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Les clubs de football en crise, bientôt une vitrine pour l’économie sociale et solidaire ?

Le Stade Auguste Bonnal, voisin des usines Peugeot, est l'antre du FC Sochaux-Montbéliard, club en pleine mutation. Info Stades / Wikimedia Commons, CC BY-SA

Le football professionnel a-t-il sa place au sein de l’économie sociale et solidaire (que l’on connaît parfois sous l’acronyme ESS), cette économie alternative qui valorise à la fois ancrage au territoire, coopération, utilité sociale et performance économique ? Le Football Club Sochaux Montbéliard (FCSM) notamment, club historique franc-comtois fondé en 1928, est en passe de se relancer sous le statut de Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC).

Après 90 années passées au niveau professionnel, un palmarès conséquent (deux championnats et deux coupes de France notamment) et jusqu’à 150 salariés, le FCSM connaît des difficultés que l’on peut relier au retrait progressif de Peugeot, marque automobile historiquement intégrée dans ce territoire et qui a permis le développement d’un grand club dans une petite ville. Le Peugeot de 2023, intégré au Groupe Stellantis, mise sur une montée en gamme, sponsorise le golf, le tennis et s’éloigne d’un sport qui véhicule des valeurs populaires. La fin du patronage de l’entreprise automobile en 2015 s’est suivie d’une succession néfaste d’investisseurs étrangers et de difficultés de gestion.

Le club du Doubs, proche du dépôt de bilan, évolue actuellement en National (3e division), mais il aurait commencé la saison à un niveau bien inférieur sans le retour d’un ancien président du club, Jean-Claude Plessis, et la levée de fonds portée par l’association de supporters les « Sociochaux ». L’initiative visait notamment rassembler les différents acteurs du territoire concernés par la survie de ce club emblématique. Plus de 11 000 supporters, mais aussi des joueurs, anciens joueurs, des entreprises du territoire et les collectivités se sont fédérés autour d’un projet coopératif et économique de territoire.

Dans le milieu du football, le FCSM n’est pas le premier à penser aux modèles et outils développés par l’ESS, objets de nos travaux. Il pourrait suivre le SC Bastia, devenue SCIC en 2019. L’idée a été évoquée par d’autres clubs comme Sedan, Valenciennes, Nantes ou Bordeaux. Leur point commun ? Des clubs emblématiques de leur territoire et connaissants des difficultés de gestion.

Différents types de sociétaires

Le projet nommé « FCSM 2028 » veut ramener le club en première division, mais surtout rendre plus transparente et saine la gestion du club en la faisant reposer sur une gouvernance partagée entre des sociétaires de différents horizons : supporters qui connaissent l’histoire du club, collectivités qui veulent maintenir l’emploi et l’attractivité du territoire, salariés et acteurs économiques locaux. L’ESS regroupe des organisations qui partagent ce souci d’une gestion démocratique et multiparties prenantes et c’est notamment ce que permet le modèle de la SCIC.

De forme privée et d’intérêt public, la Société coopérative d’intérêt collectif associe des personnes physiques ou morales autour d’un projet commun alliant efficacité économique, développement local et utilité sociale. Comme dans toute coopérative le principe « un sociétaire = une voix » s’applique, et cela quel que soit le nombre de parts sociales achetées. Sa particularité est d’être construite autour du « multisociétariat ». C’est-à-dire qu’elle implique différents types de sociétaires, salariés, clients, collectivités territoriales, réunis dans différents collèges ayant chacun des droits de vote entre 10 et 50 %.

Ce modèle existe en France depuis 2001 et s’adapte à tout secteur d’activité du sport à la santé en passant par exemple par l’alimentation. Il occupe une place de plus en plus importante dans le paysage économique : en 2022 le nombre d’entreprises l’ayant adopté a augmenté de 6 % d’entreprises par rapport à 2021, les effectifs de 7 % pour atteindre 14 287 salariés fin 2022.

Les coopératives, simples « issues de secours » ?

Dommage qu’il faille « toucher le fond pour sortir de la logique d’actionnaires venus du bout du monde sans aucune attache locale », explique Michel Abhervé dans ses billets de blog dédiés aux sujets « ESS » pour le mensuel Alternatives économiques. De fait, le cas des clubs de football pourrait pointer le manque de légitimité des modèles de l’ESS dans certains secteurs économiques avec une approche trop « marquée sociale ou solidaire dans un paysage où on parle de millions d’euros ».

