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Une pancarte électorale vandalisée
La pancarte d'un candidat du AfD est vandalisé à Saxony-Anhalt, en Allemagne, durant la campagne électorale. Le parti d'extrême-droite, sous les feux de la rampe, n'a pas fait le score auquel ses partisans s'attendaient lors des élections du 26 septembre. (AP Photo/Markus Schreiber)

L’extrême droite a reculé aux dernières élections en Allemagne. Voici ce que cela signifie

L’élection allemande du mois de septembre a marqué la fin de l’ère Merkel, qui a débuté 16 ans plus tôt, en 2005. L’ex-chancelière a été un important élément de stabilité en Europe.

Cette élection s’est déroulée dans un contexte où les projecteurs étaient braqués sur la performance de Alternative für Deutschland (AfD), une formation dans la nébuleuse des droites radicales en Europe.

Or, le score de l’AfD a été décevant, tout comme celui de la droite dans son ensemble. Que nous apprend ce recul ?

Professeur de sociologie politique à l’UQAM, mes recherches actuelles portent sur les dynamiques nationalistes au Canada, au Québec et en Europe de l’Ouest, ainsi que sur les populismes de droite. Je publie ce mois-ci l’ouvrage « Entre peuple et élite. Le populisme de droite », aux Presses de l’Université de Montréal.

Une femme au centre

La formation politique de Merkel, l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU), est à droite de l’échiquier politique, notamment en matière de politique économique.

Sur plusieurs enjeux, cependant, Merkel gouvernait davantage au centre. Sous sa gouverne, le recours aux énergies renouvelables a progressé alors que l’énergie nucléaire a reculé ; l’accueil des réfugiés syriens en 2015 a été nettement supérieur à celui des pays voisins réunis ; le mariage homosexuel a été autorisé en 2017 en dépit de l’opposition de plusieurs membres de sa formation et de l’Union chrétienne-sociale. Les Allemands des classes moyennes continuent de profiter de politiques familiales enviables.

Angela Merkel entourée de gens qui l’applaudissent
L’ex-chancelière allemande Angela Merkel est applaudie par des membres de son parti, le CDU, dont le chef, Armin Laschet, lors de la soirée électorale du 26 septembre. Le CDU a connu le pire résultat de son histoire. (AP Photo/Martin Meissner)

En adoptant plusieurs positions libérales, Merkel a généré un espace vide dans la case droite identitaire du champ politique. C’est cet espace que le parti de droite radicale, AfD, a occupé en allant chercher 13 % du suffrage en 2017.

Un recul de la droite

L’élection de septembre 2021 n’a cependant pas permit à l’AfD de poursuivre sa croissance.

Pourtant, les résultats de l’élection indiquent qu’une partie de l’électorat était prête à passer à autre chose que le CDU/CSU, qui a obtenu le pire résultat de son histoire en tombant sous 25 % du suffrage. Le Parti Social Démocrate de Olaf Scholz a terminé en tête avec 25,75 % du suffrage. Les Verts (14,8 %), les Libéraux (11,5 %) et l’AfD (10,3 %) suivent dans l’ordre, alors que la formation de gauche Die Linke est tombée sous le seuil de 5 % du suffrage.

Une femme et deux hommes debout, devant un mur blanc
Les leaders des trois formations annonçant qu’ils souhaitent former une coalition pour gouverner l’Allemagne : au centre, Olaf Scholz, du PSD, à gauche, Annalena Baerbock, des Verts, et à droite, Christian Lindner, du FDP, le 15 octobre, à Berlin. (AP Photo/Markus Schreiber)

Cette élection constitue donc un recul pour les partis de droite (CDU/CSU, AfD), mais aussi une rupture avec l’époque où les deux grands partis, le SPD et le CDU se partageaient près de 75 % de l’électorat. On pourrait assister à une période où des alliances plus compliquées, à trois joueurs, seront nécessaires à la formation d’un gouvernement.

L’AfD dans la constellation européenne des droites radicales

L’AfD est une formation de droite radicale. Ces formations font désormais partie du paysage politique européen. Elles prônent des solutions nativistes et autoritaires aux problèmes sociaux et utilisent le populisme comme véhicule politique.

Elles déploient donc trois axes de polarisation : un premier oppose les nationaux aux « étrangers » ; un second oppose les tenants de l’ordre aux tenants d’une culture libérale ; et un troisième oppose le peuple, considéré comme moral et authentique, aux élites corrompues. La combinaison de ces trois axes de polarisation valorise un groupe imaginé comme le cœur authentique, autant sur le plan ethnique que moral, de la nation. Sur le plan économique, ces formations tendent à épouser un nationalisme économique à géométrie variable.

La période où ces partis étaient perçus comme des anomalies passagères des systèmes électoraux des démocraties libérales est terminée. Elles sont désormais bien implantées et il n’est plus rare de les voir remporter de 20 à 25 % du suffrage exprimé. L’AfD ne semble cependant pas en mesure de remporter un tel succès au niveau national.

Des luttes internes menant à plus de radicalisme

L’AfD est une coalition de plusieurs factions, dont les luttes internes ont mené au départ de plusieurs de ses têtes d’affiche.

Ces luttes ont tendance à être remportées par les tenants d’une ligne anti-immigration, beaucoup plus radicale. Une crise du parti en 2015 a mené au départ de Bernd Lucke, un conservateur plus classique. Il a été remplacé par Frauke Petry, alors appuyée par des acteurs particulièrement hostiles à l’immigration musulmane.

