Menu Close
Un homme passe devant une personne recroquevillée sur le trottoir.
Un homme passe devant une personne recroquevillée sur un trottoir à Barrie, en Ontario, en 2023. Les Canadiens ont une vision de plus en plus pessimiste de l’économie et des finances. La Presse canadienne/Christopher Drost

Les Canadiens de plus en plus démunis devant les difficultés économiques et les inégalités croissantes

Si vous vous sentez bousculé dans la vie, sachez que vous n’êtes pas seul. Notre étude récente a révélé que les Canadiens se sentent de plus en plus impuissants. Ce sentiment n’a cessé d’augmenter devant les difficultés économiques et les inégalités croissantes.

En 2019, nous avons mené une enquête nationale sur la qualité du travail et de la vie économique avec l’aide du groupe Angus Reid. Depuis, nous avons reproduit cette enquête chaque année, rassemblant des données sur 23 000 Canadiens de tous les horizons socio-économiques.

Nous avons posé des questions pour mesurer ce que les chercheurs appellent la privation de pouvoir, c’est-à-dire le manque de contrôle personnel et l’impuissance que l’on ressent devant des problèmes et des événements de la vie.

Nous demandons par exemple aux participants dans quelle mesure ils sont d’accord avec cette affirmation : « Parfois, j’ai l’impression d’être bousculé dans la vie. »

En septembre 2019, 45 % des travailleurs étaient d’accord avec cette affirmation. En septembre 2020, malgré les perturbations sociales et économiques liées à la pandémie, ils n’étaient plus que 43 %. En 2021 et en 2022, 46 % se sont dits d’accord. C’est à partir de là que les chiffres ont commencé à changer.

Un graphique linéaire illustrant que le nombre de Canadiens qui déclarent se sentir bousculés dans la vie peut augmenter globalement de 2019 à 2024
Le pourcentage de Canadiens qui déclarent se sentir bousculés dans la vie est passé de 45 % en 2019 à 58 % en 2024. (Scott Schieman)

En 2023, le taux était de 56 %. Et dans notre enquête menée en mai 2024 auprès de 2 500 travailleurs, il est passé à 58 %.

Il s’agit d’une augmentation de 15 points par rapport au niveau le plus bas atteint en 2020. Il est rare qu’une mesure sociopsychologique évolue autant sur une période aussi courte, à moins d’un événement majeur.

Morosité économique

Depuis 2019, nous avons demandé à plusieurs reprises aux Canadiens : « Comment votre expérience du coût de la vie a-t-elle évoluée au cours des dernières années ? Diriez-vous que la situation s’est beaucoup aggravée, un peu aggravée, qu’elle n’a pas changé, qu’elle s’est un peu améliorée, ou beaucoup améliorée ? »


L’expertise universitaire, l’exigence journalistique.

Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


En 2019, 66 % des personnes interrogées ont déclaré que la situation s’était un peu ou beaucoup détériorée, et parmi elles, 27 % ont répondu qu’elle s’était beaucoup détériorée. Ce tableau prépandémique n’était pas très gai. Mais en 2022, le ciel s’est assombri : 82 % des participants ont affirmé que la situation s’était un peu ou beaucoup détériorée, et parmi eux, 34 % ont rapporté qu’elle s’était beaucoup détériorée.

En 2023, 84 % des personnes interrogées ont déclaré que le coût de la vie s’était un peu ou beaucoup aggravé. Et dans notre enquête de mai 2024, ces résultats se sont maintenus. Aujourd’hui, c’est près de la moitié des travailleurs canadiens qui considèrent que le coût de la vie s’est beaucoup aggravé.

Deux graphiques linéaires : le premier illustre le nombre de Canadiens qui pensent que le coût de la vie s’est détérioré ou s’est beaucoup détérioré et le second illustre le nombre de Canadiens qui pensent que le Canada est un pays extrêmement inégal
Depuis 2019, un nombre croissant de Canadiens commencent à penser que la crise du coût de la vie et les inégalités s’aggravent toutes deux dans le pays. (Scott Schieman)

Les Canadiens sont de plus en plus pessimistes au sujet de l’économie et des finances, mais l’évolution spectaculaire des résultats nous a étonnés.

