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L’attaquant madrilène Karim Benzema célèbre le but de la qualification contre Manchester City en demi-finale retour. Javier Soriano / AFP

Liverpool–Real Madrid, une finale débarrassée des enjeux politiques et économiques ?

Comme un air de 1981 ? Cette année-là, le club de football anglais de Liverpool soulevait sa troisième coupe d’Europe en gagnant la finale à Paris, au Parc des Princes, contre les Espagnols du Real Madrid. Plus de quarante ans plus tard, ce samedi 28 mai, les deux équipes se retrouvent en finale de la plus prestigieuse des compétitions de clubs d’Europe, une fois de plus dans la capitale française.

Les Madrilènes ont obtenu leur qualification en demi-finale contre Manchester City, connu pour être la propriété du gouvernement des Émirats arabes unis. Grâce aux ressources qui lui ont été prodiguées par cet État riche en pétrole et en gaz, ce club avait atteint la finale du championnat d’Europe de football de la saison dernière.

Les Citizens s’étaient alors inclinés contre Chelsea, autre équipe anglaise, alors propriété de Roman Abramovitch, oligarque russe étroitement lié à des intérêts gaziers, au gouvernement de son pays et à son président Vladimir Poutine. L’invasion de l’Ukraine lui a valu d’être sanctionné par plusieurs pays, mais aussi d’être contraint de vendre le club londonien.


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Lorsque l’avant-centre français Karim Benzema a marqué en prolongation le but de la victoire du Real en demi-finale, un sentiment de nostalgie semblait planer sur le football européen. Les « nouveaux riches » du football, alimentés par le gaz et le pétrole, ont été vaincus : la finale de cette saison serait une affaire de vieille école. La réalité semble bien plus nuancée.

L’idéologie du marché libre

Le but de Benzema a peut-être été un soulagement pour l’UEFA. La saison de l’instance organisatrice de la compétition a en effet été difficile. La Ligue des champions a débuté avec l’entreprise publique russe Gazprom comme sponsor principal et la finale devait se dérouler dans la ville natale de Vladimir Poutine, Saint-Pétersbourg.

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie fin février, l’UEFA a rapidement décidé de déplacer sa finale à Paris et de rompre l’accord de sponsoring avec Gazprom. Le Stade de France renverra-t-il une image positive aux fans et aux observateurs déplorant l’influence de la politique et de l’argent des États sur le football ?

Le Liverpool FC où évolue Sadio Mané entretient des liens historiques avec la gauche anglaise. Paul Ellis/AFP

Il reste bon de rappeler que l’affiche « Liverpool–Real Madrid » n’est pas simplement affaire de vieilles fortunes ou de football européen d’antan. Les deux clubs ont toujours eu des liens politiques forts, les Reds avec la gauche anglaise et les Merengues avec la droite ibérique. Que nous le voulions ou non, le football et la politique ont toujours eu une relation symbiotique.

En outre, au cours des trois dernières décennies, les deux clubs ont ouvertement embrassé et adhéré à l’idéologie du marché libre. Ils figurent en bonne place dans la « Football Money League » du cabinet de conseil Deloitte, générant à eux deux plus d’un milliard d’euros par an. Le football reste un grand business et un jeu d’argent.

Il ne faut d’ailleurs pas oublier qu’il y a un peu plus d’un an, Liverpool et le Real Madrid ont soutenu le projet avorté de Super League. Celui-ci devait accélérer le flux de revenus vers ces clubs déjà riches, au détriment de tous les autres en Europe. Les propriétaires de Liverpool se sont finalement retirés du projet, du moins pour le moment, mais le président du Real Madrid, Florentino Perez, semble toujours vouloir le mener à bien. Différents rapports suggèrent qu’il pourrait utiliser le soutien financier de sources du Golfe et de l’Asie de l’Est pour y parvenir.

Au-delà des socios…

Deux finalistes piliers du football de marché libre, cela se comprend aussi au travers d’une visualisation des accords commerciaux les plus lucratifs. Ceux de Liverpool révèlent que le propriétaire du club – l’américain Fenway Sports Group – a constitué un portefeuille qui positionne le club au sein d’un ensemble d’entreprises de divertissement. L’inclusion de célébrités et de stars du sport de haut niveau, comme les basketteurs américains LeBron James et Kevin Durant, témoigne de la dynamique d’incursion des industries du divertissement américaines dans les actifs sportifs culturels européens.

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Le Real Madrid apparaît, lui, comme un club d’un genre très différent, détenu par ses membres – appelés socios – qui votent pour l’entrée et la sortie des dirigeants du club. S’il peut donc sembler plus proche d’un modèle démocratique, une visualisation de ses accords et relations commerciales montre à quel point le club est devenu étroitement lié à l’Asie.

Les liens du Real, avec la région du Golfe en particulier, signifient que l’influence de l’argent du pétrole et du gaz sera toujours profondément ressentie à Paris, même sans la présence d’un club officiellement propriété d’un État ou d’un oligarque.

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Attention donc pour les puristes du football, la finale du la Ligue des Champions 2022 ne représente une sorte de normalisation du football. Nous ne sommes plus en 1981 et le football reste aujourd’hui commercial, politique et idéologique.

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