Si la marche est haute dans le milieu du football, dans de nombreux secteurs, les modèles de l’ESS tendent à se faire une place plus importante pour stimuler un changement de regard sur un modèle capitaliste dont les critiques dénoncent le caractère prédateur et destructeur. C’est d’ailleurs comme cela que Bastien Sibille entrevoit le rôle des Licoornes, le regroupement de coopératives qu’il préside : on y retrouve notamment Enercoop dans l’énergie, la NEF dans la finance, Biocoop dans la distribution alimentaire ou Mobicoop dans le covoiturage :

« Il s’agit de faire grandir ces alternatives et construire le système économique dont le XXIe siècle a besoin. »

La SCIC est même encouragée par l’acteur public : le Conseil économique, social et environnemental préconise notamment le développement des SCIC pour les activités sportives. Dans la même veine, nos recherches montrent que de plus en plus d’entrepreneurs envisagent la SCIC et les modèles de l’ESS dès l’émergence de leurs projets, et ce pour valoriser et structurer les dimensions multiparties prenantes et territoriales.

A contrecourant d’un entrepreneuriat en mode « start-up » dont la durée de vie des projets est limitée, les coopératives ont l’avantage de constituer des organisations plus pérennes. Leur taux de pérennité à 5 ans est de 76 % contre 61 % pour l’ensemble des entreprises françaises. La SCIC impose qu’au moins 57,5 % des bénéfices doivent être affectés à des réserves impartageables, ce qui consolide l’autonomie financière de l’organisation et rassure les différentes parties prenantes dans leur engagement.

Bastia, aux portes de la Ligue 1

L’exemple du SC Bastia commence à prouver la pertinence du modèle de SCIC pour un club de foot. Entre 2019, année de la transformation organisationnelle et 2021, le capital du club est passé de 801 000 à 1,34 million d’euros.

L’augmentation s’opère notamment grâce aux nouvelles souscriptions de particuliers, des supporters qui perçoivent les retombées de leur engagement. Ils prennent part aux décisions et font peser le poids des intérêts de la société civile. Sur les 120 000 euros glanés lors d’une nouvelle souscription réalisée en 2020, 100 000 euros ont ainsi été investis dans la création d’un terrain pour les jeunes.

De même du côté des collectivités, une vingtaine de communes sont actionnaires du club. Leurs parts sociales sont des investissements récupérables au bout de cinq ans, contrairement aux subventions qui sont en quelques sortes « perdues » pour elles. En impliquant les villes, l’enjeu n’est pas de bénéficier d’un socle financier mais de constituer un projet de club et de territoire avec des contreparties qui dépassent l’économique : les joueurs se déplacent par exemple, dans les clubs et les écoles partenaires. Jérôme Negroni, directeur général adjoint du SC Bastia explique dans les colonnes de La Gazette des communes :

« Dans ce football de plus en plus mondialisé, nous sommes persuadés que ces valeurs ont un véritable sens. »

Le club corse porteur d’un nouveau modèle de club de football professionnel a terminé aux portes de la ligue 1 en fin de saison dernière, six ans après avoir frôlé le dépôt de bilan et avoir été rétrogradé administrativement en cinquième division.

Un mois de l’ESS pour lever des barrières ?

Avec des SCIC au plus haut niveau du football français, et dans la mesure où celles-ci ne sont pas que des modèles de sortie de crise, l’ESS pourra conquérir de nouveaux supporters pour encourager l’économie de demain. Mettre en place ces modèles d’organisations plus collectifs et démocratiques ne s’improvise cependant pas. Nos analyses mettent en évidence les multiples freins culturels et institutionnels que ces innovations alternatives vont rencontrer pour se déployer à une échelle plus large dans notre société.

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Luc K. Audebrand, professeur en économie sociale à l’université de Laval au Canada, souligne notamment la prégnance de mythes qui desservent le modèle : une coopérative serait moins efficace et rentable qu’une entreprise classique par exemple. Le manque de connaissances diffusées et enseignées à leur sujet est également à souligner, de même que des barrières de nature réglementaire. Obtention de financements, mécénat, recours possible au bénévolat, au service civique, etc. de nombreuses spécificités des SCIC sont encore à clarifier sur le plan légal, notamment vis-à-vis des statuts juridiques d’associations, des autres coopératives et des entreprises classiques pour prétendre être une alternative crédible.

Afin de dépasser ces limites, outre l’image positive que pourraient donner des clubs de football, le mois de novembre est aussi le mois de l’économie sociale et solidaire. Partout en France, des événements mettent en valeur les savoir-faire et activités des femmes et hommes porteurs de projets, entreprises, organisations et collectifs qui se mobilisent dans les territoires pour porter, présenter et faire connaître l’économie sociale et solidaire au plus grand nombre.

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