Est-ce que la tendance à l’affabulation caractérisée ou encore l’esprit de défiance à l’égard des autres occupants de la résidence et le désir de faire plaisir au guitariste du groupe SoundBay ne seraient pas des vecteurs plus puissants encore que la musique pour motiver une prestation chorégraphique chez l’ancienne ballerine ? Pepe Olmedo semblait même accuser une certaine déception de voir que la séquence ne suffisait pas à redonner le moral à la danseuse : « Elle n’avait qu’un déclin cognitif léger et pouvait parler. Mais elle était toujours très triste, très négative. On voit très bien comment elle se connecte soudain à la musique. »

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