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Loi européenne sur les métaux critiques : moins de dépendance mais des questions en suspens

Batteries au lithium
La demande mondiale en lithium devrait être multiplié par 40 ces 20 prochaines années. Shutterstock

Les préoccupations de l’Union européenne (UE) concernant le risque d’approvisionnement en matières premières critiques (ou critical raw materials, CRM en anglais) se sont considérablement accrues au cours de la dernière décennie en raison de leur importance croissante pour la transition numérique et écologique. En effet, la production de CRM reste actuellement largement concentrée géographiquement en dehors de l’Europe, notamment en Chine, ce qui expose l’UE à des risques d’approvisionnement majeurs. Consciente de sa dépendance à l’égard de sources extérieures pour ces matériaux, Bruxelles prend désormais des mesures pour relever ce défi et ainsi se protéger contre d’éventuelles restrictions d’exportations de pays tiers.

L’Europe n’a pas de temps à perdre. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale de CRM devrait quadrupler d’ici 2040, sous l’effet d’une multiplication par 42 de la demande de lithium et d’une multiplication par 7 de la demande en terres rares d’ici 2050. Essentiels à la fabrication des batteries, les terres rares et le lithium sont au cœur de la mobilité et du stockage de l’énergie, ce qui rend la sécurité du CRM vitale pour atteindre les objectifs de l’UE en matière de décarbonation.

Cependant, la Chine possède actuellement un quasi-monopole des exportations de terres rares, le cobalt et le lithium, constituant ainsi la source de plus de 90 % des importations européennes. Pékin est bien conscient de l’importance de ce levier de puissance et s’en sert déjà dans son bras de fer technologique avec les États-Unis.

Une liste de 16 matières premières

Pour relever ces défis, la Commission européenne a proposé en mars 2023 la loi sur les matières premières critiques (CRMA), qui vise à garantir l’accès de l’UE aux matières premières essentielles. Cette législation vise à réduire la dépendance des vingt-sept en encourageant l’augmentation de la production européenne, le recyclage et le raffinage des matières premières critiques.

La CRMA établit une liste de 16 matières premières stratégiques et critiques et fixe des objectifs pour augmenter la contribution de l’UE (10 % pour l’extraction, 40 % pour la transformation et 15 % pour le recyclage). La proposition comprend des mesures visant à rationaliser les processus administratifs d’extraction, à surveiller les chaînes d’approvisionnement et à investir dans la recherche et l’innovation.

Néanmoins, les critiques ont soulevé des inquiétudes quant à l’absence de fonds dédiés, remettant en cause la viabilité financière et l’efficacité de la législation. L’extraction, le traitement et le recyclage des CRM nécessitent en effet des investissements importants et les possibilités de financement actuelles de l’UE sont dispersées et complexes. En réponse, le Parlement européen a proposé la création d’un Fonds européen pour les matières premières stratégiques en septembre 2023.

« Club d’acheteurs bruxellois »

Un autre sujet de discorde concerne les risques potentiels liés à l’acceptation des projets stratégiques par les populations locales, qui peuvent s’inquiéter des impacts environnementaux et sociaux. Dans le texte européen, les projets stratégiques sont définis comme des projets relatifs aux matières premières qui renforcent de manière significative la sécurité de l’approvisionnement de l’UE en matières premières stratégiques. Les entreprises dont les projets seront reconnus comme stratégiques bénéficieront de procédures d’autorisation simplifiées et d’un accès plus facile aux possibilités de financement. Cela soulève des inquiétudes quant à l’équilibre entre l’accélération des projets et la mise en place de garanties environnementales et sociales solides.

En outre, les discussions mettent en évidence le manque de dispositions concrètes sur la circularité de la CRMA. Les critiques soutiennent que la loi n’offre pas suffisamment d’orientations pour renforcer le rôle du secteur de la réparation dans l’extension du cycle de vie des produits contenant des CRM. La loi se concentre sur l’exploitation des déchets, l’amélioration des processus de recyclage et l’augmentation de la réutilisation des produits et des CRM secondaires, mais elle n’aborde pas la législation sur le droit à la réparation.

Smartphone en réparation
La question de la réparation reste absente des dispositifs prévus dans le texte européen, selon certaines critiques. Shutterstock

Enfin, les dispositions de la CRMA relatives à l’achat groupé, qui visent à encourager le regroupement de la demande intérieure de l’UE par la constitution de stocks stratégiques, ont suscité certaines craintes. Le chercheur américain Cullen S. Hendrix a par exemple exprimé des inquiétudes concernant un « club d’acheteurs bruxellois », soulignant le risque d’effets néfastes sur les économies en développement. La pratique d’achat groupé par les pays de l’UE pourrait en effet, en faisant baisser les prix de vente, entraver la capacité des pays en développement à bénéficier de leur dotation en CRM pour financer leur transition énergétique.

Et pour la France ?

Du point de vue français, le CRMA répond à deux attentes politiques complémentaires sur le moyen et long terme. Premièrement, le texte de loi vient en appui à l’exécutif, qui cherche depuis longtemps à voir la Commission européenne accepter plus de souplesse en ce qui concerne les aides d’État. Ces dernières représentent en effet un levier privilégié pour favoriser le développement territorial dans l’hexagone, comme en témoignent les subventions à la hauteur d’un milliard et demi d’euros attribuées au projet d’usine de batteries à Dunkerque. En outre, le CRMA offre des perspectives intéressantes pour favoriser des projets industriels à l’instar de la mine de lithium dans l’Allier – qui d’ailleurs suscite les inquiétudes des habitants.

Le deuxième point fort de cette législation européenne est qu’elle démontre la valeur ajoutée de l’action de l’UE en tant qu’acteur à l’échelle mondiale. Ceci est une conception très française de l’Europe, qui voit en la construction européenne un moyen non seulement de peser dans les affaires internationales mais aussi de s’affranchir de la puissance américaine.

La logique « gaulliste » de cette vision consiste à penser la base industrielle en lien avec les capacités de défense. Ce n’est donc pas une coïncidence que le Conseil européen, sous la présidence française en 2022, a appelé à œuvrer à la construction d’une base économique plus solide en même temps que le renforcement des capacités de défense européennes.

Répondre aux préoccupations

Actuellement en phase de trilogue, les négociations entre le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen sont presque terminées. La prochaine étape de la procédure législative de l’UE est l’approbation et l’adoption formelle par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. L’accord provisoire sur le CRMA conclu avec le Parlement européen le 13 novembre 2023 doit en effet encore être approuvé et formellement adopté par les deux institutions.

La CRMA jouera un rôle essentiel dans la capacité de l’UE à atteindre ses objectifs en matière de transition écologique et à renforcer son autonomie stratégique. Cependant, la CRMA a suscité de nombreux débats et a soulevé des inquiétudes parmi les différentes parties prenantes. Bien qu’elle soit susceptible de répondre aux défis de l’UE en matière d’accès sûr et durable aux CRMA, il est essentiel d’examiner attentivement les préoccupations soulevées par les critiques et d’y répondre afin de garantir l’efficacité des dispositions prises au sein du CRMA.

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