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Loi anti-casseurs, de violence lasse

Sur les Champs-Elysées, à Paris, le 16 mars 2019. Geoffroy Van Der Hasselt/AFP

Chaque samedi, depuis le mois de novembre 2018, voit se déverser dans plusieurs villes de France un déferlement de violences contre les biens mais surtout contre les forces de sécurité pourtant chargées d’assurer la sécurité des manifestations.

Cette situation inédite de par sa fréquence, sa durée et son intensité a fait réagir la classe politique pressée par une opinion publique qui ne comprend plus la dérive violente d’un mouvement qu’elle disait soutenir.

Dans un sondage Odoxa du 9 et 10 janvier, 90 % des personnes interrogées estimaient que le gouvernement portait une responsabilité dans ces violences. Un mois plus tard, le 12 février, le premier ministre annonçait devant les députés 1 796 condamnations par la justice. Pour autant, la mobilisation d’individus violents n’a pas faibli.

La puissance publique semblait avoir trouvé la parade avec la mise en place des détachements d’action rapide (DAR), unités composées de policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) et des compagnies de sécurisation et d’intervention (CRS). Leur objectif d’interpeller les éléments violents n’est pas sans risque pour les délinquants comme pour les manifestants, avec l’utilisation d’armes intermédiaires dites non létales. Il s’agit du lanceur de balles de défense, des grenades de désencerclement et lacrymogènes GLI-F4.

Or, ce samedi 16 mars a été, probablement, la pire journée jamais connue depuis le début de ce mouvement. 1 500 casseurs professionnels ont ravagé « la plus belle avenue du monde » sous les regards impuissants des forces de sécurité et des téléspectateurs du monde entier. Cette situation n’est que la conséquence d’un renoncement politique du gouvernement soucieux d’éviter toute polémique sur les atteintes à la liberté de manifester et le lanceur de balles de défense dont la dangerosité est, il est vrai, avérée.

Éloigner les individus dangereux

Des élus, des associations et des personnalités de la société civile réclament, pourtant, leur retrait pour des opérations de maintien de l’ordre. Cet appel est parfaitement légitime compte tenu des blessures graves que peuvent causer ces armes. Pourtant, l’intervention des DAR se fait dans un cadre de police judiciaire, donc de répression des atteintes des biens et des personnes.

Néanmoins, ces unités de police mobilisées dans l’urgence ne sont pas formées à l’interpellation d’individus violents au milieu de manifestants. Cette situation ne satisfait personne et à plus forte raison la puissance publique qui considère que les blessures graves infligées par des policiers ou des gendarmes nuisent à son image sur les plans national et international.

D’ailleurs, la demande d’enquête, de la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, sur l’usage excessif de la force pendant la manifestation témoigne de la nécessité d’imaginer d’autres dispositifs afin de renouer avec des manifestations pacifiques.

Le ministère de l’Intérieur doit pouvoir concilier la liberté de manifester, qui bénéficie d’une protection constitutionnelle, et la nécessité de maintenir l’ordre public. Ce faisant, il lui appartient de mettre en place des mécanismes de prévention visant à préserver les manifestants de toute intrusion néfaste d’individus pouvant les mettre en danger. Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance de la décision de la Cour administrative d’appel de Nantes de juillet 2018 qui a reconnu la faute, de façon minime certes, mais tout de même, d’un jeune manifestant pour s’être maintenu à proximité de manifestants violents.

Il devient, par conséquent, indispensable d’éloigner les individus dangereux des manifestations afin éviter qu’elles ne deviennent des moments de confrontation entre forces de sécurité et délinquants. Ce face à face serait d’une triste banalité si des manifestants innocents n’étaient pas pris sous le feu nourri de balles de caoutchouc, d’une part, et de pavés, d’autre part.

L’interdiction de manifester confiée à l’autorité administrative

La loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations semble être un compromis qu’une bonne partie du Parlement paraît disposée à accepter.

D’abord, elle prévoit, dans son article 2, la possibilité de confier à l’autorité administrative la possibilité d’interdire à un individu de manifester. Cette mesure considérée par une petite partie de l’opposition comme liberticide s’affranchirait de l’autorité judicaire, seule habilitée par la Constitution à porter une atteinte à la liberté individuelle. Cette conception de l’ordre public n’est qu’une suite logique de l’état d’urgence instauré par le précédent gouvernement visant à confier des pouvoirs exorbitants aux préfets.

Pour autant, voir cette interdiction administrative de manifester comme attentatoire à la liberté d’exprimer ses opinions sur la voie publique relève du simplisme. En effet, les juridictions administratives sont, depuis les années 2000, mobilisés dans la protection des libertés au travers des référés liberté et suspension. Dans le cas d’espèce, l’autorité administrative devra notifier l’interdiction de manifester au plus tard quarante-huit heures avant l’évènement. Cette interdiction notifiée avant la commission d’un acte renverse la charge de la preuve. En d’autres termes, il appartiendra à la personne de prouver qu’elle ne présente pas une menace grave pour l’ordre public.

Cette disposition nous rappelle l’article 3 de la loi renfonçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme instaurant des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Pour faire simple, il s’agit de l’assignation à résidence, disposition contenue dans l’état d’urgence et transposée dans le droit commun.

Délit de dissimulation

Ensuite, cette proposition de loi, dans son article 4, instaure un délit de dissimulation du visage dans une manifestation. Ce délit existait déjà dans le code pénal sous la forme d’une contravention de la cinquième classe. La transformation de contravention en délit permettrait d’interpeller et de placer un individu en garde à vue.

Toutefois, la formulation trop large de l’article 4 pourrait lui faire courir un risque d’inconstitutionnalité. En effet, la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public sanctionne déjà la dissimulation volontaire du visage par une amende de deuxième classe, alors que dans la disposition proposée est susceptible d’entraîner une peine d’un an de prison et 15 000 euros d’amende.

Cette transformation de contravention en délit pourrait inciter le Conseil constitutionnel à rendre cette disposition impropre à la Constitution (Considérant 5). Toutefois, l’infraction ne serait pas constituée si la dissimulation se produit à l’occasion de manifestations conformes aux usages locaux comme le carnaval de Nice ou si l’individu se dissimule le visage pour se protéger des gaz lacrymogènes ou du froid. Cela sera-t-il suffisant pour le Conseil constitutionnel ?

Rien n’est moins sûr. En effet, un individu dissimulant son visage et se situant près de casseurs tomberait sous le coup de la loi alors qu’il se protège des gaz lacrymogènes. Il faudra alors prouver l’intention de l’individu de dégrader – ce qui ne sera pas une mince affaire.

En conclusion, cette proposition de loi ne convainc pas. Toutefois, elle permet de stopper des violences systématiques qui s’abattent désormais lors de chaque manifestation. Elle permet surtout d’éviter l’utilisation des armes intermédiaires dont la dangerosité ne fait désormais plus aucun doute.

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