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Une recherche a identifié quatre profils de responsables RH selon leur rapport à la transition numérique des entreprises. Shutterstock

Les professionnels des ressources humaines doivent s’emparer de la digitalisation de leur fonction

Dans un baromètre publié en 2022, 93 % des responsables ressources humaines (RH) considéraient que soutenir et accompagner la transformation de leur entreprise sera leur priorité pour l’année à venir. Pourtant, seuls 35 % considèrent la modernisation, la digitalisation et la transformation de la fonction RH comme une priorité. Les transformations digitales rendent en effet le devenir des acteurs, des fonctions et des organisations difficilement prévisibles.

Pour tenter d’y voir plus clair, nous avons mobilisé une méthodologie de recherche prospective auprès de responsables RH chez BNP-Paribas et Safran entre 2020 et 2022. Elle permet de dessiner les différents scénarii possibles, tels qu’ils sont envisagés par les acteurs en les interrogeant à plusieurs reprises et de manière de plus en recentrée sur leur vision de leurs futurs. Sont alors prises en compte les représentations sociales des acteurs, leurs perceptions et leurs connaissances personnelles du sujet. Cette méthode permet notamment d’associer les experts RH de différents niveaux de responsabilité aux réflexions sur leur devenir.

Trouver de la cohérence

Beaucoup de professionnels semblent s’inquiéter de la façon dont la digitalisation bouleversera les rôles traditionnels tout en amenant de nouvelles problématiques. Le mouvement soulève notamment la question de la qualité des données et de leur maîtrise afin de pouvoir utiliser des outils analytiques et prédictifs. Un des professionnels rencontrés s’interroge ainsi :

« Je pense qu’il est évident que nous devrions utiliser les données de manière plus proactive. Quels types d’outils, quels types d’algorithmes pouvons-nous utiliser pour les interpréter ? Ce sont des questions typiques auxquelles les futurs RH devront répondre. »

Il s’agit par la même de créer davantage de cohérence au niveau des outils au sein des entreprises :

« Le sujet clé est l’absence de normes à l’échelle du groupe et le manque de cohérence… pour chaque sujet, nous avons un autre outil. »

Cette cohérence ne peut exister que si les outils dédiés aux différentes pratiques (recrutement, GPEC, gestion des carrières, gestion de la formation) sont construits de manière à être compatibles.


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Trois enjeux clés ressortent de nos résultats autour de l’implémentation de ces outils : leur harmonisation, l’implication des professionnels RH dans les choix effectués et leur formation.

Une fois ces outils maîtrisés se posera la question de leur gestion. Le rôle des RH sera alors amené à évoluer par rapport aux managers qui consulteront directement les données, c’est le développement du « self service ».

Les professionnels relèvent aussi que la digitalisation soulève des problématiques par rapport à l’éthique, notamment en ce qui concerne la responsabilité de la sécurisation des données RH. Les experts RH auront alors une double casquette. Il s’agira d’épauler les managers et les équipes dans l’utilisation de ces outils, et instaurer des normes éthiques :

« Notre rôle sera d’accompagner les managers dans cette nouvelle manière de gérer leurs équipes, les sensibiliser sur les risques (qualité de vie au travail, droit à la déconnexion) et leur donner de nouveaux outils pour qu’ils prennent la main sur des sujets RH : gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, gestion des talents ».

L’humain ou la performance ?

Le principal avantage de la digitalisation pour les professionnels des RH est, sans aucun doute selon nos répondants, le gain de temps. Toutefois, les conséquences de cet avantage sont perçues de manière différente par les deux organisations que nous avons explorées.

Pour le panel Safran, ce gain de temps représente une opportunité d’améliorer les relations humaines et l’expérience des employés. Pour le panel BNP-Paribas, il s’agit davantage d’un levier d’amélioration de la performance avec, par exemple, des simplifications de processus et une plus grande cohérence des données.

Les deux populations étudiées ont, pour le reste mentionné le manque de moyens, le manque d’expertise et le manque de temps pour se former. Une inquiétude commune s’est également exprimée sur la sensibilité des données collectées. Les risques sont toutefois différents pour les deux organisations. Chez Safran, la gestion des RH est principalement fondée sur les indicateurs de performance. En ce qui concerne BNP-Paribas, l’étude a montré une personnalisation insuffisante des solutions RH.

Quatre profils

Les experts de la fonction RH ne composent ainsi pas une population homogène face à la digitalisation. Dans notre étude, nous mettons ainsi en évidence des tensions entre les idéaux et les réalités des transformations digitales, entre les outils digitalisés et les relations humaines, entre les opportunités et les risques de ces changements, liés notamment à la croissance des données RH.

Nous proposons ainsi une typologie des professionnels des ressources humaines selon leur posture face à la digitalisation. Certains experts RH sont des « visionnaires impliqués » car ils considèrent la fonction RH comme un moteur pour l’organisation. D’autres sont des « enthousiastes empêchés » ; ils pensent que le rôle de la fonction RH se limitera au suivi des choix organisationnels et au soutien des managers dans le processus de digitalisation.

Deux visions plus pessimistes de la digitalisation ressortent de l’étude. Les « sceptiques impuissants » ont une vision négative de la digitalisation et de la capacité de la fonction RH à prendre la main sur les conséquences des transformations. Les « gardiens des dérives potentielles » considèrent que la fonction RH doit avant tout jouer le rôle de garde-fou face aux avancées de la digitalisation.

Fourni par l'auteur

L’un des défis de demain consiste à faire évoluer les visions négatives de certains professionnels RH, en les impliquant davantage dans les transformations en cours, pour concevoir des outils digitaux correspondant à leurs besoins et aux attentes des populations gérées. Cette évolution suppose la formation des professionnels RH à la qualification et à l’utilisation des data RH associées à ces outils. Ainsi, le développement des outils digitaux dépendra-t-il davantage de l’humain que de la technologie. Il s’agit bien aujourd’hui de générer une prise de conscience collective des actions à mener au sein des départements RH, mais également de conduire les autres fonctions (direction des entreprises notamment) à leur donner les moyens d’évoluer.


Cet article a été réalisé dans le cadre d’un travail de recherche mené en partenariat entre deux chaires d’ESCP Business School – Une Usine pour le Futur et Reinventing Work. Il est issu d’un article publié par la Revue de Gestion des Ressources Humaines en 2023. Les auteurs remercient Yaëlle Amsallem, doctorante ESCP, pour sa contribution.

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