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Les énergies renouvelables, vecteur du décollage économique et social de l’Afrique ?

Le potentiel d’énergie renouvelable du continent africain n’est utilisé qu’à 0,3 %. Guinée Solidarité Provence, CC BY-NC-ND

Dans un contexte où, selon la Banque mondiale, la demande électrique africaine devrait atteindre en 2030 le double de la production actuelle, répondre à l’initiative Énergie durable pour tous (SE4ALL) nécessitera de nombreux investissements. Pour le seul accès à l’électricité, la Banque mondiale avait chiffré les besoins, en 2014, à environ 34 milliards de dollars par an au niveau mondial et à 20 milliards de dollars par an, soit près de 60 % du total, pour la seule Afrique subsaharienne. Hors investissements chinois réalisés depuis 2010, la valeur totale de l’investissement dans le secteur électrique en Afrique subsaharienne entre 1990 et 2012, n’a jamais dépassé 600 millions de dollars par an.

Le potentiel d’énergie renouvelable du continent est sous-exploité actuellement, notamment la géothermie et l’hydraulique : les progrès technologiques rendent pourtant les solutions renouvelables de plus en plus intéressantes financièrement, compte tenu du manque d’infrastructures et de réseaux en place.

L’off-grid solaire : un potentiel naturel et économique inédit

D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 60 % de la nouvelle électrification d’ici à 2030 se réalisera via l’off-grid (mini-réseau électrique), bénéficiant de coûts de plus en plus faibles.

L’Afrique subsaharienne souffre, d’une part, d’un manque de couverture réseau et de la vétusté de celui-ci : en résultent des coûts d’entretien et d’élargissement élevés, en particulier dans les régions les plus reculées. La production électrique africaine demeure d’autre part très carbonée (70 %), les EnR ne comptant que pour 27 % (dont 24 % d’hydraulique) et le nucléaire pour 3 %, avec une centrale installée en Afrique du Sud, qui est dépendante des importations de pétrole raffiné étranger.

Mix électrique (production) en Afrique subsaharienne en 2016. Enerdata

Le continent africain possède néanmoins un potentiel sans égal pour les EnR, notamment le solaire (10 TW) et l’hydraulique (350 GW, soit 10 % du potentiel mondial) qui, allié à des technologies off-grid, peut réduire rapidement et à faible coût le problème de l’accès à l’électricité en zone rurale.

Ces technologies sont constituées d’un petit système de production électrique – souvent solaire photovoltaïque, parfois hydraulique – couplé à un système de distribution de courte portée et des batteries de stockage. Les plus petits, les Solar Home Systems (SHS) alimentent entre un et cinq foyers, tandis que les plus gros peuvent alimenter jusqu’à un village d’un millier de foyers – capacité de 5 kW à 1 MW selon le système.

Leur mise en place nécessite un environnement naturel propice, une capacité d’investissement initiale et de paiement de la consommation. L’ensoleillement important du territoire couplé à une densité de population assez faible (43,8 habitants/km2 en moyenne, contre 144 en Chine et 403 en Inde) facilite le déploiement de panneaux solaires.

De plus en plus d’entrepreneurs locaux s’associent à des entreprises étrangères – EDF au Sénégal et en Côte d’Ivoire par exemple – pour transférer les technologies, installer les dispositifs et former la population locale.

L’investissement de départ nécessaire à la construction d’un système a beaucoup diminué ces dernières années pour le photovoltaïque. Ainsi, d’après l’IRENA, le solaire est l’énergie dont la production serait la moins chère dans la majorité des États africains.

L’éclairage d’un ménage coûterait entre 4 $ et 15 $ par mois avec un générateur diesel, contre 2 $ par mois avec du solaire PV, selon l’IRENA. Toutefois, cette estimation ne prend pas en compte le surcoût engendré par l’acquisition d’un moyen de stockage – la batterie – pour le ménage, même si sa valeur devrait diminuer dans les années qui viennent.

L’investissement initial reste ainsi plus important pour un système solaire, mais la répartition des coûts sur la durée de vie le rend plus intéressant sur le long terme.

