Selon la dernière enquête Malkoff-Médéric publiée en février 2019, 29 % des salariés français auraient désormais recours au télétravail de manière régulière ou occasionnelle. Et ce taux pourrait augmenter en cette fin d’année en fonction de la mobilisation contre le projet de réforme des retraites qui doit paralyser les réseaux de transports.
Si les télétravailleurs se révèlent majoritairement satisfaits et si de nombreux bénéfices sont perçus tant par les salariés que par les dirigeants, pour 56 % d’entre eux, l’inconvénient principal du télétravail concerne les difficultés à manager des collaborateurs à distance.
Il est en effet largement admis dans la littérature que la pratique du télétravail exige de concevoir et mettre en place de nouvelles méthodes de management et de nouvelles procédures. Pour le manager, il s’agit cependant aujourd’hui de gérer à la fois les salariés qui sont en télétravail mais aussi les collègues non-télétravailleurs afin d’organiser et d’intégrer le télétravail dans le fonctionnement global de son service. Et si les nouvelles pratiques de management induites par le télétravail se révélaient finalement comme un levier du management de toute l’équipe ?
Nous présentons dans cet article une synthèse en six C.
Cadre
Selon les consultants Patrick Bouvard et Patrick Storhaye, « le management c’est avant tout l’établissement de règles claires et communes qui fixent les limites, marge de manœuvre et responsabilité de chacun au sein de l’équipe ». Dans le cas du télétravail, au-delà du respect des règles contenues dans la charte ou l’accord télétravail de l’entreprise lorsqu’il en existe un, la première tâche du manager consiste ainsi à instaurer un cadre clair, connu par l’ensemble de l’équipe en amont. Il peut s’agir par exemple de définir des règles de répartition des jours de télétravail dans le service, de fixation des plages de disponibilité du télétravailleur… Un temps de travail présentiel minimum dans les locaux de l’entreprise peut également être défini, afin notamment de planifier des temps collectifs. Par exemple, « un jour commun sans télétravail a été instauré afin de placer la réunion d’équipe hebdomadaire », témoigne une télétravailleuse hébergée dans l’un des télécentres de Cybercantal tiers-lieux (situé sur le site universitaire d’Aurillac dans le Cantal), interviewée dans le cadre de la réalisation d’un cours en ligne.
Communication
L’absence de proximité incite la spécialiste des ressources humaines Hannah Besser à préconiser dans son livre Managez à distance de « mettre en place d’autres formes de contact et d’animation des collaborateurs ». En effet, même – et peut-être surtout – en télétravail, le salarié doit rester en contact avec son manager et avec le reste de son équipe. Mettre en place les outils de communication adéquats est un prérequis à la réussite du télétravail.
Afin de pouvoir échanger à tout moment avec ses collègues, son manager ou encore ses clients, les bons outils comprennent au minimum un ordinateur avec les logiciels adéquats ainsi qu’un accès aux documents et données de l’entreprise, un smartphone ou un téléphone fixe sur le lieu du télétravail, une messagerie interne éventuellement instantanée, des outils de visio ou de web conférence. L’accès à des fonctionnalités de partage des agendas constitue également une réelle plus-value afin de connaître la disponibilité des collègues.
Confiance
Dans la littérature, la confiance est largement considérée comme un critère essentiel de sélection des collaborateurs distants, mais aussi comme l’une des missions les plus importantes à gérer par les managers. Le manager aura d’autant plus confiance si le salarié est autonome dans la réalisation de son travail.
Selon les auteurs du courant du management situationnel, l’autonomie d’une personne s’entend comme le croisement de la compétence et de la motivation. C’est en examinant notamment ces deux points lors de la demande de télétravail que le manager décidera d’accorder à son salarié cette possibilité. S’il pense que le salarié dispose du professionnalisme suffisant pour exercer sa mission à distance et s’il le sent prêt à s’investir pour y parvenir, le manager n’a alors aucune raison de ne pas faire confiance à son subordonné. Dans le cas contraire, des formations pourront être proposées au collaborateur selon les motifs du refus.
Contrôle
La question du contrôle reste sans doute la plus discutée dans le cas du télétravail et c’est celle qui pose naturellement le plus de problème aux managers. S’il est largement admis que la supervision et le contrôle directs ne conviennent pas à la gestion des télétravailleurs, les auteurs s’accordent sur le fait que la gestion par les résultats convient mieux au travail à distance. Le management par objectif, prôné par le célèbre théoricien américain Peter Drucker dès 1954, semble ainsi particulièrement adapté au télétravail.
Le manager doit instaurer une méthode de suivi pour apprécier le travail effectué et se mettre d’accord en amont sur les objectifs, les critères d’évaluation et les rendus à produire par le salarié. Ce suivi doit cependant être raisonnable et proportionné au nombre de jours télétravaillés.
Comme le souligne une télétravailleuse interrogée, une tentation consiste à « vouloir contrôler davantage le salarié en télétravail. Or, il n’y a pas de raison ! On demande rarement à un salarié présent dans l’entreprise de faire un rapport quotidien de ses activités ». Dans son entreprise, les outils de reporting déployés pour le suivi des télétravailleurs ont même été étendus aux non-télétravailleurs.
Cohésion (d’équipe)
Pour un manager, il est important de maintenir la cohésion de son équipe malgré l’absence physique de certains collaborateurs. Pamela J. Hinds et Mark Mortensen, respectivement professeur à Stanford et au MIT, ont en effet démontré que « les équipes dispersées peuvent notamment souffrir de problèmes de coordination, de crises de confiance et/ou d’une dynamique de groupe négative ».
Le partage d’un planning collectif visible par tous constitue un premier outil simple à déployer. Pas nécessairement informatisé, mais au contraire affiché dans le service, il permet de visualiser les jours de présence physique et les jours en télétravail de chaque collaborateur mais aussi les absences de chacun (temps partiel, formations, congés, etc.).
« Dans mon entreprise, nous indiquons sur ce planning les numéros de téléphone auxquels les télétravailleurs sont joignables », témoigne cet autre interviewé. Il est également important de ne pas oublier les télétravailleurs dans les e-mails ou les convocations aux réunions et de maintenir des liens au sein de l’équipe en organisant des rencontres régulières entre tous les membres du service.
Collègues (non-télétravailleurs)
Le télétravail n’est cependant pas l’affaire des seuls télétravailleurs : il concerne l’ensemble des salariés de l’entreprise qui doivent travailler collectivement. Le manager doit ainsi aussi gérer les salariés qui ne sont pas en télétravail et ont parfois une mauvaise image des télétravailleurs.
La CARSAT Nord-Picardie (Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail) souligne l’importance de s’intéresser à la perception des salariés non-télétravailleurs et à l’impact du télétravail sur leur charge de travail. L’Observatoire de la parentalité en Entreprise donne pour sa part des conseils au « télémanager » vis-à-vis des collègues non-télétravailleurs.
Il est notamment important de communiquer avec eux sur le principe du télétravail, de les former aux outils collaboratifs et de les sensibiliser sur le fait que les télétravailleurs sont bien présents au travail, même si à distance. Afin de ne pas se créer de surcharge de travail, les collègues doivent les solliciter normalement et ne pas répondre à leur place mais leur rediriger les demandes qui les concernent.
Avec près d’un tiers des salariés régulièrement ou occasionnellement absents physiquement de l’entreprise, c’est désormais toute l’organisation qui est impactée par le développement du télétravail. Les pratiques préconisées pour répondre à la problématique du management du télétravail peuvent ainsi permettre au manager de diriger de manière plus efficace l’ensemble de son équipe et chacun de ses membres.