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Tom Hart, Author provided

Les nouveaux colons de l’Antarctique

La calotte glaciaire du continent blanc pourrait totalement fondre si nous brûlons toutes les réserves disponibles en charbon, gaz et pétrole, a avancé une récente étude. Si ce scénario n’est pas pour demain, de profonds changements sont déjà visibles dans cette région du globe, et il est facile d’imaginer à quoi pourraient bien ressembler les écosystèmes du continent austral sans sa glace.

Pour l’heure, la vie se développe surtout sur le pourtour de l’Antarctique, là où le plancton et des zones de terres côtières libres de glace sont accessibles. A l’intérieur, le territoire est très peu peuplé, mais n’a rien du sol stérile que beaucoup imaginent. On y trouve ainsi près de 110 espèces indigènes de mousse et deux plantes à fleurs, la canche et la sagine antarctiques. Elles sont présentes le long de la péninsule antarctique qui bénéficie ces dernières décennies de températures relativement douces.

Eau sous forme liquide à volonté

Avec le recul de la calotte glaciaire et des glaciers dans la zone péninsulaire, les plantes et les animaux terrestres indigènes bénéficient d’une eau sous forme liquide en quantité. On note en conséquence une augmentation des populations, des zones plus occupées et des taux de croissance plus rapides. Ces phénomènes risquent de s’intensifier ; actuellement, les conditions extrêmes jugulent toujours ces évolutions.

Si le réchauffement pourrait se révéler fatal à certaines espèces, le plus gros problème des décennies et siècles futurs concerne la venue de nouvelles espèces, non indigènes, susceptibles de coloniser l’Antarctique.

La canche antarctique (Deschampsia Antarctica), la plante la plus au sud du monde. British Antarctic Survey, Author provided

Importation d’espèces

Les espèces polaires autochtones ont évolué dans un environnement où c’est la survie aux conditions froides et sèches qui compte et non pas la lutte entre les espèces. Les humains (ou d’autres animaux sauvages) représentent ainsi un danger, notamment parce qu’ils apportent des maladies, ce qui menace très sérieusement la biodiversité locale. Certaines espèces indigènes pourraient se voir contraintes de s’installer dans des régions plus extrêmes pour échapper aux prédateurs.

Nous distinguons le processus de colonisation naturelle - encore présent en Antarctique - de l’importation d’espèces « étrangères » par l’action humaine. Les données disponibles les plus intéressantes pour le continent austral proviennent de certaines îles subantarctiques, où il apparaît que les humains ont été à l’origine de bien davantage de colonisations que la nature elle-même. Au cours des siècles de présence de l’homme dans la région, ce dernier a introduit entre 200 et 300 espèces quand on ne connaît que deux ou trois cas de colonisations naturelles.

Tom Hart et deux millions de manchots à jugulaire. Richard White, Author provided

Oiseaux fertilisateurs

Pingouins, phoques et oiseaux marins se déplacent entre les îles et la péninsule antarctique, d’où un potentiel de colonisation naturelle. Des oiseaux vagabonds sont ainsi régulièrement observés dans la zone subantarctique, de même que le long de la péninsule ; certains ont réussi à coloniser ces espaces, à l’image des étourneaux, sizerins et canards colverts sur l’île Macquarie.

Les oiseaux migrateurs tels que les labbes et les goélands, qui passent du temps sur la terre ferme en début et fin de leur migration, pourraient être des vecteurs naturels importants de transfert d’invertébrés, de graines et spores de plantes, ainsi que de microbes dans un Antarctique sans glace. Surtout, les colonies d’oiseaux fertilisent roches et sol de leurs matières fécales, œufs et carcasses. La faune et la flore environnantes tirent grand profit de cet enrichissement.

Quels passagers clandestins peut bien abriter ce labbe ? Tom Hart, Author provided

Il est toutefois difficile de prévoir ce qu’une fonte de la glace en Antarctique signifierait pour chaque espèce, sans même aborder la question des écosystèmes. Prenez les pingouins, par exemple : ils ont déjà connu des retraites interglaciaires, mais pour des populations beaucoup moins nombreuses. Dans le cas d’une fonte totale, il est probable que la population des manchots Adélie et empereurs, très dépendants de la glace diminuera, tandis que celle d’espèces moins dépendantes, comme les manchots papous et à jugulaires, pourrait en bénéficier. Il existe déjà des signes indiquant que les manchots empereurs souffrent du réchauffement (bien qu’ils puissent aussi s’adapter et apprendre à migrer).

Les manchots papous piscivores sont en augmentation dans la péninsule, tandis que les manchots Adélie et à jugulaire, mangeurs de krill, ne se portent pas si bien. Ceci pourrait signifier que c’est davantage la disponibilité en proies que la couverture de glace disparaissant qui serait en cause. Comprendre l’impact des changements environnementaux à l’échelle à l’écosystème est difficile, car il s’agit de processus complexes et assez imprévisibles.

Un moucheron en Géorgie du Sud, importé bien plus au Sud. British Antarctic Survey, Author provided

Fragile équilibre

Les îles subantarctiques sont les témoins de nombreux de ces impacts inattendus. Les porcs, les chiens, les chats, les moutons, les rennes et les lapins ont tous été amenés volontairement par l’homme dans le passé, avec des effets généralement dévastateurs. Rats et souris ont été introduits accidentellement en Géorgie du Sud et sur d’autres îles par des chasseurs de phoques et de baleines, décimant des populations entières d’oiseaux de mer. Une campagne d’éradication récente semble avoir obtenu de bons résultats : pipits, canards et petits oiseaux de mer sont réapparus.

La suppression des chats non indigènes sur les îles Macquarie et Marion a, de même, contribué à la nidification des oiseaux de mer… tout en provoquant la multiplication des lapins, source de sérieux dégâts pour la végétation antarctique.

Renforcer la biosécurité

La biodiversité de l’Antarctique est beaucoup plus riche qu’on ne le dit : ses quinze régions biogéographiques distinctes ont connu des évolutions sur des millions d’années. Mais les êtres humains représentent la plus grande menace, non seulement parce qu’ils introduisent de nouvelles espèces, mais aussi parce qu’ils déplacent des espèces « indigènes » entre les différentes régions de l’Antarctique.

Les visiteurs du continent blanc sont aujourd’hui soumis à un nombre croissant de mesures strictes visant à assurer la biosécurité, mais des introductions accidentelles continuent de se produire, souvent par le biais d’acheminements de produits alimentaires pour les scientifiques. Les changements actuels au niveau de la mer et de la glace permettent l’accès à de nouveaux territoires, ce qui veut dire que nous pouvons nous attendre à une invasion de plantes et d’invertébrés, à moins de renforcer la biosécurité.

Une telle prévention aura, bien sûr, un coût, mais s’avèrera toujours plus économe que d’avoir à éradiquer plus tard des espèces colonisatrices.

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