Le marché de la téléphonie mobile a explosé au cours des cinq dernières années, avec 420 millions d’abonnés en Afrique subsaharienne (soit un taux de pénétration de 43 % en 2016) et selon Deloitte, 660 millions d’Africains seront équipés d’un smartphone en 2020, soit un quasi-doublement. Cette dynamique devrait permettre de résoudre en partie le problème du financement. Le principe du « pay as you go consiste » pour le consommateur à réaliser un premier paiement à l’installation du dispositif, dans la mesure de ses moyens, puis d’acheter l’électricité dont il a besoin au fur et à mesure de l’utilisation du dispositif.

Un autre modèle, promu par le leader mondial du off-grid solaire, l’entreprise kényane M-Kopa, consiste à installer ces systèmes chez les particuliers puis de leur proposer un paiement régulier, adapté à leurs moyens, jusqu’à ce qu’ils deviennent propriétaires du système. Si l’acheteur manque une échéance, le fournisseur peut couper l’alimentation du foyer à distance. M-Kopa a distribué des milliers de systèmes dans toute l’Afrique de l’Est et se prévaut d’électrifier environ 500 nouveaux foyers chaque jour.

Un potentiel renouvelable considérable

Outre l’ensoleillement, le territoire possède un immense potentiel pour plusieurs types d’EnR. L’hydraulique, par exemple, s’avère prometteur, grâce notamment aux fleuves Nil, Zambèze ou Congo. Ses capacités ne sont pourtant utilisées qu’à 8 %, malgré sa part déjà importante dans le mix électrique. Vient ensuite la biomasse, grâce à la forêt primaire d’Afrique centrale et à la bagasse, résidu fibreux issu des plantations de canne à sucre au sud. Puis la géothermie dans la vallée du Rift et l’éolien sur les côtes et les îles.

Depuis les années 1990, investisseurs internationaux et gouvernements profitent de ce potentiel et développent des centrales utilisant ces ressources renouvelables. La Chine a déjà installé 5 GW de production hydraulique sur le territoire africain, ses ingénieurs devenant des experts mondiaux dans le domaine. Les Independent power projects, initiés par les acteurs privés et les projets cofinancés par les gouvernements et organismes d’aide au développement se multiplient.

Potentiel renouvelable en Afrique. Irene d’après l’Atlas mondial 2013.

Le Kenya a ainsi inauguré en 2014 de nouvelles unités de production de géothermie, Olkarya IV d’une capacité de 140 MW. Avec une capacité totale installée de près de 593 MW en 2015, le champ d’Olkaria est ainsi la plus grande usine de géothermie d’Afrique. Le Sénégal par exemple compte depuis début 2018 quatre centrales solaires pour une capacité totale de 102 MW.

La Banque africaine de développement encourage par ailleurs le déploiement des infrastructures hydrauliques, le secteur ayant de fortes externalités positives en matière de développement économique et de création d’emplois.

Les infrastructures hydrauliques se distinguent des autres investissements dans les énergies renouvelables par la possibilité de réaliser des interconnexions transfrontalières et ainsi de créer des externalités positives fortes en matière de développement et de coopération régionale.

Outre les impacts environnementaux et sociaux créés par ces grands projets, ces derniers permettent d’améliorer la sécurité énergétique d’un ensemble régional. La République démocratique du Congo avec le barrage Inga (dont le potentiel est estimé à environ 100 GW selon la Banque Mondiale) ou les pays dans la vallée du Rift au potentiel géothermique important (plus de 20 GW selon l’IRENA) souhaitent, par exemple, distribuer leur électricité au-delà de leurs frontières.

La Banque mondiale a estimé que la création d’un marché d’échanges d’énergie entre les pays d’Afrique de l’Ouest permettrait d’économiser 5 à 8 milliards de dollars par an, et garantirait l’accès à une énergie plus abordable, plus fiable et plus propre pour tous. La région a d’ailleurs créé un marché régulé de l’électricité en juin 2018, une initiative qui pourrait s’étendre à l’ensemble du sous-continent. Un tel développement nécessite toutefois des investissements importants, un cadre légal propice et une main-d’œuvre compétente sur le terrain.


Rebecca Martin, étudiante à l’École Centrale de Lyon, a participé à la rédaction de cet article.

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