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Les risques de défaillance après un rachat de PME

Vente de PME. Shutterstock, CC BY-SA

Cet article est publié dans le cadre de la deuxième édition du Festival des idées, qui a pour thème « L’amour du risque ». L’événement, organisé par USPC, se tient du 14 au 18 novembre 2017. The Conversation France est partenaire de la journée du 16 novembre intitulée « La journée du risque » qui se déroule à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).


D’après l’Observatoire CRA de la Transmission des TPE/PME (édition 2017), le marché de la cession (ou reprise externe) concerne « 18 900 entreprises par an, dont 6 600 pour le créneau de 5 à 250 salariés ». Si la continuité économique et sociale de ces structures est essentielle pour de nombreux territoires, on observe que les repreneurs engagés dans un rachat de cible n’ont pas toujours conscience des risques de défaillance propres à ce type d’opérations.

Le rapport Dombre-Coste (2015), centré sur une série de propositions visant à favoriser la transmission d’entreprises en France, évoque pourtant un taux de survie à 5 ans proche des 50 % pour les projets non accompagnés par des réseaux bénévoles (tels que Réseau Entreprendre, BGE ou encore Initiative France).

Mais alors, comment expliquer que la vigilance des repreneurs ne soit pas plus grande vis-à-vis des dangers propres aux premières années de prise en mains ? De la même manière, quelles sont les principales sources de défaillance rencontrées suite à l’acquisition des entreprises ? La recherche que nous avons conduite permet d’apporter des éléments de réponse à ces deux interrogations, mais aussi d’émettre une alerte particulière sur les enjeux sous-estimés de la culture organisationnelle.

Des troubles de vigilance post-acquisition

Sur la question de la vigilance, au moins trois raisons peuvent être mises en avant pour comprendre l’attention moindre des candidats repreneurs aux risques de défaillance post-acquisition. La pensée collective contribue tout d’abord à présenter le rachat d’entreprise comme une pratique entrepreneuriale moins risquée que la création ex nihilo, notamment par la possibilité qu’elle offre de pouvoir s’appuyer sur une organisation déjà existante, et par la présence de garde-fous sécurisant cette opération (audit d’acquisition ou due diligence), protocole d’accord, garantie d’actif et de passif (ou GAP)). Cette comparaison positive peut cependant avoir un effet pervers et rendre les dangers de l’entrée opérationnelle moins visibles aux yeux des repreneurs.

Ensuite, si les campagnes de médiatisation et de vulgarisation sont nombreuses pour aider les créateurs à visualiser et à surmonter les difficultés à venir, les actions de sensibilisation aux risques en matière de reprise d’entreprises sont rares, isolées et principalement liées aux étapes précédant le rachat officiel de la cible (problématiques de recherche, de financement, de négociation, etc.). On peut penser que cette discrétion sur les enjeux post-acquisition participe au maintien des repreneurs dans une représentation partielle et court-termiste des complications possibles, minimisant ainsi les pièges de la prise en mains.

Enfin, dans une logique assez proche, il est aujourd’hui perceptible que le contenu des programmes de formation et des offres d’accompagnement à destination des repreneurs couvre essentiellement la concrétisation du projet de reprise et ses volets très techniques (mise en relation, méthodes d’évaluation, montages juridico-financiers, recherche de financement, négociation).

Concentrés sur ces passages obligés, les repreneurs ne sont pas forcément disposés à se projeter sur une situation qui n’existe pas encore, ce qui devient discutable quand on a connaissance des principales voies d’entrée en défaillance des entreprises reprises.

Des filières de défaillance plutôt classique

Le premier résultat de notre étude exploratoire, menée sur six cas d’entreprises ayant fait faillite dans les cinq années suivant leur rachat, confirme l’exposition des repreneurs aux trois filières classiques de défaillance introduites par Malecot (1991).

En ce sens, ils peuvent déjà subir la « filière du marché », principalement liée à l’évolution conjoncturelle de l’activité économique et à la modification des structures de marché.

La faiblesse de l’audit réalisé avant l’acquisition (évaluation de la croissance, du fichier clients, des gisements de chiffre d’affaires, etc.), ainsi que des évènements soudains (dégradation de la conjoncture, retournement de marché, rupture d’engagement de (mono-)partenaires, etc.), sont des symptômes possibles.

Sur un plan différent, les repreneurs peuvent également s’enliser dans la « filière de l’endettement ». Celle-ci correspond à une évolution de la structure de financement qui plonge l’entreprise dans un engrenage où elle s’asphyxie doucement en consacrant une part croissante de ses flux financiers aux remboursements de la dette senior (mécanisme de LBO).

La situation de l’entreprise devient sans doute encore plus périlleuse lorsque la « filière de management » est en cause et que la défaillance s’attribue surtout à des erreurs de gestion par manque d’expérience ou de compétences des repreneurs (mise en œuvre de politique contenant des faiblesses stratégiques et/ou opérationnelles importantes).

Les repreneurs n’appartenant pas au métier de l’entreprise, ni au monde de la TPE/PME, représentent bien évidemment la population la plus touchée par ce risque d’origine managériale.

Les dangers spécifiques de la culture organisationnelle

Mais au-delà des filières de défaillance classiques, un second résultat de notre recherche révèle une voie d’entrée additionnelle, spécifique au contexte des reprises externes, liée à l’exposition des repreneurs au piège de l’héritage socioculturel.

Cette filière, que nous avons qualifiée de « culture organisationnelle », traduit des erreurs de posture vis-à-vis d’un système en place qui les oblige à composer avec une équipe non choisie et à endurer la comparaison avec un cédant souvent charismatique. Dans ces circonstances, les repreneurs peuvent facilement sous-estimer le temps nécessaire pour apprendre à performer dans un nouvel environnement (efficacité/crédibilité), mais aussi pour se faire reconnaître par les membres de l’organisation en place (légitimité).

Les causes de frictions trouvent ici des origines multiples (conflits culturels, divergences de vision, précipitation dans l’application du plan de reprise, etc.) qui altèrent la qualité du processus de socialisation et favorisent en retour les conditions d’un rejet social de la greffe. Les incompatibilités interpersonnelles paraissent inévitables dans ces transformations organisationnelles profondes, si bien que l’hypothèse d’une convergence totale et immédiate des forces en présence relève moins de la règle que de l’exception.

Malheureusement, aujourd’hui, les dérives culturelles possibles entre le repreneur et l’organisation existante semblent encore insuffisamment considérées en amont du rachat de la cible, en dépit des grandes difficultés présagées à entrer en relation satisfaisante avec ses acteurs et sa symbolique institutionnelle.

Vers une sensibilisation accrue aux dangers post-acquisition

La coexistence de ces filières de défaillance (par le marché, l’endettement, le management et/ou la culture organisationnelle) donne donc de l’épaisseur à la question de la vigilance post-acquisition.

L’irréversibilité possible des déséquilibres générés doit nous convaincre de renforcer la politique de sensibilisation autour des problématiques situées en aval de la remise des clés, avec une alerte particulière sur les dangers du « fit individu/organisation » encore trop largement sous-estimés par les repreneurs en fonction.

La décompression pouvant faire suite à l’acquisition juridique de l’entreprise ne doit pas conduire à un excès d’optimisme des repreneurs quant à la quantité des efforts restant à fournir pour prendre les rênes d’un système qui leur est étranger. La vigilance doit au contraire gagner en intensité pour sécuriser ce qui est bien souvent décrit comme l’investissement d’une vie.

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