Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la plupart des pays européens n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’emploi de 2019. Néanmoins, la reprise post-Covid s’accompagne de tensions sur leur marché du travail. Le Royaume-Uni, Brexit oblige, manque de transporteurs routiers à la suite du durcissement des conditions d’entrée des travailleurs en provenance de l’Union européenne (UE). La France élabore, de son côté, un plan de requalification d’actifs pour pallier la pénurie de main-d’œuvre affectant notamment le bâtiment et l’hôtellerie.
Quant à l’Allemagne, dixit Detlef Scheele, président de l’Agence fédérale du travail, elle devrait accueillir 400 000 immigrés par an pour répondre aux besoins dans certains secteurs : industrie, artisanat, technologies de l’information et de la communication… Il ajoutait que le nombre de personnes en âge de travailler et en capacité d’occuper des emplois stables (hormis donc les élèves, les étudiants, les personnes en formation et les inactifs adultes) aurait baissé de 150 000 cette année.
Cette double annonce, fin août, a suscité de vifs débats avant les élections fédérales du 26 septembre dernier. Elle intervenait après l’entrée en vigueur, le 1er mars 2020, d’une loi assouplissant l’accès au marché du travail allemand pour les travailleurs qualifiés des pays extra-européens : pour peu qu’ils disposent d’une promesse d’embauche et d’une équivalence de leurs diplômes ou formation qualifiante en Allemagne, la possibilité d’y résider durablement leur est offerte.
La persistance du déficit naturel
Les affirmations de M. Scheele peuvent étonner quand on sait que l’Allemagne a déjà accueilli en 2015, déduction faite des sorties, plus d’un million d’étrangers, dont un tiers d’Afghans et de Syriens, et un autre tiers issu d’Europe de l’Est et des Balkans. Le surplus migratoire (entrées moins sorties, immigrés et Allemands confondus) ne compenserait-il donc plus le « déficit naturel » (naissances moins décès) ?
En 2020, ce déficit naturel est tout juste compensé par le « surplus migratoire » (graphique 1). Même en lissant sur trois ou quatre ans le pic migratoire de 2015 pour tenir compte des difficultés d’intégration initiales, on devrait inéluctablement enregistrer une baisse de ce ratio.
Dans la décennie 2010, la population en Allemagne a crû au total de 1,7 %. Les résidents qui ont la nationalité allemande ont vu leur nombre diminuer de 2,7 % et ceux qui ne l’ont pas (dits « étrangers » dans les statistiques fédérales) augmenter de 47 %. Les 10,6 millions d’étrangers recensés en 2020 constituent 13 % de la population totale (tableau panel A). C’est parmi les habitants en âge de travailler (15-65 ans) qu’ils sont relativement les plus nombreux (15 %, tableau panel B).
Sans immigration, la force de travail décroît
Depuis 2010, la population en âge de travailler a légèrement diminué, de 197 000 personnes : l’apport de 2,4 millions de personnes étrangères n’a pas tout à fait comblé la perte de 2,6 millions de nationaux dans cette classe d’âge (graphique 2.B). Cette tendance se poursuivra. En effet, dans cette classe d’âge, 64 % des étrangers et seulement 44 % des « Allemands » ont moins de 41 ans. Et le nombre d’étrangers s’accroît aussi parmi les moins de 14 ans, tandis que le nombre des Allemands stagne après avoir diminué (graphique 2.A). La dynamique est inverse chez les seniors où les Allemands représentent, de surcroît, 95 % des plus de 65 ans (graphique 2.C et tableau B).
Une politique active de recrutement
Selon Destatis, l’équivalent allemand de l’Insee, la part des étrangers parmi les apprentis en Allemagne a plus que doublé en dix ans (11 % actuellement) ; en 2020, ils étaient employés principalement dans des branches « en tension » comme l’artisanat, l’électromécanique ou la vente. S’accroît aussi (de 5 % en 2019) le nombre d’immigrés qui se voient reconnaître en Allemagne les diplômes et qualifications qu’ils ont obtenus à l’étranger et peuvent, dès lors, y travailler ; deux tiers des personnes étrangères travaillant dans le secteur de la médecine qui se présentent à ses frontières sont ainsi autorisés à y exercer.
Face au défi démographique qui se pose à l’Allemagne et aux peurs de déclin qu’elle nourrit en son sein, le pouvoir politique, en accord avec le patronat, s’emploie ainsi activement à attirer la main-d’œuvre qualifiée étrangère qui lui est nécessaire. C’est un autre défi par ces temps où les tensions sur le marché du travail qualifié sont mondiales.