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Une femme subissant une mammographie avec une technicienne
Le United States Preventive Services Task Force, la Société canadienne du cancer et plusieurs provinces canadiennes recommandent désormais le dépistage du cancer du sein chez les femmes âgées de 40 à 49 ans, mais ce n’est pas le cas des nouvelles lignes directrices du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs. (Shutterstock)

Les nouvelles lignes directrices sur le cancer du sein, qui déconseillent le dépistage chez les femmes de 40 ans, sont-elles mal fondées ?

Malgré l’augmentation rapide du taux de cancer du sein chez les jeunes femmes et les preuves irréfutables de l’efficacité et de la rentabilité du dépistage, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs préconise de ne pas procéder à un dépistage systématique chez les femmes âgées de 40 à 49 ans.

Cette décision nous laisse perplexes et nous semble dangereuse, puisque la détection précoce est un élément essentiel de la lutte contre le cancer du sein.

La Société canadienne du cancer et le United States Preventive Services Task Force ont déjà modifié leurs recommandations pour le dépistage du cancer du sein, et la plupart des gouvernements provinciaux au Canada ont instauré ou se sont engagés à instaurer le dépistage à partir de 40 ans.

Pourtant, la conclusion du Groupe d’étude canadien paraissait courue d’avance, sa direction ayant exprimé des réticences à changer les lignes directrices avant même le début du processus de réflexion.

Cette opinion a été renforcée par une publication récente de Médecin de famille canadien, dans laquelle les membres du Groupe réfutent l’efficacité du dépistage et l’évolution des traitements.

Mettre l’accent sur les effets néfastes et de vieilles données

Le Groupe d’étude insiste de manière disproportionnée sur les aspects négatifs du dépistage, tels que le surdiagnostic (diagnostic d’un cancer qui n’aurait jamais causé de problèmes à un individu au cours de sa vie) et l’anxiété liée aux rappels suite aux résultats d’imagerie, tout en minimisant les avantages indéniables de la détection précoce qui permet de sauver des vies et de réduire les souffrances.

Le ministre de la Santé Mark Holland devant un microphone
Le ministre de la Santé, Mark Holland, s’entretient avec des journalistes au sujet des recommandations du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs en matière de dépistage du cancer du sein, à Ottawa, le 30 mai 2024. La Presse canadienne/Adrian Wyld

Les essais contrôlés randomisés (ECR) constituent la référence absolue pour l’établissement de lignes directrices, mais le Groupe d’étude s’appuie sur des ECR dépassés, datant de 30 à 60 ans, et ne tient pas compte des avancées en matière de diagnostic et de traitement. Le processus d’élaboration des lignes directrices a été mis sur pause à l’automne, les spécialistes exigeant que seules les données postérieures à 2000 soient considérées. Ce conseil a toutefois été ignoré, et le Groupe d’étude a continué à accorder une priorité disproportionnée à de vieux ECR et à sous-évaluer les études observationnelles récentes, qui correspondent davantage aux normes actuelles en matière de dépistage et de traitement.

Ce choix a pour effet de diminuer les avantages perçus du dépistage, étant donné que ses bénéfices en termes de mortalité sont de 15 % dans les essais cliniques randomisés contre 53 % dans les études observationnelles. En outre, le Groupe d’étude ne présente qu’une partie des avantages du dépistage en les inscrivant dans un horizon temporel limité (10 ans à partir du début du dépistage) et en ne tenant pas compte des avantages accumulés tout au long de la vie d’une personne.

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D’autre part, l’approche du Groupe en matière d’évaluation des risques est d’un simplisme alarmant, car elle ne considère pas les facteurs individuels, tels que la race et l’origine ethnique, la densité mammaire et les antécédents familiaux. Ces facteurs influencent considérablement les risques de cancer du sein.

En appliquant un modèle unique, le Groupe s’abstient d’informer les femmes de leur risque individuel et leur refuse l’accès à des dépistages qui pourraient leur sauver la vie, en particulier pour les femmes racisées qui sont nettement plus touchées par le cancer dans la quarantaine.

