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femme devant la façade du magasin dior, qui semble barricadé
Une femme passe devant une boutique Dior fermée, à l'intérieur du grand magasin GUM, à Moscou, le 9 mars 2022. Les sanctions touchent tous les secteurs de la vie économique. (AP Photo)

Les sanctions économiques contre la Russie, c’est bien, mais cesser d’acheter son pétrole, ça serait mieux

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, les pays occidentaux, dont le Canada, ont mis en place une série de sanctions économiques sans précédent contre la Russie. Gel des avoirs à l’étranger de certains oligarques et de banques, y compris la Banque centrale, entraves aux transactions financières, embargos sur certains produits ciblés, le but des sanctions est clair : asphyxier l’économie russe afin de mettre la pression sur Vladimir Poutine et de l’empêcher de financer son effort de guerre.

Un renversement du régime est même vu par certains comme une conséquence possible et souhaitable de ces sanctions.

Spécialiste des questions de commerce international à l’ESG-Uqam, je crois que les sanctions actuelles ont des impacts évidents sur l’économie russe. Mais des mesures plus draconiennes concernant les ventes russes d’hydrocarbures sont nécessaires pour espérer porter un coup d’arrêt aux velléités expansionnistes de Vladimir Poutine. Bien que faisable, leur mise en œuvre soulève des difficultés.

Des mesures qui fonctionnent

Pour que des sanctions économiques fonctionnent, elles doivent être mises en œuvre rapidement et prendre le pays par surprise, afin qu’elles ne puissent pas être contournées trop facilement.

personnes font la file devant une banque
Des personnes font la queue pour retirer de l’argent à un distributeur automatique d’Alfa Bank à Moscou, en Russie, le 27 février 2022. (AP Photo/Victor Berzkin)

La réponse des pays occidentaux a été, dans ce cas-ci, rapide, coordonnée et massive. Ce n’était pas acquis, en raison notamment des divergences d’intérêts économiques entre les pays européens. L’économie russe s’en trouve fortement déstabilisée à travers des effets directs et indirects.

Les sanctions doivent faire peser un coût important sur le pays visé. La Russie fait face à des difficultés importantes d’approvisionnement pour de nombreux produits. En effet, les entraves aux transactions financières affectent le commerce avec la Russie en rendant impossibles le paiement des transactions ainsi que les mécanismes d’assurance souvent utilisés pour les sécuriser (lettres de crédit par exemple). Les produits qui ne sont pas directement visés par des restrictions commerciales se retrouvent ainsi également largement affectés, comme le démontre une analyse de l’impact des sanctions prises en 2014 lors de la guerre en Crimée.

Le transport de marchandises est également rendu plus compliqué, soit parce qu’il est assuré par des entreprises appartenant à des oligarques visés par les sanctions, soit parce que les ports se retrouvent fermés aux navires liés d’une manière ou d’une autre à la Russie, sans parler des biens transportés par voie aérienne. Ces difficultés d’approvisionnement touchent les consommateurs russes, mais aussi les multinationales qui opèrent en Russie.

Pour préserver leur réputation (et en raison de pressions, notamment dans les réseaux sociaux), plusieurs entreprises annoncent des limitations ou un arrêt de leurs activités en Russie, comme les géant Starbucks, Coca-Cola ou McDonald’s. L’industrie du luxe a aussi plié bagage.

passants devant un mc donald’s
Des personnes passent devant un restaurant McDonald’s dans la rue principale de Moscou, en Russie, le 9 mars 2022. Le géant du fast-food a annoncé avoir fermé ses restaurants en Russie. (AP Photo)

La réduction des échanges économiques avec la Russie et les incertitudes générées par la guerre conduisent de nombreux acteurs à se débarrasser de leurs roubles. La monnaie nationale voit ainsi sa valeur baisser rapidement. Or, le gel des avoirs de la Banque centrale de Russie placés à l’étranger handicape cette dernière pour soutenir le cours de la monnaie nationale. Ceci accentue les risques d’(hyper)inflation en Russie.

Les coûts imposés par ces sanctions s’ajoutent aux considérations politiques et morales pour expliquer la multiplication des oppositions internes malgré les risques encourus par les critiques du régime.

Cibler les hydrocarbures

Toutefois, en l’absence de mesures fortes contre les exportations russes d’hydrocarbures, Vladimir Poutine continuera de disposer des moyens de conduire sa guerre.

En 2018, les exportations de pétrole et de gaz représentaient 55 % des exportations totales de la Russie, soit près de 15 % de son PIB. La même année, les pays qui imposent actuellement des sanctions à la Russie comptaient pour plus de 70 % de la demande adressée à la Russie (dont 55 % pour les seuls pays de l’Union européenne, contre 2 % pour les États-Unis et 0,1 % pour le Canada), soit plus de 10 % de son PIB. Chaque jour, ce sont 285 millions de dollars US que les importations européennes de pétrole rapportent à la Russie. En continuant d’importer le gaz et le pétrole russes, les pays occidentaux continuent donc d’envoyer des liquidités précieuses pour la Russie.

