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Les députés En Marche sont-ils vraiment des cancres ?

Les bancs de l'Assemblée nationale, le 12 décembre dernier. LIONEL BONAVENTURE / AFP

Les élections de 2017 ont conduit à un renouvellement massif de l’Assemblée nationale. On a vu arriver au Palais Bourbon des légions de députés, notamment LREM (La République en marche), souvent dépourvus d’expérience politique préalable, davantage représentatifs de la société en termes de genre et de profil socio-professionnel que leurs prédécesseurs. Leur élection s’est accompagnée de l’encadrement étroit ou de la suppression de ressources-clés de la professionnalisation des responsables politiques : cumul des mandats, emploi de proches, réserve parlementaire, indemnité pour frais de mandat, régime de retraite spécial.

L’objectif d’une limitation de la professionalisation des élus et d’un renouvellement de la classe politique, plébiscité par les citoyens, est en partie atteint. On commence néanmoins à voir fleurir des classements des « meilleurs députés » qui font mine d’ignorer ces évolutions et déplorent que les novices soient, six mois après leur élection, encore dans une phase d’apprentissage de leur rôle. La transparence de la vie politique et le travail de collecte des données opéré par certaines ONG, telles que Regards citoyens, permettent en effet à des journalistes de bricoler à peu de frais de tels classements. Le site Capital.fr propose ainsi une étude (« Les députés d’en Marche, cancres de l’Assemblée… Notre classement », 21 décembre 2017) qui tend à conclure que les élus En Marche sont globalement peu investis dans leur mandat, que ceux de l’ancienne génération s’en sortent mieux, et que seuls les Insoumis se montrent réellement actifs. Le problème est que cette étude se singularise par son extrême indigence, et ce à trois égards au moins.

Des biais méthodologiques considérables

En faculté de sociologie, l’étude vaudrait un zéro pointé à un étudiant de première année. Seuls le taux de présence en commission, le nombre de prises de parole en commission et en plénière, et le nombre d’amendements déposés – curieusement assorti d’un « coefficient 2 » – sont pris en compte. La rédaction de rapports ou de propositions de lois, qui constitue la tâche la plus noble à l’Assemblée, est simplement ignorée ; de même, la participation des députés à des commissions d’enquête, missions d’information ou délégations est passée sous silence. Les auteurs semblent également ignorer qu’un vice-président de l’Assemblée, un président de commission ou un président de groupe aura peu de temps à consacrer à d’autres activités. Les questions, instrument clé du contrôle de l’activité gouvernementale, sont pareillement oubliées.

Toute approche qualitative est, par ailleurs, exclue : l’amendement qui modifie profondément un texte sera comptabilisé à égalité avec ceux déposés par dizaines à des fins dilatoires ; un discours substantiel, commentant en détail un texte en cours d’élaboration, ne comptera pas davantage qu’une intervention intempestive. Les auteurs donnent ainsi une prime arbitraire aux férus de la prise de parole à tout propos ou aux maniaques du dépôt d’amendements de suppression. L’étude ne prend même pas en considération les scores effectifs de chaque élu : ils servent juste à établir quatre classements ordinaux qui sont ensuite compilés sous la forme d’un score global.

L’étude passe aussi complètement sous silence les activités que les députés déploient dans leurs circonscriptions respectives, alors même que cette dimension du mandat est centrale en France. Le député est certes celui de la Nation et non d’une circonscription donnée, mais on attend néanmoins de lui qu’il s’y investisse et la fin du cumul des mandats est loin d’avoir gommé cette attente. Comme le député ne peut plus jouer sur la confusion de ses mandats, et s’appuyer sur les ressources dont il dispose en tant que président de collectivité (ville, intercommunalité, département ou région) pour affirmer sa présence dans sa circonscription, il doit y déployer des activités spécifiques très chronophages.

L’Assemblée est un orchestre symphonique, pas un bataillon

En second lieu, ce genre de « top-577 » part du principe que l’Assemblée nationale doit être conçue comme un ensemble uniforme d’élus remplissant les mêmes fonctions et disposant des mêmes compétences. Or, dans les démocraties avancées, toutes les assemblées parlementaires sont composées de membres qui jouent différents rôles, comme le font les musiciens d’un orchestre symphonique. Tous doivent être présents, investis et préparés, mais le percussionniste ne doit pas intervenir à tout propos et un second violon ne doit pas disputer son rôle au soliste.

A l’Assemblée, il faut des tribuns, des spécialistes du budget, des experts des affaires européennes, des as du règlement intérieur, des présidents de commission, ou encore des connaisseurs du droit social. Nul ne peut prétendre maîtriser tous ces domaines à la fois, et les députés sont amenés à se spécialiser, en fonction de leurs compétences, expériences et centres d’intérêts.

Que recouvre le mandat de député ?

Plus largement, ce hit-parade brille par l’absence de réflexion sur ce qu’est la représentation parlementaire. Avant de mesurer les activités d’un député, il faudrait s’interroger sur ce que l’on peut attendre de lui. Ni la Constitution, ni les lois, ni le règlement de l’Assemblée ne définissent avec précision la nature du mandat parlementaire. C’est pourquoi on a vu se développer des styles de représentation très variés, qui tiennent certes au degré d’implication, de sérieux et de compétence des élus, mais aussi à des facteurs tels que leurs convictions, leur expérience politique, leur expertise, leur notoriété, leurs centres d’intérêts ou les caractéristiques de leur circonscription. En somme, tous les députés n’ont pas la même conception de leur mandat. Les opportunités qui s’offrent à eux au Palais Bourbon ne sont en outre pas égales, selon qu’ils jouissent ou non d’une expérience politique et parlementaire, qu’ils sont influents ou non dans leur groupe, ou qu’ils appartiennent ou non à la majorité.