L’affirmation du Groupe selon laquelle de nombreux cancers détectés grâce au dépistage n’évolueraient pas ou régresseraient naturellement, entraînant des traitements inutiles ou un « surdiagnostic », est peut-être la plus préoccupante. Ce raisonnement fallacieux ne tient pas compte des cancers non traités qui vont fort probablement se développer, ni des avancées médicales telles que le profilage génomique du risque de récidive, qui permet une désescalade personnalisée des traitements, minimisant ainsi le surtraitement.

Refuser le dépistage sur la base d’une théorie non prouvée selon laquelle un cancer peut ne jamais causer de problème, alors que le dépistage apporte un bénéfice évident sur le plan de la mortalité, est injustifiable.

L’accès aux soins

Le Groupe d’étude se concentre de manière disproportionnée sur les inconvénients potentiels du dépistage, tels que le surdiagnostic, tout en minimisant les avantages indéniables de sauver des vies et de réduire les souffrances grâce à une détection précoce. (Shutterstock)

Le Groupe formule ses recommandations en termes de « prise de décision partagée », invitant les patients et les prestataires de soins de première ligne à collaborer pour déterminer ce qui convient le mieux pour chaque cas.

En théorie, ce concept est louable. Cependant, les médecins de famille s’appuient sur le Groupe d’étude pour émettre leur avis. Ainsi, lorsque les informations sur les inconvénients et les avantages du dépistage sont inexactes, le déséquilibre de pouvoir entre le prestataire de soins et la patiente risque d’entraver une prise de décision éclairée et partagée. Par conséquent, l’accès à des soins de santé vitaux est limité, ce qui perpétue les disparités dans les issues du cancer du sein.

Si les effets néfastes des traitements ne sont pas suffisamment convaincants, soulignons que le fait de retarder le diagnostic de cancer a également un coût financier. Des travaux menés à Ottawa ont montré que les coûts des traitements du cancer du sein en Ontario varient considérablement en fonction du stade de la maladie au moment du diagnostic. De 14 505 $ pour un carcinome canalaire in situ (CCIS, un stade très précoce du cancer du sein), les coûts médians passent à 39 263 $, 76 446 $, 97 668 $ et 370 398 $ pour les stades 1, 2, 3 et 4 respectivement. Dans un système public de santé à payeur unique, ces coûts dépassent largement ceux de la mammographie de dépistage.

Pour établir ses lignes directrices, le Groupe d’étude a utilisé des données scientifiques pour minimiser les avantages et amplifier les inconvénients du dépistage, refusant ainsi aux femmes l’accès à celui-ci. Nous pensons que les conséquences de ces nouvelles lignes directrices pourraient être désastreuses et coûter la vie à de nombreuses jeunes femmes.

La majorité des provinces et des territoires ont constaté ces lacunes, ignoré les lignes directrices et autorisé l’auto-aiguillage pour le dépistage aux femmes de 40 à 49 ans, tenant compte du fait que la « prise de décision partagée » constitue un obstacle, en particulier à une époque où l’accès aux soins de santé primaires n’est pas uniforme.

Comment se fait-il que la Société canadienne du cancer, les États-Unis et neuf provinces canadiennes appuient le dépistage chez les femmes de 40 à 49 ans, mais pas nos lignes directrices nationales ? Manifestement, ces autres organismes ont jugé les données suffisamment convaincantes pour proposer le dépistage, alors pourquoi le Groupe d’étude est-il le seul à affirmer que les inconvénients l’emportent sur les avantages ?

Nous estimons que les nouvelles recommandations relatives au cancer du sein sont mal fondées et que cela devrait constituer une mise en garde pour l’ensemble de la santé préventive au Canada. Si nous refusons d’entendre l’appel de la raison et de nous baser sur les données les plus récentes reflétant les progrès des traitements et des diagnostics utilisés quotidiennement dans nos cliniques, nous risquons de rester à la traîne par rapport à d’autres pays et d’assister à un déclin de nos taux de guérison du cancer.

En tant que cliniciens et chercheurs dans le domaine du cancer, nous n’aimerions pas être une femme canadienne de 40 ans avec ces lignes directrices, car nous voyons trop de cancers du sein incurables à un stade avancé qui auraient pu être évités par le dépistage.

This article was originally published in English

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