Intuitivement, on devine facilement que le réchauffement climatique est une cause essentielle de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des feux de forêt. Ce qui est moins évident en revanche, c’est que la gestion qui a été faite jusqu’à présent de ces catastrophes naturelles a également joué un rôle dans cette intensification. En prévenant et en éteignant très efficacement tous les feux de forêt, les pompiers ont, bien malgré eux, créé les conditions idéales pour une telle amplification du phénomène.
En effet, ce que nous ne savions pas il y a quelques années, c’est que le feu joue un rôle primordial dans la régénération de l’écosystème. Il s’agit d’un processus naturel se produisant périodiquement dans le cycle de succession de la végétation : les végétaux les plus âgés et donc plus inflammables sont brûlés, ce qui laisse place à de nouveaux individus. Le caractère périodique de ce phénomène a été perturbé par l’activité humaine, y compris la lutte contre les incendies : le développement excessif du sous-bois, protégé des feux par les interventions des pompiers, perturbe l’écosystème et favorise des incendies plus nombreux et plus étendus.
Aujourd’hui, les professionnels de la lutte contre les incendies font un constat alarmant : les feux, toujours plus nombreux, toujours plus intenses, sont devenus très difficiles à maîtriser. On parle de mégafeux, presque impossibles à éteindre. 2019 a été l’année de tous les records et les récentes catastrophes en Amazonie, Indonésie, Australie et même en Arctique ont permis au monde entier de réaliser que les incendies sont désormais un enjeu sécuritaire et écologique majeur.
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Face à ces phénomènes devenus ingérables, la prévention devient la solution idéale : en prévoyant la survenue des incendies, on peut anticiper leur gestion et les maîtriser avant qu’ils ne dégénèrent, tout en prenant en compte leur rôle naturel de régulation de la végétation.
Forts de ces expériences, pompiers et scientifiques travaillent désormais main dans la main à des solutions préventives qui tentent de prendre tous les paramètres en compte afin de mettre en place une gestion de court et long termes des feux de forêt. Ils s’offrent à cet effet les services d’un allié de poids : l’intelligence artificielle.
Quelle est la plus-value de l’intelligence artificielle ?
Dans un laps de temps très court, elle va être capable de réaliser des milliards de calculs qui seraient inaccessibles autrement pour une équipe de recherche, permettant aux scientifiques de comprendre et caractériser très rapidement les différents feux de forêt.
Quels feux sont nuisibles ? Lesquels sont nécessaires ? Où et quand vont-ils se déclencher ? Quelles seront leurs caractéristiques (vitesse de propagation, surface, volume, etc.) ?
L’interprétation par les scientifiques des résultats de ces calculs va leur permettre de donner de précieuses informations aux équipes de lutte sur le terrain.
Concrètement, comment ça marche ?
Tout comme l’Homme apprend à partir d’expériences, les modèles d’IA reposent sur l’apprentissage d’évènements passés.
Dans un premier temps, les chercheurs donnent à l’algorithme un historique des données décrivant les caractéristiques des incendies passés ainsi que les conditions météorologiques et de végétation qui y étaient associées.
À travers des principes mathématiques, et en s’appuyant sur cet ensemble de données, l’algorithme va rechercher des corrélations entre ces facteurs environnementaux et les différents types de feux. Il construit ainsi ce qu’on appelle un modèle, qui va servir de référence aux scientifiques pour faire des prédictions quant aux incendies à venir. Pour cela, ils indiquent au modèle les prévisions et estimations concernant les conditions météorologiques et végétales dans les zones observées. Sur cette base, l’IA retourne la probabilité de survenue d’un incendie, ainsi que ses caractéristiques.
Deux remarques importantes s’imposent. Tout d’abord, les performances d’un modèle d’IA reposent principalement sur la qualité, la fiabilité et la quantité de données à sa disposition. Ainsi, la création de ce genre de modèle demande au préalable aux scientifiques un travail colossal d’acquisition de l’information. Ils ont par exemple recours aux outils classiques de la météorologie et de la topographie, à des caméras à infrarouge, ou même des drones.
Par ailleurs, le modèle d’IA n’est pas infaillible et peut parfois commettre des erreurs. Ainsi pour le perfectionner, il est recommandé aux chercheurs de confirmer ou infirmer son appréciation à chaque prédiction. En cas d’erreur, le modèle l’intègre et affine son approche pour la suite.
Dans les faits, de nombreuses unités de recherche se sont lancées dans la création de tels modèles d’IA, utilisant différents types d’algorithmes. En voici quelques exemples :
Wifire Lab, une équipe américaine, a élaboré un logiciel d’IA qui utilise des techniques de traitement du signal pour modéliser des incendies en fonction des conditions météorologiques et de la combustibilité de la végétation.
Des chercheurs de l’Université de l’Alberta (Canada) et de l’Université de l’Oklahoma (États-Unis) utilisent des algorithmes de réseaux de neurones artificiels pour prédire le lieu et la date de survenue des conditions météorologiques extrêmes qui sont à l’origine des incendies les plus dévastateurs.
Des chercheurs de l’Université de Californie (États-Unis) utilisent un algorithme d’arbre de décision pour prédire la dimension finale d’un incendie.
Que faire de ces prédictions ?
Riches de ces prédictions, les équipes de lutte contre les incendies vont pouvoir adapter leurs interventions sur le terrain. Pour cela, elles peuvent effectuer des brûlages dirigés de sorte à protéger les espèces animales et végétales présentes sur les zones concernées tout en respectant le cycle naturel du feu. Elles peuvent également anticiper une évacuation des populations et/ou se munir en avance du matériel adapté aux caractéristiques du feu qu’elles attendent.
Ces dernières années, un changement a été amorcé dans l’approche de la gestion des incendies. Elle s’est enrichie d’une compréhension plus profonde des phénomènes à l’œuvre, et l’intelligence artificielle s’est révélée être un allié précieux pour l’Homme dans cette démarche. Sans pour autant pouvoir le remplacer, elle l’accompagne vers plus d’harmonie avec son environnement.