Le pays dispose, grâce aux revenus tirés des hydrocarbures, de ressources qui lui permettent de continuer de verser ses pensions, de payer ses fonctionnaires et ses militaires, et de financer l’effort de guerre. Par exemple, les avoirs du fonds qui gère les pensions représentaient un peu plus de 4 % du PIB en 2017, soit moins de la moitié des recettes tirées de l’exportation des hydrocarbures.

Comme les entreprises russes doivent maintenant obligatoirement convertir en roubles 80 % au moins de leurs ressources en devises étrangères, les revenus d’exportations tirés des hydrocarbures remplacent les réserves de la Banque centrale gelées à l’étranger pour soutenir le rouble.

Des femmes regardent un écran affichant le taux de change dans un bureau de change
Des femmes regardent un écran affichant le taux de change dans un bureau de change à Saint-Pétersbourg, le 1ᵉʳ mars 2022. La monnaie russe a plongé d’environ 30 % par rapport au dollar américain après que les nations occidentales ont annoncé des mesures visant à bloquer certaines banques russes du système de paiement international SWIFT et à restreindre l’utilisation par la Russie de ses énormes réserves de devises étrangères. (AP Photo/Dmitri Lovetsky)

Or, pour certains, ce n’est que si l’économie russe est asphyxiée au point de ne plus pouvoir soutenir les dépenses de guerre et assurer certains transferts publics que le conflit pourra s’arrêter, faute de moyens et de soutien de la population.

Un consensus difficile pour les Occidentaux

Les États-Unis et le Royaume-Uni ont annoncé arrêter leurs importations d’hydrocarbures russes dont ils peuvent assez facilement se passer : la Russie représente seulement 2 à 3 % des importations américaines de pétrole (brut et raffiné) et de gaz, et 6 à 7 % pour le Royaume-Uni.

Les pays européens sont plus réticents, car leur dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie est bien plus forte. En effet, environ 25 % des importations européennes d’hydrocarbures proviennent de Russie, avec une forte hétérogénéité au sein de l’UE. Les pays d’Europe de l’Est, l’Allemagne et l’Italie sont particulièrement dépendants de la Russie.

Cela peut-il changer ? Renoncer aux hydrocarbures russes aura toujours un coût, mais son ampleur peut être réduite. Certains économistes estiment qu’une taxe punitive sur le pétrole russe permettrait de transférer le coût de la mesure sur la Russie. En effet, si le prix de vente aux consommateurs augmentait fortement en raison de la taxe, la demande des pays occidentaux se tournerait vers d’autres fournisseurs dont le pétrole n’est pas soumis à cette taxe punitive. La Russie ne pouvant réduire sa production à court terme, elle serait forcée de baisser le prix auquel elle vend son pétrole pour compenser la taxe. Ses recettes baisseraient, mais l’approvisionnement des pays qui imposent la taxe ne serait pas affecté.

En ce qui concerne le gaz, le gaz liquéfié (GNL), la relance de centrales nucléaires ou au charbon, et l’accélération de la transition vers des énergies propres pourraient être des mesures d’adaptation qui atténuent le coût du renoncement au gaz russe. La transition vers des énergies propres aurait un bénéfice environnemental.

Ces mesures nécessitent toutefois des investissements qui prennent du temps et qui ont un coût. La réduction des déficits budgétaires fortement creusés par la pandémie de Covid-19 devrait donc être retardée, les règles budgétaires qui prévalent au sein de la zone euro à nouveau adaptées, et le coût global de ces dépenses devrait être mutualisé afin qu’il ne soit pas un frein insurmontable pour les pays les plus dépendants énergétiquement de la Russie. Il faudra donc convaincre. Par ailleurs, un effort des pays producteurs d’hydrocarbures soutenant les sanctions serait nécessaire pour accroître leur production et limiter la hausse des prix.

La Chine, un recours pour la Russie ?

Enfin, pour que les sanctions sur les exportations d’hydrocarbures soient efficaces, il faut s’assurer que la Russie ne puisse écouler sa production auprès d’autres pays, dont la Chine. Elle représente pour le moment moins de 20 % des exportations russes d’hydrocarbures. La hausse des achats par la Chine devrait donc être spectaculaire pour compenser les ventes aux pays occidentaux.

Par ailleurs, ce pays est généralement pragmatique sur le plan économique. S’il soutient politiquement la Russie, il serait probablement réticent à heurter les pays occidentaux, qui représentent plus de la moitié de ses exportations. Enfin, la dépendance de la Russie à la Chine deviendrait totale. Cela satisferait Pékin, probablement beaucoup moins Moscou.

Des mesures concernant les exportations russes d’hydrocarbures sont donc nécessaires et envisageables malgré les coûts économiques qui y sont associés. Toutefois, au-delà de ces coûts, les possibles réactions d’un Vladimir Poutine qui agit suivant une rationalité différente de celle des élus occidentaux doivent aussi être évaluées.

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