Cet article est publié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (qui aura lieu du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Quelle relation entre l’Homme et la nature ? ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Le changement climatique est désormais un sujet de société majeur, préoccupant scientifiques, politiques et citoyens. Mais comment fait-on pour mesurer et surtout pour prédire l’augmentation de température de notre atmosphère ? Sur quoi se basent les modèles climatiques qui sont à la base des rapports du GIEC ? Au-delà des modèles, ces rapports sont en fait le résultat d’une longue chaîne de recherche, impliquant de nombreux scientifiques de domaines différents.
Questions d’échelle
L’atmosphère terrestre est un système très complexe. Comprendre son fonctionnement et calculer son évolution est une tâche particulièrement difficile nécessitant d’étudier des échelles d’espace et de temps très différentes : de la molécule à la planète entière, du millionième de milliardième de seconde pour les réactions chimiques – dont les détails se règlent à la femtoseconde – au siècle, pour l’échelle climatique.
Tout d’abord, il convient de ne pas confondre la météorologie, qui est l’étude du temps qu’il va faire, plus ou moins localement, à échéance de quelques jours, et l’étude du climat, qui concerne l’ensemble de la planète sur des durées très longues, de plusieurs décennies, voire de plusieurs siècles.
Comprendre le climat nécessite de comprendre le « système Terre » dans sa globalité, en tenant compte des interactions entre tous ses éléments : atmosphère, océans, reliefs par exemple, mais aussi avec le Soleil, la principale source de chaleur. Il faut calculer en détail comment ont lieu les échanges d’énergie entre le rayonnement solaire et les gaz composant notre atmosphère, ainsi qu’avec le sol. En effet, le sol chauffé par la lumière du soleil réémet un rayonnement infrarouge qui, à son tour, interagit avec l’atmosphère.
Ces calculs, complexes, reposent sur des méthodes mises au point petit à petit par les chercheurs depuis environ un siècle et que l’on regroupe sous le terme de « transfert radiatif ». Le rayonnement reçu par notre planète dépend de plus des mouvements de la Terre sur son orbite et même de l’évolution de cette orbite – sur plusieurs centaines de milliers d’années.
Le transfert radiatif nécessite de connaître les composants de l’atmosphère : quelles sont les molécules présentes ? comment absorbent-elles et réémettent-elles les différents rayonnements ?
La composition de l’atmosphère dépend de l’altitude, des vents et des sources d’émissions ou de piégeage des composés chimiques, par exemple du dioxyde de carbone ou du méthane, à des échelles régionales. On a donc une structure complexe en 3D qui évolue dans le temps, avec à la fois des structures verticales et des structures horizontales.
Enfin, pour modéliser l’absorption, l’émission et la diffusion de la lumière visible, infrarouge, ultraviolette par les molécules de l’atmosphère, il faut étudier les molécules elles-mêmes, par des travaux expérimentaux et théoriques en laboratoire, ainsi que les réactions chimiques entre les molécules car elles modifient la composition atmosphérique.
Premier défi : mesurer le système Terre dans sa complexité
Ces travaux reposent par conséquent sur de nombreux défis scientifiques et technologiques. Ils impliquent des scientifiques de nombreux domaines : des climatologues bien entendu, mais également des géologues, des physiciens et des chimistes.
Il faut tout d’abord mesurer, partout et tout le temps, les conditions physiques (température, pression) et chimiques de l’atmosphère. Ceci est effectué via des mesures au sol depuis des appareils répartis sur l’ensemble du globe, mais aussi embarquées sur des avions, des ballons stratosphériques et des satellites.
Au cours des 50 dernières années, l’apport du domaine spatial a été absolument décisif sur ce sujet. Aujourd’hui, un grand nombre de satellites auscultent en permanence l’ensemble des points du globe, en mesurant les températures, les espèces chimiques, l’évolution des glaces, de la couverture nuageuse, etc. Ces outils sont extrêmement précieux et indispensables. Ils fournissent une quantité considérable de données qu’il convient de collecter, d’analyser et de modéliser.
