Menu Close

Les pièges de « l’éco-efficience »

Changer les ampoules de ses lampes pour des LED, un exemple d’éco-efficience. Shutterstock

« L’enfer est pavé de bonnes intentions »… l’adage vaut aussi lorsqu’il s’agit de préserver les ressources naturelles. En matière d’économies d’énergie, par exemple, les efforts des entreprises pour réduire les ressources consommées en vue de la production n’ont pas toujours l’impact environnemental espéré.

« L’éco-efficience » désigne, pour une entreprise, le fait d’utiliser moins de ressources naturelles dans le processus de production pour obtenir une même quantité de produits. Coca-Cola et Nestlé tentent par exemple d’utiliser moins d’eau, et Siemens moins d’électricité. Cet effort environnemental est conséquent, sachant que Coca-Cola a besoin de 70 litres d’eau pour produire 1 litre de boisson et produit une pollution plastique considérable.

Les entreprises s’intéressent de plus en plus à cette démarche, pour différentes raisons. Ces économies d’énergie présentent l’avantage de diminuer leurs coûts pour un même niveau de production. Mettre en avant un produit « plus vert » envoie par ailleurs un signal positif au consommateur et l’incite à l’achat. Mais penchons-nous d’un peu plus près sur les mécanismes d’une telle démarche.

Effets rebonds

On a tendance à croire que l’éco-efficience aligne les objectifs économiques de l’entreprise avec les objectifs environnementaux, à savoir réduire l’utilisation des ressources naturelles. Mais ce n’est pas si simple : il faut distinguer les ressources naturelles utilisées par unité produite – que mettent souvent en valeur les entreprises engagées dans une démarche d’éco-efficience – et les ressources naturelles consommées au total, qui sont liées à la demande globale. C’est ce dernier point qui détermine l’impact environnemental.

Prenons l’exemple d’une voiture qui consommerait moins d’essence au kilomètre. Un même trajet nous revient moins cher qu’avec un véhicule traditionnel. Par ce que l’on appelle « effet rebond », cela risque d’inciter les gens à rouler davantage, et donc à consommer plus d’essence.

Même conséquence pour les ampoules LED, qui coûtent moins chères à l’utilisation que les ampoules incandescentes. On veille moins à éteindre ces lumières à basse consommation que celles à ampoules incandescentes, ce qui augmente paradoxalement la facture d’énergie.

Inefficace sur les marchés de masse

L’éco-efficience, en permettant de produire moins cher, entraîne donc un « effet coût » : le coût de production baisse, le prix de vente diminue lui aussi et, par conséquent, la demande et la production augmentent. On consomme davantage, ce qui va à l’encontre des objectifs environnementaux.

Cet argument semble valable sur les marchés de masse. Lorsque l’utilisation totale des ressources augmente à la suite d’une politique d’éco-efficience, on dit qu’il y a un « sur-rebond », avec un impact finalement négatif sur l’environnement.

Du côté des produits de luxe

Mais il existe aussi ce que l’on appelle un « rebond négatif », lorsque la préservation en ressources est plus importante que prévu. C’est le cas pour les biens de luxe ou les marchés de niche, lorsque les entreprises se positionnent sur des produits haut de gamme plus respectueux de l’environnement, labellisés « verts ».

Le consommateur est alors prêt à payer plus cher pour des produits plus verts – une voiture électrique ou hybride, des batteries recyclables. Aujourd’hui la voiture hybride coûte plus cher à produire, le procédé étant nouveau et nécessitant d’être amorti ; mais le prix est aussi plus élevé parce que les consommateurs y consentent.

Si les entreprises en profitent et augmentent leurs prix, cela entraîne une baisse des quantités demandées et donc des ressources totales consommées. Au final, l’intérêt environnemental est plus important que prévu. Paradoxalement, c’est lorsque les entreprises vont augmenter leurs prix pour des produits plus éco-efficients que l’impact sur l’environnement sera le plus favorable.

Pour être réellement bénéfiques à l’environnement, les politiques d’éco-efficience ne doivent donc pas trop favoriser la demande et s’inscrire dans une démarche de sobriété. Pour que l’éco-efficience soit pertinente, le prix doit augmenter ou du moins ne pas « trop » baisser pour contenir la demande.


Stanko Dimitrov (professeur associé à l’Université de Waterloo, Canada) et Frank Figge (professeur à Kedge Business School) ont participé à la rédaction de cet article.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 191,200 academics and researchers from 5,061 institutions.

Register now