Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
La science n'a pas toujours été qu'une affaire de scientifiques. Lavoisier, Newton, Franklin, Mendel, ne vivaient pas de leurs recherches, pourtant ils furent à l'origine de découvertes qui ont bouleversé l'histoire des sciences. Ecclésiastiques, commerçants, hommes politiques ou avocats, ces scientifiques de la première heure partageaient leur passion avec d'autres activités fortement ancrées dans la société.
Au fil du temps, la recherche s'est professionnalisée. Une trajectoire naturelle liée à l'accroissement des connaissances, à la nécessité d'études toujours plus longues pour les maîtriser et aux moyens toujours plus importants pour expérimenter et tester de nouvelles hypothèses scientifiques. Cette spécialisation a progressivement induit une distance entre les scientifiques et les citoyens.
Plus ou moins marquée selon les époques, cette distance était globalement importante à la fin du XXe siècle où les opportunités pour un scientifique d'échanger sur ses travaux avec un citoyen n'étaient pas si nombreuses : quelques créneaux dans les média et quelques lieux ou événements dédiés (cafés des sciences, journées portes ouvertes, fête de la science).
Ces dernières années ont toutefois été marquées par des évolutions, avec notamment la très forte croissance des publications scientifiques dans le champ des sciences et recherches participatives ; nous entendons par là « les formes de production de connaissances scientifiques auxquelles participent des acteurs de la société civile, à titre individuel ou collectif, de façon active et délibérée ».
Même si elles recouvrent des pratiques très variées, ces approches induisent un rapprochement entre les scientifiques et les citoyens. C'est le cas pour les projets s'appuyant sur la collecte massive de données par des amateurs, encore appelé crowdsourcing, et de manière encore plus intense pour des projets fondés sur une démarche de co-construction entre scientifiques et citoyens.
Cette nouvelle façon de faire de la recherche scientifique s'inscrit dans le mouvement plus vaste des mutations qui traversent les sociétés occidentales. Citons dans le désordre, la montée de la démocratie participative, l'augmentation du niveau d'éducation, la perception ambiguë de la science par la société (parfois vue comme source de progrès, parfois comme source d'inquiétude), la volonté des citoyens d'intervenir dans les débats scientifiques et l'accès facilité à l'information (Internet…) et à la formation (cours en ligne).
Ces considérations ne signifient pas que les approches participatives ont vocation à se déployer dans tous les champs de la science : elles sont bien adaptées à certains contextes, notamment ceux dans lesquels les chercheurs ont intérêt à créer – en lien avec leurs partenaires de la société civile – les conditions permettant de valoriser les différentes formes de compétences et de savoirs, scientifiques et empiriques. Bien encadrées, les démarches participatives apportent une réelle plus-value scientifique.
On leur doit par exemple des avancées importantes dans la compréhension des transformations qui agitent notre planète, et parmi elles, de belles études sur l'impact des changements globaux sur les dates de floraison des plantes, la reproduction des oiseaux ou de l'évolution de la biodiversité.
Institut de recherche finalisé, l'Inra a développé depuis longtemps des approches participatives, notamment au travers de recherches-action en lien avec des groupes d'agriculteurs et d'éleveurs. Ces démarches couvrent maintenant des pratiques et des domaines scientifiques très variés : agroécologie, agriculture urbaine, gestion des ressources naturelles, nutrition, etc. En voici trois exemples qui illustrent la démarche scientifique suivie dans différents contextes.
Des pâtes à la sauce participative
Impossible de faire des pâtes bio d'origine France, se lamente un industriel alors qu'au même moment un agriculteur regrette qu'il n'arrive pas à vendre son blé dur bio. La rencontre de l'industriel et de l'agriculteur dans la salle de réunion de l'Inra Mauguio en 2001 marque encore les esprits.
Le premier réclame des matières premières d'origine France, pour assurer sa politique de traçabilité. Le second veut vendre au juste prix son blé en cultivant les variétés de ses grands-parents. Depuis, ils ont appris à se connaître et ont invité d'autres agriculteurs, collecteurs, transformateurs, consommateurs et chercheurs à s'interroger sur la pérennité d'une filière blé dur française en agriculture biologique. Ils ont identifié les principaux verrous et lancé un programme de sélection participative qui associe des chercheurs de différentes disciplines (agronomie, génétique et amélioration des plantes, sciences sociales) et l'ensemble des acteurs de la filière.
Au cœur du Lauragais et de la Camargue, des ateliers dédiés permettent aux acteurs de discuter les variétés à cultiver et les filières de production à mettre en place. Une filière longue mobilise un réseau de fermes en agriculture biologique et des stations expérimentales pour produire des pâtes sèches biologiques d'origine France. Une filière courte implique agriculteurs et paysans pastiers pour sélectionner des variétés de blé dur et commercialiser en circuit court des pâtes fraîches (vente directe, partenariat avec un meunier local). En distinguant et articulant ces deux filières, l'ensemble des acteurs est reconnu et de nouveaux objets et partenariats sont valorisés
Une tactique participative anti-tiques
Où piquent les tiques ? Qui les tiques piquent-elles ? Des questions auxquelles il n'est pas aisé de répondre, et pourtant essentielles à l'amélioration de la prévention contre les maladies transmises par les tiques, dont la médiatique maladie de Lyme, qui posent d'importants problèmes en santé publique et vétérinaire.