La façade de l’Assemblée nationale vue de la place de la Concorde. Jebulon/Wikimedia, CC BY-SA

On ne peut donc imposer une conception univoque de ce que devraient être les activités d’un parlementaire. Le député de la France Insoumise qui dépose des amendements par dizaines dans le seul but de ralentir l’adoption d’une loi, répond aux attentes de ses électeurs : s’opposer au gouvernement. Le député d’En Marche novice, qui participe aux activités de l’Assemblée sans se faire remarquer, remplit le mandat qui lui a été confié : soutenir le gouvernement. Le député Les Républicains qui s’exprime quotidiennement dans les médias au nom de sa formation politique, fait ce que ses électeurs espèrent de lui : porter la voix de la droite. Chaque élu agit à sa manière, et l’ensemble de ces approches et comportements permet à la représentation nationale d’être un miroir des opinions qui s’expriment dans la société.

En outre, les auteurs de l’étude de Capital.fr développent, comme on l’a dit, une vision très centralisée du mandat parlementaire, ignorant que les activités d’un député se déploient aussi à l’échelle de la circonscription. Et, là encore, les comportements présentent une grande variété, selon le profil et les choix de l’élu, et un ensemble de contraintes et ressources qui ne dépendent pas de lui. Les simples impératifs de transport entre la circonscription et l’Assemblée auront une incidence sur la manière dont le député partagera son temps entre ces deux lieux – si l’on pense notamment aux députés de l’Outre-Mer ou des Français de l’étranger. Ensuite, ce travail de terrain est beaucoup plus exigeant pour le député novice élu dans une vaste circonscription rurale, qu’il devra sillonner sans relâche pour s’y faire connaître, que pour un député parisien déjà bien connu, qui ne s’astreindra qu’à un niveau minimal d’activité en circonscription.

Pour une approche plus subtile de l’évaluation des députés

Les députés font, à l’évidence, preuve de plus ou moins de sérieux dans l’exercice de leur mandat, et on trouve en queue de classement les noms de députés dont le manque d’ardeur pour la chose parlementaire est bien connu. Il est aussi manifeste que certains néophytes découvrent que leur mandat est bien plus exigeant qu’ils ne le pensaient. Il est néanmoins injuste de stigmatiser certains parlementaires sur la base d’une évaluation partielle et purement statistique de leurs activités, qui donne une prime arbitraire à des élus qui manifestent un empressement de façade.

Le président de l’Assemblée nationale, François De Rugy (ici en 2011). François de Rugy/Wikimedia, CC BY

Il faut aussi faire droit au travail de fond que mènent les élus dans le cadre de la rédaction de rapports ou de la participation à des missions d’information, à la qualité des interventions et amendements des uns et des autres, et à l’exercice par certains de responsabilités très prenantes au sein de l’Assemblée ou de leur groupe. On note ainsi que le Président de l’Assemblée François de Rugy, de même que les présidents des groupes LREM Richard Ferrand et LR Christian Jacob, figurent parmi les « cancres » de l’Assemblée, en pointant respectivement aux 318ème, 435e et 417e rangs : pourtant, qui peut douter de leur investissement ? Jacques Bridey (LREM), président de la commission de la Défense, écope lui aussi d’un piteux 245e rang.

Six mois après les élections législatives, il convient enfin de respecter le choix des nombreux élus novices qui ont l’humilité et la prudence de vouloir apprendre avant d’agir. La politique n’est pas une profession et doit par principe être accessible à tous les citoyens. Ceci étant, exercée à un certain niveau, elle requiert des connaissances et des compétences, et ne souffre pas l’improvisation. Il est donc logique, et même louable, que les élus les moins expérimentés se montrent, dans un premier temps, les moins actifs – mais pas les moins investis.

On pourrait faire abstraction de ce type d’études ou s’en gausser. En définitive, ceux qui dénoncent le manque de sérieux des députés en agrégeant à la hâte quelques données recueillies par d’autres affirment leur dilettantisme et leur méconnaissance du sujet. Mais il ne faut pas sous-estimer l’impact de tels classements sur le regard que portent les citoyens sur leurs élus, et sur les pratiques de ceux-ci. En la matière, il existe des précédents fâcheux. Des classements similaires ont amené, il y a dix ans déjà, les parlementaires européens à modifier leurs priorités. Ainsi, les représentants du FN au Parlement européen ont significativement amélioré leurs scores en développant une stratégie utilitariste de présence en plénière et en commission, et de dépôt massif d’amendements et de questions, alors même que leur contribution au travail parlementaire reste marginale. La démocratie n’a rien à gagner à ce que les élus s’engagent dans une course effrénée au dépôt de questions ou d’amendements, rédigés à la chaîne par des assistants parlementaires, ou à la prise de parole à tout propos afin de progresser dans ces piteux dispositifs.

Il importe que l’analyse des activités des députés se fasse avec quelque subtilité. La lecture du bilan de chaque élu, en marge de toute tentative de classement, éclaire utilement le citoyen sur son degré d’investissement dans son mandat. Une évaluation comparée doit, pour sa part, rendre compte de la complexité du fonctionnement de l’Assemblée nationale, en intégrant les contraintes et ressources qui s’appliquent à chaque membre, ainsi qu’une analyse qualitative de ses diverses activités.

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