Lorsque la morosité économique connaît une hausse aussi importante, il n’est pas surprenant de constater un pic du sentiment d’impuissance. Les deux sont liés. Les nouvelles négatives concernant le coût de la vie sont partout, il est donc raisonnable de penser qu’elles ont un effet sur la vie des gens.

En 2019, 55 % des personnes qui ont déclaré que le coût de la vie s’était considérablement aggravé ont dit se sentir bousculées, contre 43 % de celles pour qui le coût de la vie s’était un peu aggravé. Seuls 35 % de celles qui ont affirmé que le coût de la vie n’avait pas changé ont dit se sentir bousculées.

Notre sondage de 2024 révèle une tendance similaire, mais qui s’est intensifiée : 66 % des Canadiens qui affirment que le coût de la vie s’est considérablement aggravé se sentent bousculés, contre 51 % de ceux qui affirment que le coût de la vie s’est un peu aggravé. Mais aujourd’hui, même parmi ceux qui disent que le coût de la vie est resté le même, 46 % se sentent bousculés dans la vie.

Perception des inégalités

La perception du coût de la vie n’est pas la seule à avoir changé. Il en va de même pour celle des inégalités dans la société canadienne, ce qui a contribué à une forte augmentation de l’impression de privation de pouvoir.

Pour mesurer la perception des inégalités, nous avons utilisé une méthode établie à laquelle on a recours depuis des décennies dans le module sur les inégalités sociales du Programme international d’enquêtes sociales. Dans notre questionnaire, nous avons montré aux participants un diagramme représentant cinq types de sociétés et leur avons demandé : « Quel type de société avons-nous au Canada aujourd’hui — quel est le diagramme qui s’en rapproche le plus ? »

Un graphique illustrant cinq types de sociétés différentes, du type A, la société la plus inégalitaire, au type E, la société la plus égalitaire
Un diagramme montrant cinq types de sociétés présentant différents niveaux d’inégalités. (International Social Survey Programme)

Le type A illustre une extrême inégalité, avec une petite élite au sommet, peu de personnes au milieu et la plupart des gens au bas de l’échelle. Dans notre enquête de 2019, seuls 19 % des répondants considéraient le Canada comme un pays de type A. En 2024, ils sont 38 % à le percevoir ainsi. La part de ceux qui voient le Canada comme une société de classe moyenne (type D) a chuté de 26 % à 15 %.

La variation extrême de la perception des inégalités en à peine cinq ans est frappante, de même que son lien de plus en plus étroit avec le sentiment d’impuissance. En 2019, 50 % des personnes interrogées qui considéraient le Canada comme un pays de type A se sentaient bousculées dans la vie ; c’est désormais le cas de 68 % d’entre elles. La même perception d’un Canada très inégalitaire est plus douloureuse aujourd’hui.

Les conséquences de la privation de pouvoir sur la vie quotidienne

L’impression que le coût de la vie augmente et que le Canada est de plus en plus inégalitaire crée une tempête parfaite pour la détérioration du sentiment de contrôle au quotidien. Notre capacité à réussir dans la vie semble aujourd’hui davantage déterminée par les humeurs de personnes puissantes.

Cette tendance est inquiétante pour notre bien-être psychologique collectif. Les personnes qui se sentent très impuissantes ont tendance à être plus angoissées et plus méfiantes à l’égard des autres — deux indicateurs qui reflètent les sentiments d’inquiétude, de désespoir et de suspicion que certains Canadiens peuvent ressentir lorsqu’ils pensent à l’économie.

La hausse de l’impression de privation de pouvoir est une tendance préoccupante qui reflète des clivages économiques et sociaux profonds. Il est essentiel de s’attaquer à ces problèmes pour améliorer le bien-être général et la santé mentale des Canadiens. C’est notre qualité de vie collective qui est en jeu.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 185,900 academics and researchers from 4,986 institutions.

Register now