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Des eaux de crue de faible niveau s'infiltrent dans une rue de Rigaud, samedi le 4 avril 2020, alors que la neige commence à dégeler. La Presse Canadienne/Graham Hughes

Limite à vie sur les inondations : vers un nouveau pacte social ?

Dans la foulée des inondations printanières majeures de 2011 et 2017, le gouvernement du Québec a annoncé une refonte importante de son programme d’aide financière aux sinistrés en avril 2019, au moment même où de nouvelles crues exceptionnelles provoquaient des inondations dans le sud de la province.

Toutefois, une importante composante de cette refonte est passée presqu’inaperçue : la limite à vie sur les inondations successives. Et pour les sinistrés du printemps 2019, le compteur sur cette limite est déjà démarré…


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Les principaux changements au programme d’aide financière

Avant avril 2019, chaque inondation était traitée de façon indépendante. Pour les dommages au bâtiment (résidence principale) par exemple, l’indemnité était fixée à 90 pour cent de la valeur à neuf du bâtiment jusqu'à un maximum de 200 000 dollars. Il était donc possible de réparer ou reconstruire sa propriété à chaque inondation et toucher plusieurs fois une indemnité similaire.

Depuis avril 2019, il faut désormais différencier la première réclamation des réclamations suivantes. Lors de la première réclamation, l’indemnité maximale pour les dommages au bâtiment est également fixée au minimum entre 200 000 dollars ou 90 pour cent de la valeur à neuf du bâtiment. Toutefois, lorsqu’on a touché à une première indemnité, peu importe le montant, le compteur sur la limite à vie démarre. Chacune des réclamations suivantes est alors déduite à partir de la limite de 100 000 dollars jusqu’à épuisement.

Le sinistré a donc le choix de rester et assumer le risque des inondations futures mais il peut également toucher une indemnité supplémentaire et ultime pour (1) immuniser (protéger), (2) relocaliser le bâtiment ou (3) démolir le bâtiment (sous forme d'indemnité de départ).

Les sinistrés des inondations du printemps 2019 ont fait leur première réclamation: les dommages engendrés par les inondations futures seront déduits de cette limite à vie.

Une scène prise à Montréal lors des inondations majeures qui ont frappé le Québec au printemps 2019. Les sinistrés de ces inondations ont fait leur première réclamation: les dommages engendrés par les inondations futures seront déduits de cette limite à vie. Shutterstock

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Quels sont les coûts des inondations futures?

On ne peut évidemment pas prédire quand les inondations surviendront et combien elles pourraient coûter dans le futur. Toutefois, nous pouvons simuler des scénarios hypothétiques d’inondations sur un long horizon de temps, calculer les coûts dans chacun de ces scénarios et déterminer à quel point ces scénarios sont vraisemblables ou non.

C’est le travail que nous avons fait dans le cadre d’une étude des impacts de la limite à vie sur les finances des ménages, basé sur un manuscrit de recherche du même nom écrit avec Michaël Bourdeau-Brien.

Le risque d’inondation est habituellement exprimé en fonction de ce qu’on appelle une période de récurrence. On dit qu’un bâtiment est situé dans une zone 0-20 ans, ou de récurrence 20 ans, lorsqu’une inondation survient en moyenne une fois aux 20 ans (lorsqu'observé sur une très longue période de temps) ou avec une probabilité annuelle de 5 pour cent.

Par conséquent, une inondation ne revient pas forcément une fois aux 20 ans de façon cyclique. Dans ce contexte, on peut très bien subir deux inondations en deux ans (ce qui est très malchanceux) ou ne subir aucune inondation en 50 ans (ce qui est très chanceux)!

Dans notre étude, nous avons analysé les coûts des inondations sur un horizon de 25 ans, durée qui correspond à la période d’amortissement typique d’une hypothèque au Canada. Il y a deux composantes aux coûts futurs : le nombre d’inondations et les dommages engendrés pour chacune des inondations.

Deux hommes discutent alors que les eaux de crue de faible niveau s'infiltrent dans une rue de Rigaud, à l'ouest de Montréal, le 4 avril, alors que la neige commence à dégeler. La Presse Canadienne/Graham Hughes

Tout d’abord, nous avons calculé qu’une maison située dans une zone 0-20 ans a plus de 70% de chance d'être inondée en 25 ans dont plus de 35% de chance d’être inondée à plus d’une reprise.

Puis, les dommages subis à chaque inondation dépendent grandement de la hauteur du premier plancher. En effet, les coûts de reconstruction augmentent rapidement lorsque l’eau atteint le rez-de-chaussée.

Nous avons distingué deux cas : un bâtiment d'une valeur de 250 000 dollars où l’eau entre d’abord par le sous-sol et un bâtiment similaire où l’eau atteint plutôt directement le premier plancher.

En supposant que le bâtiment et ses biens sont réparés ou reconstruits à chaque inondation, les coûts totaux moyens sur 25 ans sont d’environ 50 000 dollars et il y a une chance sur 10 que les coûts dépassent 100 000 dollars dans le premier cas. Toutefois, dans le deuxième cas, les coûts totaux moyens sur 25 ans triplent et peuvent atteindre environ 175 000 dollars. Il y a même une chance sur 10 que les coûts dépassent 400 000 dollars.

Les coûts des inondations successives peuvent donc être très importants, illustrant du même coup toute la pertinence pour le gouvernement d'encourager ses citoyens à immuniser ou relocaliser le bâtiment ou déménager afin d'éviter ces pertes futures.

Quels sont les impacts d’une limite à vie sur les inondations successives?

Nous avons ensuite calculé la probabilité que la limite à vie soit atteinte à l'intérieur d'une période de 25 ans. Pour un riverain habitant dans une zone 0-20 ans, il y a une chance sur 10 d’atteindre la limite à vie pour le premier type de bâtiment et 7 chances sur 10 dans le deuxième cas. Or, lorsque la limite est atteinte, le sinistré doit alors piger dans ses économies personnelles ou réemprunter. En moyenne, il doit s’attendre à verser 70 000 dollars dans le premier cas (au-delà des indemnités limitées versées par le gouvernement), et plus de 150 000 dollars dans le deuxième cas. Il est important de noter que ces valeurs sont des moyennes. Les coûts réels peuvent être plus ou moins élevés.

Il ne faut donc pas s’étonner que la limite à vie accentue le stress financier sur les ménages et pourrait accroître le risque de défaut dans les dix premières années d’une hypothèque lorsque l’emprunt est élevé par rapport à la valeur de la propriété.

Donc à moins de pouvoir compter sur des économies importantes, il est raisonnable de croire que le risque d’insolvabilité est sous-estimé car le programme d’aide financière couvre seulement les réparations et les biens dits essentiels, en-deçà des dommages directs réels. Et les coûts indirects comme la perte de salaire et les problèmes de santé qui peuvent survenir ne sont pas comptabilisés. Par ailleurs, les changements climatiques pourraient augmenter la récurrence des inondations dans certaines régions du Québec.

La refonte du programme d’aide financière aux sinistrés d’avril 2019 marque un changement important dans la gestion des inondations au Québec. En transférant une partie significative des coûts des inondations futures sur les riverains tout en les encourageant à immuniser, voire déplacer leur propriété, le gouvernement du Québec a clairement créé un nouveau pacte social avec ses citoyens.

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