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personnes font du piquetage
Des enseignants forment une ligne de piquetage devant leur école à Deux-Montagnes, au Québec, le 21 novembre 2023, alors que 420 000 enseignants québécois sont en grève. LA PRESSE CANADIENNE/Ryan Remiorz

Les médias sociaux, une arme à double tranchant pour l’image des syndicats

L’image des syndicats est souvent évoquée pour expliquer l’érosion du taux de syndicalisation au Canada au cours des quatre dernières décennies, qui a passé de 38 % en 1981 à 29 % en 2022. Les travailleurs peinent à s’identifier aux syndicats, perçus comme des organisations vieillissantes, et donc à s’y engager.

Les médias sociaux font naître l’espoir d’un vent de renouveau pour le mouvement syndical. Ces plates-formes leur offrent en effet – au moins en théorie – la possibilité d’améliorer leur image en fluidifiant la communication avec leurs membres, en adoptant de nouvelles méthodes de mobilisation et en s’adressant à un public plus jeune et connecté.

Néanmoins, les espoirs suscités par les médias sociaux pour redorer l’image des syndicats s’avèrent en partie déçus. Nos recherches récentes révèlent quatre effets de distorsion que les médias sociaux peuvent avoir sur l’image des syndicats. Si ces effets peuvent contribuer à revitaliser leur image publique, ils peuvent également aboutir au résultat inverse et représenter une menace tout à fait sérieuse : celle de les rendre invisibles.

Facteur de division

Une première conséquence des médias sociaux est qu’ils peuvent exacerber les clivages entre les syndicats et les employeurs ou les gouvernements. Un phénomène qui n’est pas sans rappeler la polarisation qui frappe la sphère politique.

Selon les responsables syndicaux avec lesquels nous nous sommes entretenus, cette polarisation en ligne est en partie attribuable aux normes de communication sur les médias sociaux, marquées notamment par une grande tolérance à l’égard des postures virulentes et agressives. L’incitatif à communiquer de manière plus clivante en ligne découlerait également de la concurrence féroce à laquelle doivent se livrer les communicants pour capter l’attention fugace des utilisateurs des médias sociaux.

Images of social media likes, follows, and comments float above a hand scrolling on a cell phone screen
La structure et la culture associées aux médias sociaux incitent certains syndicats à adopter des styles de communication plus brefs, moins nuancés et plus affirmatifs, dans le but de rallier leurs partisans et d’amplifier la portée de leurs messages. (Shutterstock)

La structure et la culture associées aux médias sociaux incitent ainsi certains syndicats à adopter des styles de communication plus brefs, moins nuancés et plus affirmatifs, dans le but de rallier leurs partisans et d’amplifier la portée de leurs messages.

L’effet de polarisation en ligne n’affecte pas tous les syndicats de la même manière. Nos résultats indiquent que les syndicats les plus touchés par cet effet sont souvent ceux les plus militants.

Tout à l’égo

Les médias sociaux peuvent également contribuer à déformer l’image numérique des syndicats en encourageant des comportements autocentrés. Il a déjà été démontré que les médias sociaux encouragent les individus à adopter des comportements narcissiques. Notre étude révèle que cette tendance se manifeste également pour des organisations comme les syndicats.

Les médias sociaux encouragent en effet les syndicats à mettre en scène leurs membres de manière extrêmement positive. Cette survalorisation de l’effectif syndical s’explique essentiellement par les règles du jeu algorithmique des médias sociaux. En d’autres termes, le contenu faisant l’éloge des membres d’un syndicat aurait tendance, selon les responsables syndicaux, à susciter davantage d’engagement (likes, commentaires ou partages). Par conséquent, certains gestionnaires de médias sociaux privilégient les contenus célébrant les mérites des membres afin de maximiser la viralité de leur communication en ligne.

Cette tendance au « tout à l’égo » semble le plus prononcée dans les syndicats dont l’effectif est homogène et l’identité professionnelle forte, où il est incidemment plus aisé d’encourager un sentiment de fierté professionnelle.

Grossir ses traits jusqu’à la caricature

La troisième façon dont les médias sociaux peuvent déformer l’image en ligne des syndicats est en exagérant certains de leurs caractéristiques ou traits identitaires au point de les rendre grotesques ou caricaturales.

Ce type de distorsion découle notamment du sentiment d’obligation perçu par certains syndicats d’alimenter régulièrement leurs comptes de média sociaux. À cet égard, soulignons que tous les syndicats de notre étude publient entre cinq et sept messages par semaine sur leurs pages Facebook.

Cependant, tous les syndicats ne disposent pas de contenu nouveau ou attrayant à partager sur une base aussi régulière. Pour satisfaire à la boulimie des médias sociaux, certains syndicats se rabattent sur le partage en ligne d’activités aussi routinières que des réunions, formations ou assemblées syndicales. Répétées à l’envi, ces scènes banales de la vie syndicale finissent par grossir exagérément les caractéristiques bureaucratiques de ces organisations.

C’est donc sans surprise que les syndicats ayant une culture bureaucratique prononcée sont les plus susceptibles de s’autocaricaturer en ligne.

Noyés dans l’actualité

L’effet d’effacement est la dernière distorsion que les médias sociaux peuvent faire subir aux images numériques des syndicats. Un phénomène identique se produit lorsque les gestionnaires de médias sociaux abreuvent les comptes des syndicats de flots d’articles de presse et de republications, plutôt que de partager du contenu directement lié au syndicat.

Dans pareille situation, la visibilité numérique du syndicat décline, au point de rendre son identité diaphane. Cet effet est encore plus prononcé lorsque le partage d’article ou la republication n’est accompagné d’aucun texte introductif qui tisse un lien entre la nouvelle et le syndicat ou ses membres.

Les syndicats les plus exposés à l’effet d’effacement sont ceux dont les responsables des médias sociaux manquent d’expertise ou ceux dont le modèle de syndicalisme est axé sur la prestation de services

plutôt que sur la mobilisation active des membres.

An laptop open to a news article is seen over the shoulder of a young woman
Les syndicats dont les médias sociaux sont noyés sous un flot d’articles de presse et de republications risquent de brouiller leur image au point de devenir invisibles. (Shutterstock)

Les risques de l’invisibilité numérique

Les médias sociaux apparaissent donc comme une arme à double tranchant pour les syndicats. Si certains effets de distorsion peuvent avoir des résultats positifs, d’autres apparaissent comme clairement négatifs. La polarisation et l’égocentrisme, par exemple, peuvent être bénéfiques parce qu’ils augmentent l’engagement en ligne. Au contraire, les effets de caricature et d’effacement conduisent à réduire le nombre de réactions.

Un contenu peu engageant tend à devenir invisible en raison du fonctionnement des algorithmes des médias sociaux. Les syndicats soumis à ces effets courent ainsi le risque d’être marginalisés de la sphère publique numérique.

La communication étant un levier essentiel du pouvoir syndical, il est donc à craindre que les médias sociaux n’affaiblissent leur capacité à défendre les droits des travailleurs, au lieu de la renforcer. Notre étude souligne alors la nécessité pour les syndicats de réfléchir à la manière dont ils peuvent construire une image en ligne qui soit à la fois efficace, engageante et alignée sur leur identité organisationnelle. À l’ère numérique, les syndicats doivent trouver le bon dosage entre l’engagement et la visibilité algorithmique pour redorer leur image.

This article was originally published in English

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