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Les Républicains : un parti dans la tourmente ?

Renaud Muselier, président sortant de la région PACA et tête de liste LR, présente sa liste à Marseille le 14 mai 2021. Christophe Simon/AFP

L’imbroglio que vivent Les Républicains en PACA autour de la candidature de Renaud Muselier et de sa demi-alliance avec le parti présidentiel – qui a conduit certains de ses camarades élus à le désavouer quand d’autres, à l’image des maires de Nice et Toulon Christian Estrosi et Hubert Falco, ont choisi de quitter officiellement leur parti – apparaît comme un concentré de ce que vit la famille politique de la droite depuis plusieurs années.

Les Républicains subissent en effet un long déclin depuis 2017 : défaite au premier tour d’une élection présidentielle présumée imperdable, division par deux de leur nombre de députés, dégringolade du nombre d’adhérents soit 58 000 adhérents en 2019 contre 238 208 déclarés en 2015, départ de nombreux cadres pour rejoindre le gouvernement ou faire carrière en solitaire, dette conséquente à apurer, score historiquement bas aux dernières élections européennes…

Seul le maintien de leurs positions municipales (en dépit de la perte de Bordeaux, Marseille et Perpignan) et sénatoriales leur a permis de garder le moral ces derniers temps.

Quel positionnement dans l’espace politique français ?

Mais s’il y a bien un facteur qui fait douter plus que les autres de la capacité du parti à se relever, c’est bien son positionnement dans l’espace politique français.

Le parti doit en effet faire face à la concurrence féroce du Rassemblement national, qui joue depuis plus de 40 ans la prime à la radicalité sur les sujets de sécurité et d’immigration. Il doit également affronter La République en Marche, qui semble pencher de plus en plus vers le centre-droit au fur et à mesure du quinquennat d’Emmanuel Macron.

Les tentations d’aller voir ailleurs, ne serait-ce que pour s’éloigner d’une marque partisane largement démonétisée, posent donc la question de savoir si la cohésion interne de la droite pourra résister aux dissensus idéologiques et stratégiques encouragés par cette double attraction électorale.

Les Républicains, creuset idéologique de la droite française

Existe-t-il en France plusieurs droites « irréconciliables », comme certains le laissent entendre chez LREM ?

C’est en tout cas ce qu’on pourrait croire en s’arrêtant aux différentes tentatives de typologie des droites françaises, notamment au fameux travail de René Rémond de 1954 sur La Droite en France de 1815 à nos jours, qui distinguait une tradition légitimiste réactionnaire, une tradition orléaniste libérale et une tradition bonapartiste étatiste et césariste.

Nicolas Sarkozy (alors président de la République) pose avec son Premier ministre Francois Fillon et son ministre de l’Environnement Alain Juppé le 18 mai 2007 au palais de l’Élysée. Stephane de Sakutin/AFP

Bien qu’ancienne, cette classification a pourtant été appliquée en 2016 à François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy (respectivement), passant un peu rapidement sur la très grande similarité des programmes des trois candidats à la primaire de la droite et du centre.

Car l’exercice démocratique de la primaire n’était ici pas conçu comme une manière de trancher entre différentes lignes politiques bien distinctes, mais bien entre des candidats aux légitimités équivalentes vis-à-vis du parti et de l’électorat de droite. Et s’il n’y avait pas à proprement parler de ligne à trancher, c’est bien parce que la droite française actuelle est le résultat d’un long processus d’indifférenciation de ses différentes filiations, au profit d’un consensus économiquement libéral et culturellement conservateur, comme je le constate dans mon travail de recherche.

Entre 1958 et 2012, la France n’a jamais connu plus de cinq ans sans un gouvernement de droite prenant en compte aussi bien les composantes gaullistes et post-gaullistes que les héritiers des mouvances chrétiennes-démocrates, libérales et modérées qui prospérèrent durant la IVe République.

Or la référence idéologique la plus affirmée, celle du gaullisme – mouvement déjà largement composite et pragmatique – s’est rapidement vidée de sa substance après la mort de son inspirateur, pour ne plus constituer qu’un ensemble de « codes verbaux ».

Des droites à la droite

C’est dans ce cadre d’alliances et de collaborations routinisées entre les grands partis de droite français, idéologiquement proches et eux-mêmes divers en leur sein, qu’émerge l’Union pour un Mouvement Populaire (initialement « Union pour une Majorité présidentielle »), fusion du RPR, de Démocratie libérale et de la plus grande partie de l’UDF.

Le nouveau parti, dont les structures s’inscrivaient largement dans la continuité de celles du RPR, a rapidement abandonné les problématiques de représentation des trois mouvements fondateurs pour se plonger dans l’aventure sarkozyste, qui suscita des vocations et des loyautés qui ne s’inscrivaient dans aucun courant en particulier.