Par ailleurs, comprendre le climat d’aujourd’hui et de demain implique également de bien comprendre le passé de notre planète. C’est là qu’interviennent les géologues qui peuvent, grâce à l’étude des roches ou des glaces – en Antarctique par exemple, reconstituer l’histoire des climats passés sur des millions d’années. Ils le font en collaboration avec les astronomes qui, eux, reconstituent l’évolution de l’orbite terrestre, ainsi que l’activité solaire.
Deuxième défi : comprendre ces mesures grâce aux outils expérimentaux et numériques de laboratoire
Au sein de ce grand ensemble de recherches sur le climat, les travaux effectués dans notre équipe se situent à la base : il s’agit pour nous de comprendre les interactions entre molécules et rayonnement (du Soleil par exemple). Cette compréhension est cruciale et doit être très précise. En effet, nos modèles, destinés à prédire comment les molécules vont absorber et émettre de la lumière (ce qu’on appelle la « spectroscopie moléculaire ») sont ensuite injectés dans les calculs de transfert radiatif, qui sont eux-mêmes inclus dans les modèles atmosphériques à l’échelle planétaire.
Les erreurs se propageant d’étape en étape dans ces travaux, on comprend que de petites imprécisions, par exemple sur l’absorption de rayonnement infrarouge pour une molécule donnée, puissent avoir des conséquences importantes et changer les conclusions sur l’évolution climatique à long terme.
Les composants atmosphériques sont de trois types. Il s’agit tout d’abord des deux molécules de base constituant l’air : le diazote (78 %) et le dioxygène (21 %). Vient ensuite tout ce qui constitue le pour cent restant, qui est le plus important en termes de pollution et de climat : d’une part les composés réactifs, qui font évoluer rapidement la chimie atmosphérique (par exemple les composés favorisant la production ou la destruction de l’ozone) et, d’autre part les espèces chimiquement neutres, mais donc stables sur le long terme et qui vont très fortement absorber le rayonnement infrarouge et donc retenir la chaleur. Ce dernier type de molécules constitue ce que l’on appelle les gaz à effet de serre.
Les gaz à effet de serre les plus connus sont la vapeur d’eau (H2O) et le gaz carbonique (CO2). Mais d’autres sont également très importants, même s’ils ne sont présents qu’en très faibles quantités, car ils présentent une absorption infrarouge très forte et donc un pouvoir de réchauffement climatique puissant. Notre équipe de recherche s’est spécialisée dans l’étude de plusieurs d’entre eux, majoritairement d’origine humaine : le méthane (CH₄) en premier lieu, mais aussi différents gaz fluorés d’origine industrielle, comme l’hexafluorure de soufre SF₆ et le tétrafluorure de carbone CF₄.
La « propagation des erreurs »
En laboratoire, nos collègues expérimentateurs enregistrent, à l’aide d’appareils appelés spectromètres, et utilisant des techniques optiques variées, des données (des « spectres ») dans différentes conditions de température, de pression et de mélanges gazeux. Il nous revient alors d’analyser ces données et d’en extraire des modèles capables de reproduire les spectres sur une large gamme de conditions physiques et chimiques à l’aide de modèles basés sur des outils mathématiques complexes et de logiciels dédiés.
La précision des modèles, déterminée par la comparaison entre expérience et calcul, doit être très grande. En effet, les satellites mesurent de plus en plus précisément : alors le CO2 à quelques pour cent près il y a 20 ans, au dixième de pour cent aujourd’hui. On est face à un problème dit « de propagation des erreurs ». De petites erreurs sur la modélisation du spectre d’une molécule vont donner des erreurs plus importantes sur les mesures de sa concentration, qui vont entraîner des erreurs plus grosses encore sur les prédictions climatiques.
On pourrait croire que de petites molécules comme CH4 sont désormais bien connues depuis longtemps. Il n’en est rien. La modélisation globale de leur spectre à haute précision reste aujourd’hui un défi et les travaux sur le sujet sont loin d’être arrivés à leur terme.