Il y a beaucoup plus de non scientifiques que de scientifiques qui se font piquer par les tiques, dès lors, comment capter et valoriser l'énorme source d'informations détenue par les citoyens pour faire avancer plus vite les connaissances ? Faire travailler ensemble chercheurs et citoyens est la réponse apportée par le projet CiTIQUE.
Pour la première fois, encadrés par des chercheurs, les citoyens peuvent participer à l'effort de recherche, depuis la conception du projet, à la collecte et à l'observation des données, jusqu'à l'interprétation des résultats en passant par l'échantillonnage et l'expérimentation. Au cours de cycles de living lab à l’Espace des Sciences Pierre Gilles de Gennes, citoyens et chercheurs ont – pour commencer – participé à la conception d'une application smartphone destinée à collecter de nombreuses informations sur les piqûres et à inciter les citoyens à envoyer leurs tiques aux chercheurs.
Ce lien entre scientifiques et citoyens est renforcé grâce à un compte Twitter et un site web. Les citoyens ont immédiatement répondu présents à l'appel des chercheurs : seulement deux mois et demi après le lancement de l'application Signalement TIQUE, ce sont 25 000 téléchargements, 4 000 piqures signalées et quelques centaines de tiques reçues au laboratoire. Mais la participation des citoyens ne va pas s'arrêter là.
Dans le cadre de stages ouverts à tous au laboratoire Tous Chercheurs de Nancy, citoyens et chercheurs pourront bientôt travailler ensemble, construire de nouvelles questions de recherches et débattre avec des experts sur les controverses existantes et les nouvelles connaissances générées par le projet. Dans cette relation symbiotique que le projet CiTIQUE va contribuer à stimuler, chercheurs et citoyens vont construire une culture scientifique commune au bénéfice de la société et des malades contaminés par piqûres de tiques.
Pourquoi les arbres meurent ?
Les épisodes de sécheresse induisent le dépérissement et la mortalité de certains arbres, tandis que d'autres arbres survivent aux crises. La question se pose donc de savoir pourquoi. Certains font l'hypothèse qu'en situation de sécheresse, les arbres meurent de faim ; d'autres qu'ils meurent de soif.
Pour tester ces hypothèses, 80 collégiens ont participé pendant trois ans, de la cinquième à la troisième, au suivi de la survie de 1 000 hêtres répartis en trois conditions : hêtres témoins arrosés non défeuillés, hêtres non arrosés, hêtres arrosés et défeuillés. Chaque collégien était le parrain d'un arbre du dispositif expérimental.
Deux ans de suite, les élèves ont dû apprécier qualitativement l'état de santé de leur arbre et mesurer ses paramètres avant de procéder à sa défoliation pour simuler une privation de nourriture. Au cours de leurs visites sur le site de l'Inra, ils ont également participé à des ateliers de découverte des méthodes et outils utilisés pour suivre l'expérience, encadrés par des techniciens, chercheurs et étudiants. Arrivés en troisième, ils ont analysé l'ensemble des résultats avec les chercheurs pour départager les hypothèses émises en début de projet.
Ce projet, baptisé Survivors, était adossé à un projet de recherche de grande ampleur centré sur la question de la mortalité des arbres en forêt. Le travail réalisé avec les collégiens a permis de répondre à une question scientifique importante et a apporté des connaissances qui seront utiles pour les gestionnaires forestiers. Une aventure scientifique et humaine unique qui a significativement enrichi le parcours et la réflexion de l'ensemble des acteurs du projet sur les questions de rapprochement entre science et éducation et entre science et société.
Sources d'innovations scientifiques
De ces exemples et d'autres projets participatifs menés à l'INRA, il est possible de tirer quelques constats. Ces façons de produire des connaissances nécessitent généralement l'ouverture d'espaces de dialogue « hybrides » entre des chercheurs et des non scientifiques issus de la société civile. Gourmandes en temps, ces phases d'échange sont toutefois très importantes : elles permettent aux différents acteurs de mieux se connaître, d'apprendre à se faire confiance, mais aussi de clarifier le vocabulaire de travail et les priorités communes. Cet investissement en temps peut parfois être un facteur limitant, notamment pour des organisations où les ressources humaines sont limitées.
En retour, les démarches participatives peuvent être sources de solutions pertinentes pour la société, par exemple au travers d'innovations technologiques ou organisationnelles. Elles permettent parfois de collecter des données impossibles à obtenir autrement, et elles peuvent également faire émerger des questions de recherche nouvelles.
Bien entendu, la mise en œuvre de telles démarches nécessite un savoir-faire spécifique, notamment pour assurer dans la durée la mobilisation de l'ensemble des acteurs impliqués – ayant parfois des intérêts divergents.
Enfin, ces démarches impliquent de la part de chaque protagoniste une posture d'ouverture et d'écoute réelle. Car c'est l'assemblage pertinent des savoirs de chacun qui peut créer des plus-values originales, aussi bien scientifiques qu'opérationnels.