Le passage à Petry marque aussi un alignement plus assumé sur Moscou, une plus grande hostilité à l’UE et un rapprochement avec le mouvement de rue anti-musulman Pegida. Le débat sur l’accueil des réfugiés en 2015 a permis au parti de faire des gains substantiels.

L’élection de 2017 a été marquée par une autre importante crise interne. Frauke Petry, dénoncée pour son pragmatisme électoral, est remplacée par le tandem encore plus à droite formé de Alexander Gauland et de Alice Weidel.

Trois hommes et une femme déambulent dans la rue
La co-leader de l’AfD, Alice Weidel et le porte-parole de la formation, Tino Chrupalla, arrivent, tout sourire, à une conférence de presse au lendemain des élections, le 27 septembre, à Berlin. (AP Photo/Matthias Schrader)

Une stratégie non concluante

Pour les partisans de l’AfD, l’opposition à l’immigration était devenue synonyme d’opposition à Merkel. Les formations de droite radicale ont tendance à personnaliser l’objet de leur colère. Or, cela peut leur jouer un tour quand le leader honni quitte son poste. Un peu comme le charisme ne se transmet pas facilement d’un leader à son successeur, le capital de haine investie au fil du temps dans une figure politique ne se transfert pas automatiquement à l’égard de la personne qui lui succède.

En dépit de la présence importante du mouvement conspirationniste Qanon en Allemagne et de fortes mobilisations de rues contre les mesures sanitaires, l’AfD n’est pas parvenue a créé une polarisation à son avantage autour de cet enjeu. Une coalition d’influenceurs anti-vaccins et libertariens, en marge du parti, est surtout parvenue à retenir l’attention du service de renseignement allemand. Puis, la tentative du parti de mobiliser l’électorat autour de la question de l’accueil des réfugiés afghans ayant aidés les militaires allemands en Afghanistan ne semble pas avoir créé les effets escomptés non plus.

Une fracture est-ouest

Le vote de l’AfD est concentré essentiellement dans certaines régions de l’ancienne Allemagne de l’est, en Saxe et en Turingue, notamment, où il rejoint près d’un électeur sur quatre, contre 8,2 % du suffrage à l’ouest.

Comme l’ensemble des formations de droite radicale, son vote est plus rural qu’urbain et plus masculin que féminin, quoique ce gender gap n’est pas particulièrement prononcé dans le cas de l’AfD. Une étude sur l’électorat est-allemand indique un sentiment très répandu de marginalisation. Les Allemands de l’est sont en effet nombreux à se considérer comme des citoyens de seconde classe dans leur propre pays. Pour plusieurs, la réunification allemande a été vécu comme un processus de colonisation interne de l’est par l’ouest.

Il n’est pas rare qu’il y ait une forte concentration régionale du vote de droite radicale. En Italie, la Lega (Ligue du nord) s’est longuement nourrie des préjugés à l’égard des Italiens du sud, jugés improductifs, parasitaires et paresseux. Pour devenir une formation nationale, la Lega de Matteo Salvini a redéployé son narratif, sans en changer fondamentalement le contenu, mais en accentuant sa critique de la dite bureaucratie de l’Union européenne, plutôt que la population du sud de l’Italie. Cela lui a valu un certain succès.

L’AfD pourrait-elle effectuer un virage similaire ?

L’AfD peut-elle devenir une formation nationale ?

Comme aux États-Unis, en Angleterre et en France, il y a en Allemagne d’importants foyers de désindustrialisation où les transformations du marché du travail alimentent des dynamiques de déqualification professionnelle et de sentiments favorables aux mouvements qui promettent une rupture avec le système en place.

Cependant, l’ampleur des bouleversements sociaux, politiques et culturels vécus par les Allemands de l’est de cinquante ans et plus a peu en commun avec ce qu’ont connu d’autres régions du monde occidental.

Ces citoyens ont vu une nouvelle société croître au sein de la leur. Lors du processus de réunification, leurs repères, leurs noms de rues, leurs aspirations, leurs qualifications, sont devenus des marchandises destinées au marché de la consommation nostalgique. Le sentiment de méfiance, d’humiliation, d’aliénation ressentie à l’égard de l’Ouest par plusieurs Allemands de l’est est difficilement transposable dans le cadre d’une nationalisation du parti. Les plus jeunes électeurs y sont moins sensibles. Ils ont voté en plus forte proportion pour les Libéraux et les Verts, plutôt que pour les autres formations, dont l’AfD.

Vers une violence d’extrême droite ?

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’AfD a toujours été une formation passablement eurosceptique. En 2015, elle espérait fortement voir la Grèce de Syriza quitter la zone euro. Pour les économistes près de l’AfD, l’Allemagne ne devrait pas avoir à payer pour les « États improductifs » du sud de l’Europe.

Le recul de l’AfD n’est cependant pas synonyme d’un recul des mouvements d’extrême droite en Allemagne. Il y aurait plus de 13 000 activistes de cette mouvance en RFA. Le groupe Les Citoyens du Reich, qui ne reconnaît pas l’autorité de la République fédérale, comptait environ 19 000 supporters au moment de son interdiction en 2020. L’Allemagne est le pays où la violence d’extrême droite a connu la plus forte croissance entre 2016 et 2018.

Ces groupes en constante réorganisation pourraient gagner en popularité dans un contexte où la voie électorale leur semble bloquer.

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