Alors maire adjointe de Bordeaux Virginie Calmels (ici le 14 janvier 2019) est aussi fondatrice du mouvement DroiteLib’. Mehdi Fedouach/AFP

Presque 20 ans après la création de l’UMP, il est devenu difficile d’identifier de véritables courants formels ou informels au sein du parti Les Républicains (créé en 2015) au-delà de l’hétérogénéité propre à tous les grands partis de gouvernement.

Tout juste existe-t-il des « niches » souverainiste, conservatrice, libérale, etc., mais celles-ci sont largement instables, dépendantes des initiatives individuelles – comme Oser la France de Julien Aubert, Force Républicaine de Bruno Retailleau ou DroiteLib’ de Virginie Calmels – qui se saisissent selon les besoins de certains patrimoines idéologiques de la droite, et incapables de structurer les coalitions internes au parti entre des acteurs dont les idées les rapprochent bien plus qu’elles ne les éloignent.

La droite, une famille politique stratégiquement divisée

Pour bien comprendre les raisons des dissensions de la droite française, il faut bien distinguer d’un côté les départs que l’on pourrait qualifier « d’opportunistes » et ceux s’inscrivant dans une stratégie électorale de plus long terme.

Ainsi, certains cadres de la droite ont saisi l’opportunité de l’élection d’Emmanuel Macron pour accepter ou rechercher des positions gouvernementales, à l’image d’Édouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin ou Franck Riester. D’autres voient les choses à plus long terme, en tentant de peser sur la définition même de la droite.

Il existe en effet, au sein de la droite, des élus locaux qui ont, par le profil sociodémographique et politique de leur électorat, plutôt intérêt à entretenir un discours plutôt radical sur l’immigration et la sécurité notamment, afin de retenir les électeurs potentiellement tentés par le vote RN. C’est par exemple le cas de Laurent Wauquiez, président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, ou Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes.

Laurent Wauquiez président de la région Auvergne-Rhône Alpes prononce un discours à Chambery pour l’inauguration d’une nouvelle gare, le 8 novembre 2019. Jean‑Pierre Clatot/AFP

D’autres, en revanche, peuvent plutôt craindre, indépendamment de leurs orientations idéologiques, de s’aliéner leur électorat – plus urbain, plus aisé ou plus catholique – si leur parti paraît donner trop de gages au RN au point de pouvoir un jour basculer dans l’alliance. Ce fut ainsi le cas de l’ancien maire de Bordeaux Alain Juppé qui avait appelé à faire barrage au FN en 2017 dans un billet où il dénonçait « les finasseries de certains de mes propres “amis” politiques [qui] ajoutent à la confusion générale sur laquelle prospère le FN ».

Cette préoccupation peut également concerner certains cadres ayant bâti une partie de leur capital politique dans une incarnation un peu accidentelle du front républicain, comme Xavier Bertrand lors des élections régionales de 2015, qui quitta le parti en décembre 2017 pour ne pas être associé à la présidence de Laurent Wauquiez.

Xavier Bertrand, candidat LR dans les Hauts de France, ici le 3 mai 2021 à Maubeuge. Francois Lo Presti/AFP

Plus généralement, les déboires et le discrédit du parti font craindre pour le futur électoral de certains, à l’instar de Valérie Pécresse et d’une partie de son réseau francilien qui ont quitté le parti après la défaite aux élections européennes de 2019, inquiétés par l’effondrement de LR alors que LREM avait réalisé de très bons scores dans leur région en 2017.

C’est aussi le cas d’un ensemble d’élus de PACA, dont Renaud Muselier, Hubert Falco et Christian Estrosi (pourtant jadis catégorisé « à la droite » du parti), dont la mainmise sur le territoire est rendue plus qu’incertaine par la menace RN désormais trop grande pour être contenue, d’où une stratégie d’alliance avec LREM aux résultats plus qu’incertains, critiquée par des élus comme Bruno Retailleau aux positions électorales bien plus assurées.

Un parti sans nouveau projet idéologique

Cette débandade conjoncturelle comporte néanmoins des soubassements structurels. En laissant définitivement de côté les référentiels idéologiques traditionnels de la droite sans chercher à en construire de nouveaux, l’UMP a entériné un statut (déjà bien installé durant toute la Ve République) de parti d’élus à vocation électorale-professionnelle, dont l’intérêt est moins de promouvoir un projet politique particulier – quand bien même ses idées sont restées plus ou moins constantes au cours du temps – que le succès électoral de ses cadres.

Diablement efficace dans la période d’alternance politique régulière qui caractérisait la France jusqu’en 2017, son modèle s’est désormais retourné contre lui, incitant ses cadres les plus ambitieux ou inquiets à rejoindre l’adversaire ou à faire bande à part tandis que les restants tentent de contenir l’hémorragie.


L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Florence Haegel.

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